Imágenes de páginas
PDF
EPUB

des assiégés. A peine cet envoyé eut-il reçu quelques communications, qu'un vireton, décoché de la ville, le navra à mort. Grande fut la consternation du sire de Perwelz, qui, terrifié d'une telle violation des lois de la guerre, s'écria: « Les vilains ne veulent cesser leur traict tandis que je >> parlemente; eh bien ! je ferai mon apoinctement sans

>> eux »>.

De son côté, le roi moult courroucé et perturbé » d'une action si lâche et si déloyale, fit prestement donner un nouvel assaut. C'était le tour des nobles du ban de Normandie de monter à la brèche et ils le firent honorablement. Les assiégés ne se défendirent pas avec moins de courage, et maîtrisèrent les premières attaques, qui furent cependant ardentes. Mais, pendant qu'ils étaient ainsi occupés, le sire de Perwelz, sous prétexte d'aller de rechef stimuler ses Brabançons, descendit du rempart, puis s'échappa furtivement par une poterne du bolluvert (boulevard) de la porte Cambresienne, où il fut suivi des sgrs. de Culembourg et de Jauche, et de plusieurs autres officiers, abandonnant ainsi à leur malheureux sort la garnison et la population de la ville, qu'ils avaient pourtant promis de défendre jusqu'à la mort. Quelques minutes après, la plupart de ces transfuges étaient arrivés au camp du roi, se rendant prisonniers; les autres, repoussés, avaient été tués ou obligés de rentrer dans la place (120).

Les assiégés, ne se doutant pas de cette défection, continuaient toujours à combattre comme à l'ordinaire; mais dès qu'ils se virent sans direction, sans commandement, ils restèrent tout ébahis et découragés. Aussi, à partir de ce moment même, ils ne se défendirent plus que machinalement. Les Français, au contraire, redoublèrent d'ardeur, en criant aux assiégés : « Ouvrez vos portes; vos capitaines, » les sgrs. de Perwelz et de Culembourg ont fait votre >> appoinctement; ils sont en nos tentes; parquoy se ne les » ouvrez par amour, vous les ouvrirez par force ».

Bientôt ils joignirent le fait à la parole. Voyant la défense des assiégés faiblir de plus en plus, ils étendirent, multiplièrent leurs points d'attaque, et, après quelques nouveaux assauts, ils escaladèrent les murailles. Ils entrèrent dans la place de plusieurs côtés à la fois, notamment « par les » moynnets (121) que eux-mesmes avoient battus auprès de » la tour bruslée, et par le bolluvert de la porte d'Enghien ». Toutefois la principale entrée des Français dans la ville eut lieu du côté où étaient le sgr. de Culembourg et ses gens, qui n'avaient opposé que peu de défense (122).

Pendant que les Français se ralliaient, se massaient avant de se répandre dans la ville, quelques-uns d'entre eux, des plus exaltés, sans consulter le danger, s'aventurèrent dans

les rues, sans ordre, se dirigeant vers la partie haute d'Avesnes. Arrivés près du grand marché, ils rencontrèrent, au détour d'une rue, un détachement d'Avesnois, qui, exaspérés et ignorant ce qui se passait ailleurs, les chargèrent avec furie et les repoussèrent en désordre jusqu'à la porte (123). En un instant, ces Avesnois se virent attaqués et entourés par des forces beaucoup supérieures, et connurent ainsi la position critique dans laquelle ils s'étaient bénévolement jetés. Quoique sans espoir de salut, ces courageux citoyens n'en firent pas moins bonne contenance; ils eurent du moins la consolation de mourir avec gloire pour leur patrie.

En un instant, les troupes françaises s'abattirent sur la ville comme une avalanche. Ce furent les gens d'armes et les archers d'ordonnance qui commencèrent le sac. Mieux disciplinées et peut-être mieux avisées qu'aucunes autres, ces troupes d'élite se bornèrent, en général, à s'emparer des bourgeois bien vêtus, qu'elles constituèrent leurs prisonniers, en vue d'en tirer de larges rançons.

Mais quand, après elles, vinrent les francs-archers, oh ! alors, ce fut un pillage horrible et le plus cruel massacre que l'on puisse imaginer. « Sans pitié, ils mirent tout à » l'espée, vieux et jeune, de quelque sexe ou estat qu'il >> fusist ». On rapporte que des enfants au berceau furent assommés ou dépécés par le fer, sous les yeux de leurs mères, à qui un pareil sort était réservé.

Les soldats brabançons et hainuyers, espérant « avoir >> merci, respit ou gracieuse mort, ruèrent jus leurs armu»res, leurs piques et arquebutes (124) », criant miséricorde aux francs-archers. Lâches toujours, ils ne pouvaient se résigner à mourir. Les francs-archers, sachant à qui ils avaient affaire, les passèrent tous indistinctement au tranchant de leurs glaives.

Le cœur se soulève d'indignation à l'idée des atrocités qui » furent illec (là) commises par les mains de ces bouchiers » franchois ».

En résumé, de toute la population civile et milltaire qui était enfermée dans Avesnes, il n'échappa guère que les bons bourgeois prisonniers, dont le nombre n'est porté qu'à 17 par le P. N. Lelong (125), outre les capitaines et autres chefs qui étaient parvenus à se sauver au camp ennemi (126).

Ce ne fut pas tout le massacre accompli, les francsarchers, portant ailleurs leur fureur, pillèrent et brûlèrent la ville. L'église paroissiale, « qui estoit moult bien aornée », ne fut pas épargnée après avoir été entièrement dévastée, elle fut aussi livrée aux flammes. Il ne resta debout, dans le circuit de la place, que l'hôpital, le couvent des Cordeliers et huit maisons qui appartenaient vraisemblablement aux Avesnois prisonniers.

Enfin, on ne fit même pas grâce aux murailles d'enceinte de la ville; elles furent abattues et démolies, ainsi que les tours qui, de loin en loin, les protégeaient.

Qui 'e croirait ? Ces faits atroces et sauvages, dignes des plus tristes temps de la barbarie, se passèrent dans le dernier quart du XVe siècle, sous le règne et même sous la direction de Louis XI, qui se qualifiait roi très-Chrétien (127). Ce fut par un mercredi 11 juin, jour de Saint-Barnabé, de l'an 1477 (128).

Et le lendemain, pendant qu'on continuait l'œuvre fatale de la destruction d'Avesnes et l'arasement (129) de ses fortifications, Louis XI, ce roi aussi féroce que fanatique écrivait froidement d'Estreu-la-Chaussée (Etræeungt), où il s'était retiré, à ses gens d'Abbeuille en Ponthieu, qu'il avait été amené, pour cause d'insoumission, à faire le siège d'Avesnes; que cette ville venait d'être prise d'assaut, et que, des 4,000 habitants (130), militaires et bourgeois qui s'y trouvaient renfermés, presque tous avaient été tués. Après avoir fait le récit de ces atrocités, il leur recommandait très-dévotement de rendre « grâce et louenges à Dieu et à la très-glorieuse » vierge Marie » pour ces importants succès (131).

Le roi ne revint pas à Avesnes, qui n'offrait plus, du reste, que cadavres et décombres. Qui sait si, superstitieux comme il l'était, il ne craignait point que, de ces ruines sanglantes et encore fumantes, il s'élevât quelque voix sinistre pour le maudire, en lui reprochant à la fois son ingratitude (132) et son horrible barbarie !

MICHAUX aîné,
Membre résidant.

NOTES

(1) On doit à M. Auguste Lebeau, sur l'inauguration de Louis XI à Avesnes, un brillant et intéressant article inséré dans les Archives historiques publiées à Valenciennes, 1° série, tome iv, pages 465 à 493, et qui lui a valu une médaille de bronze décernée par l'Association Lilloise, dans sa séance du 12 décembre 1839.

(2) Olivier de la Marche, Mémoires, liv. 1o, ch. 33.

(3) Ibidem.

(i) Ninchart et Ruteau, Annales........ d'Haynau, 398.

(5) Simonde de Sismondi, Histoire des Français, xiv, 60, donne la date du 25; mais Ch. Liskenne, Hist. du règne de Louis XI indique positiveOn ne peut guère admettre ment le 23, lendemain de la mort du roi. la version de J. du Clercq, qui assure que le Dauphin connut l'événement le jour même. (Mém., liv, iv, ch. 29).

XIV

(6) Le P. Delawarde, Hist. gen. du Hainau, v, 81, citant Monstrolet, 11, 88, dit que la nouvelle de la mort de Charles VII fut portée au Dauphin par trois expr.s que le duc d'Anjou, son beau-p.re, lui avait envoyés Il y a certainement erreur, du moins sur la parenté du duc.

(7) Ch. Liskenne, Hist. du règne de Louis XI.

--

(8) Olivier de la Marcge liv. 1, ch. 34. J. du Clercq dit à tort au chateau de Meru. (Mém., liv. iv, ch. xxix).

(9) Dict. de la conversation, xxxv, 445.

-

(10) Meyer, Ann. Flandr., liv. XVI, fol. 325; — Sim. de Sismondi, XIV, 66. (11) Vinchant, iv, 266.

(12) Vinchant, iv, 266;

[ocr errors]

- M. Aug. Lebeau, IV, 468.

(13) J. du Clercq, Mém.. liv. iv, ch. 29.

(14) Vinchant, iv, 266.

(15) Ch. Liskenne.

(16) M. Aug. Lebeau, ouvrage déjà cité, IV, 470 et 471.

(17) Archives communales de Tournai: Hennebert, Ephém, tournaisiennes ; · M. Chotin, Hist. de Tournai, 11, 42.

--

(18) G. Chastelain, 1 partie, et Vinchant, IV, 268, disent que Louis attendit le duc à Avesnes. Le premier ajoute ailleurs que le due y arriva par un mardi ce qui correspondrait au 28 juillet, en prenant le premier mardi avant le jour du service, où il assista. Nonobs'ant ces indications, on pense assez généralement que l'entrée du duc eut lieu le 2 août. (M. Aug. Lebeau, iv, 471)

(19) Math. de Coucy, Chron., liv. 1", ch. cxxx; - J. du Clercq, liv. IV, ch. XXIX

(20) Basin, Hist. du règne de Louis XI, 11.

(21) M. Aug. Lebeau, iv, 472,

(22) J. du Clercq, liv. Iv, ch. xxx.

(23) M. A. Lebeau, IV, 477.

(24) G. Chastelain, 1 partie, ch. III.

(25) C'est à tort que Simonde de Sismondi, XIV, 69, indique le 2 août. (26) G. Chastelain, 1° partie, ch. II.

(27) Il se nommait Jean III Cœur, et tint le siège de Bourges de 1447 à 1483. (Ann. hist., 1847, p. 159).

(28) G. Chastelain, 1 partie, ch. 1. (29) M. A. Lebeau, IV, 477.

(30) J. du Clercq, liv. Iv, ch. xxx ;

- G. Chastelain, 1 partie, ch. III.

(31) Jean, sire de Montauban, venait d'étre créé grand-maître des eaux et forêts, et amiral de France. (Morévi, v11, 697).

(32) Louis, sgr. de Crussol, venait aussi d'etre nommé chambellan du roi et grand pannetier de France. (Moréri, iv, 1° partie, p. 302).

(33) G. Chastelain, 1 partie, ch. III.

(34) J. du Clerc [, Mém., liv. IV, ch. xxx; G. Chastelain, Chron., 1 partie, ch. 1er; · Vinchant, IV, 266.

(35) D'après les détails donnés ci-dessus par des auteurs véridiques, cn ne peut pas admettre la version de T. Basin, évêque de Lisieux, qui dit que le roi, en passant à Avesnes, y fit célébrer, pour son père, un service funèbre dont la parcimonie montrait son mauvais cœur M. Quicherat, qui a publié l'ouvrage de ce prélat, trouve sa réflexion exagérée, en présence de la description que G. Chastelain a donnée de la cérémonie.

).

(36) M. Aug. Lebeau, iv, 477.

(37) Vinchant, iv, 266, et beaucoup d'autres auteurs disent que, aussitôt après le service, le Dauphin se revêtit de pourpre. M. de Barante prétend aussi que, revenu du service, il s'habilla de pourpre violette. Mais, si on s'en rapportait à J. du Clercq, liv. iv, ch. xxx, il n'aurait pris la pourpre que le diner fini.

(88) Dès lors Louis abandonna le titre de Dauphin pour prendre celui de Roi, qu'on trouve dans tous ses actes postérieurs. M. Aug. Lebeau, IV, 478).

(39) Vinchant, iv, 266.

(40) M. Aug. Lebeau, IV, 479.

(41) T. Basin, II, VI.

(42) C'était Jean, bâtard d'Armagnac, surnommé de Lescun, chevalier et chambellan de Louis XI, qui lui avait assuré la jouissance du comté de Comminges. Il mourut en 1473, étant maréchal de France. (Moréri, 1, 1° partie, 335).

(43) M. Aug Lebeau, iv, 480.

(44) Ibidem.

(45) Ephém, univ., VIII, 482.

(46) Simonde de Sismondi, XIV, 70,

(47) G. Chastelain, Chron., 1° partie, ch. IN; J. du Clercq, liv. IV, ch. xxx.

(48) J. du Clercq, liv. Iv, ch. xxx.

(49) J. du Clercq, liv. Iv, ch. xxx.

(50) Vinchant, IV, 266, dit » tort que le duc partit le 4.

(51) Fr. Vinchant, iv, 266 et 267.

(52) Roquefort, Gloss., 1, 735.

(53) G. Chastelain, 1° partie, ch. IV ; M. de Barante, liv x.

(54) Louis XI eut tant de joie d'apprendre la mort de Charles-le-Téméraire, que; dans son enthousiasme, il fit veu de décorer le tombeau de St-Martin d'un treillis d'argent du poids de 6776 mares pour remplacer la grille de fer qui la renfermait. Ce treillis, d'un travail exquis pour le temps, fut posé en l'an 1479. Mais, en 1522, on l'enleva par ordre du roi François I et on le convertit en une monnaie sur laquelle était gravée la figure d'un treillis. (L'Art de vérifier les dates, x1, 98).

(55) Vinchant et Ruteau, 493.

(56) Ibidem.

(57) Vinchant et Ruteau, 483.

(58) J. Mo inet, II, 16 et Compte des aides et subsides des Etats du Hainaut pour les années 1476 et 1477, p. 18 R., déposé aux archives de l'Etat à Mons.

(59) Antoine Rolin, sgr d'Aymeries, grand-veneur et grand-maréchal du Hainaut, fut longtemps grand-bailli de cette province. Vinchant et Rateau, p. 325, annoncent qu'il tint cette charge de 1476 à 1503; mais, d'après M. Pinchart, Hist. du conseil souverain de Hainaut, p. 146, il l'exerça de 1467 à 1495.

(60) Avant d'aller plus loin, on doit expliquer que, pendant une période de quelques mois, il y eut successivement trois capitaines ou gouverneurs ayant le commandement supérieur de la ville d'Avesnes, savoir :

Louis Rolin, sgr. de Lens, de février au milieu de mars 1478;

Jean de Lannoy, sgr. de Maingoval, du milieu de mars vers la fin d'avril;

« AnteriorContinuar »