CHICANEAU.

Je m'en rapporte à vous. Écoutez, s'il vous plaît.

LA COMTESSE.

Il faut que vous sachiez,' monsieur, la perfidie...

Ce n'est rien dans le fond.

CHICANEAU.

LA COMTESSE.

Monsieur, que je vous die...

CHICANEAU.

10

Voici le fait. Depuis quinze ou vingt ans en çà,1o
Au travers d'un mien pré11 certain ânon passa,
S'y vautra, non sans faire un notable1 dommage,
Dont je formai ma plainte au juge du village.
Je fais saisir l'ânon. Un expert13 est nommé ;
A deux bottes de foin le dégât estimé.
Enfin, au bout d'un an, sentence par laquelle
Nous sommes renvoyés hors de cour." J'en appelle.
Pendant qu'à l'audience" on poursuit un arrêt,1
Remarquez bien ceci, madame, s'il vous plaît,
Notre ami Drolichon, qui n'est pas une bête,"
Obtient pour quelque argent un arrêt sur requête,1o
Et je gagne ma cause. A cela que fait-on ?
Mon chicaneur s'oppose à l'exécution.

Autre incident: tandis qu'au procès on travaille,
Ma partie en mon pré laisse aller sa volaille.
Ordonné qu'il sera fait rapport à la cour
Du foin que peut manger une poule en un jour :
Le tout joint au procès. Enfin, et toute chose
Demeurant en état," on appointe la cause
Le cinquième ou sixième avril cinquante-six."
J'écris sur nouveaux frais." Je produis, je fournis
De dits," de contredits,", enquêtes, compulsoires,"
Rapporte d'experts," transports," trois interlocutoires,"
Griefs et faits nouveaux, baux et procès-verbaux."
J'obtiens lettres royaux," et je m'inscris en faux."

20

Quatorze appointements, trente exploits," six instances,

36

Six-vingts productions," vingt arrêts de défenses,*

28

Arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,
Estimés environ cinq à six mille francs.

2

Est-ce là faire droit ? est-ce là comme on juge?

Après quinze ou vingt ans ! Il me reste un refuge;
La requête civile est ouverte pour moi,

Je ne suis pas rendu." Mais vous, comme je voi,"
Vous plaidez!

6

Deux bottes de foin, cinq à six mille livres !"1

LA COMTESSE.

Monsieur, tous mes procès allaient être finis:
Il ne m'en restait plus que quatre ou cinq petits,
L'un contre mon mari, l'autre contre mon père
Et contre mes enfants: ah monsieur! la misère !
Je ne sais quel biais ils ont imaginé,

Ni tout ce qu'ils ont fait; mais on leur a donné
Un arrêt par lequel, moi vêtue et nourrie,"

43

44

On me défend, monsieur, de plaider de ma vie.

14

CHICANEAU.

De plaider ?

LA COMTESSE.

De plaider.

26

28

Comment! lier les mains aux gens de votre sorte!

Mais cette pension, madame, est-elle forte ?"

36

LA COMTESSE,

Je n'en vivrais, monsieur, que trop honnêtement.**
Mais vivre sans plaider, est-ce contentement?

CHICANEAU.

Des chicaneurs viendront nous manger jusqu'à l'âme,
Et nous ne dirons mot! Mais, s'il vous plaît, madame,
Depuis quand plaidez-vous ?

2

4

6

Et quel âge avez-vous? Vous avez bon visage."

Hé! quelque soixante ans.

16

LA COMTESSE.

18

CHICANEAU.

Pour plaider.

Comment! c'est le bel âge

Laissez faire, ils ne sont pas au bout.

Madame, écoutez-moi. Voici ce qu'il faut faire.

LA COMTESSE.

Oui, monsieur, je vous crois comme mon propre père.

J'irais trouver mon juge.

CHICANEAU.

20

CHICANEAU.

Mais daignez donc m'entendre.

LA COMTESSE.

Oui, vous prenez la chose ainsi qu'il la faut prendre.

Avez-vous dit, madame?

CHICANEAU.

LA COMTESSE.

Oui.

2

4

6

8

Si vous parlez toujours, il faut que je me taise.

LA COMTESSE.

Ah! que vous m'obligez! Je ne me sens pas d'aise."

J'irais trouver mon juge, et lui dirais...

14

16

LA COMTESSE.

Non.

2

CHICANEAU.

Vous ne savez pas, madame, où je viendrai."1

Je plaiderai, monsieur, ou bien je ne pourrai.

4

LA COMTESSE.

6

CHICANEAU.

Mais...

8

LA COMTESSE.

Mais je ne veux point, monsieur, que l'on me lie.

10

CHICANEAU.

Enfin, quand une femme en tête a sa folie...

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