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tudes religieuses des âges lointains, il vous a semblé qu'il fallait entreprendre cette utile publication, nonseulement au point de vue des études liturgiques en général, mais surtout au point de vue de notre propre histoire diocésaine. Cédant à ces nobles motifs qui témoignent de votre zèle et de votre amour pour tous les souvenirs qui se rattachent au pays, vous avez voté, à l'unanimité, l'impression de ce manuscrit, aux frais de la Société.

Mais, en prenant cette importante décision, vous me chargiez en même temps de surveiller cette publication et de préparer l'introduction et les quelques notes qui devaient accompagner le texte. Vos désirs, Messieurs, sont devenus des ordres pour moi; et pendant toute la durée de ce long et pénible travail, je crois n'avoir rien négligé pour répondre à votre confiance. Aujourd'hui que ma mission est à la veille de finir, il est de mon devoir de vous faire connaître la valeur esthétique du livre qui a mérité de fixer votre choix et d'obtenir vos préférences. Mais avant d'entrer dans les curieux détails que nous présente ce précieux manuscrit, permettezmoi de vous retracer brièvement le tableau historique de la liturgie en général, et surtout celui du diocèse de Soissons depuis son origine. A l'aide de cet exposé rapide que la circonstance de cette publication amène et justifie, vous comprendrez beaucoup mieux l'importance du livre que vous venez d'éditer et le service éminent que vous rendez aux études liturgiques. Pour mettre de l'ordre dans ce travail, nous le diviserons en quatre paragraphes: dans le premier, nous dirons un mot de la liturgie en général, de son importance et de son histoire; dans le second, nous parlerons de la liturgie soissonnaise en particulier et de ses nombreuses vicissitudes; dans le troisième paragraphe, nous donnerons une idée générale du contenu de ce livre, de l'intérêt et des beautés

liturgiques qu'il présente; dans le quatrième, nous ferons connaître le livre lui-même, sa forme, l'époque de sa transcription, son auteur, en un mot, son histoire.

§ I.

LITURGIE, SON IMPORTANCE, SES PHASES HISTORIQUES.

La liturgie est, sans contredit, une des branches les plus importantes de la religion et des études ecclésiastiques. Née avec l'église même, la science des rites sacrés a dirigé le culte divin à travers les âges, et inspiré le symbolisme le plus riche et le plus auguste. Rien donc de plus grand, de plus vaste et de plus utile que cette science. Car, remarquez-le bien, quoique la liturgie soit proprement le ministère de la prière publique et en particulier l'action de la sainte messe, on est converu de donner ce nom à l'ensemble des cérémonies ou formules sacrees qui règlent le culte divin. Sous ce nom sont donc compris la récitation des heures canoniales, la confession, l'administration des sacrements, les processions et tous les offices divins, et particulièrement l'offrande du saint sacrifice, qui s'appelle la liturgie par excellence.

La liturgie a donc une grande importance pour le culte sacré dont elle est comme le vêtement extérieur. Tunica inconsutilis desuper contexta per totum. C'est par elle que l'église se pare, brille et frappe les yeux, et disons-le fait passer sa foi, sa croyance, ses convictions, son histoire, les évènements divers qui se rattachent à son orageuse existence; c'est par elle qu'elle excite à la pratique des vertus, inspire des sentiments nouveaux, réchauffe la tiédeur et impressionne puissamment les âmes qu'elle tourne avec énergie vers la méditation du bien. Les cérémonies religieuses s'attaquent, en effet,

à toutes les intelligences, à toutes les situations, et commandent à toutes les volontés. Il est aisé de deviner le rôle qu'elle est appelée à jouer dans l'église et les heureux effets qu'elle produit. Tous les peuples qui n'ont pas de liturgie ou n'en possèdent qu'une froide, n'ont qu'un culte mort. L'homme a besoin qu'on parle à ses sens; c'est sa première vie, fides ex auditu, il ne s'en dépouille jamais. Toute son action doit donc consister à les régler, à modérer leur impétuosité, à leur commander au besoin et non à les détruire. Sous ce rapport, la liturgie catholique est admirable en ce qu'elle a cherché à élever l'homme de la vie des sens à la vie spirituelle et à diviniser en quelque sorte cette partie matérielle de lui-même, pour faire de lui un chrétien dans toute l'acception du mot, c'est-à dire un autre JésusChrist par les idées et par le cœur. Que ne nous est-il permis de vous montrer ici combien cette liturgie est belle par son antiquité, la variété et la magnificence de ces cérémonies, la profondeur et la multiplicité de ses mythes! Mais cette digression nous mènerait trop loin. Contentons-nous de faire un exposé rapide de son histoire et de ses vicissitudes.

Nous savons que, dès les premiers temps, la liturgie, semblable à un fleuve abondant et fécond, se divisa en plusieurs canaux, sous le nom générique de liturgie orientale ou grecque, occidentale ou latine. On compta la liturgie de saint Jacques, à Jérusalem, de saint Pierre, à Antioche, de saint Marc, à Alexandrie, de saint Basile, à Césarée, de saint Chrysostome, à Constantinople, de saint Ambroise, à Milan, auxquels on peut ajouter les liturgies gallicane et mozarabe, sans parler d'une foule d'autres liturgies qui se subdivisent à l'infini, comme la liturgie arménienne et abyssinienne. L'origine de ces diverses liturgies s'explique facilement : lorsque les apôtres ou les missionnaires des premiers

siècles arrivaient chez des peuples d'intérêts et de mœurs bien différents, le culte n'était pas enchaîné. Comme il fallait frapper les regards, on chercha les cérémonies qui pouvaient produire une impression plus favorable. On inventa, on enrichit le culte primitif; il s'incarna dans le peuple, toujours fidèle aux vieux usages, aux traditions du passé, auxquels il mêla souvent la superstition, si voisine de la foi dans les personnes peu instruites ou mécréantes.

Ainsi se sont établies les églises particulières vivant de la vie commune de la foi catholique, mais, conservant leurs usages, les multipliant au besoin. Ne soyons pas surpris de cette diversité de formes vocales du culte public dans les premiers siècles de l'église; elle n'a sans doute été permise par la Providence que pour retirer de cette variété même un imposant témoignage d'uniformité dogmatique. Au reste, la diversité liturgique, outre qu'elle tient souvent d'une manière intime à la diversité de goûts, d'humeurs, aux habitudes sociales d'une nation, avait aussi pour elle les circonstances exceptionnelles, imprévues, difficiles, dans lesquelles elle s'établissait, et au milieu desquelles elle vivait au jour le jour. Mais avec le temps et la paix, elle dut chercher à prendre une consistance, une forme unitaire. L'Église avait compris de bonne heure combien il était important de se fixer dans des choses qui touchaient de si près à ses dogmes, lex credendi statuat lex supplicandi, avait elle dit par la bouche de saint Gelase.

Toutefois cette unité ne fut pas aussi facile à créer que celle de la foi d'abord parce que la liturgie primitive, comme nous venons de le dire, avait emprunté une partie de sa force par son assimilation au caractère et aux habitudes des peuples. On conçoit dès lors que les églises particulières, en conservant ces usages fondés,

acceptés et réglés par le temps, usages qui remontaient à une époque reculée, n'étaient pas très disposées à les quitter dans la suite. Les peuples pouvaient s'imaginer qu'en renonçant à ces coutumes respectables, conservées de siècles en siècles avec amour et vénération, c'était porter une main sacrilège sur des pratiques saintement consacrées par le temps. Chacune de nos églises se fondant sur le même principe s'était ainsi créé, avec le fond de la grande liturgie catholique, une espèce de liturgie propre, qui, s'étant augmentée avec les siècles, en avait fait un rite propre et individuel.

L'église de Rome, la mère et la maîtresse de toutes les églises, n'oubliait rien de son côté pour obtenir l'unité liturgique. Les souverains-pontifes y poussaient de tout leur pouvoir; mais on trouvait une certaine résistance dans les habitudes, dans les traditions, jusque dans le génie des peuples qui craignaient de perdre par ce renoncement toute personnalité religieuse et politique. Ne sait-on pas qu'il fallut toute la puissance de Charlemagne pour faire accepter aux églises de France et de son vaste empire la liturgie romaine qui détrôna pour toujours l'ancienne liturgie gallicane? (1) La France, grâce à cet évènement, fut alors entièrement romaine par la forme comme par la foi.

(1) Ce changement fit si rapide, si universel et si complet, que sous le règue de Charles-le-Chauve, petit-fils de Charlemagne, on n'avait plus aucune idée du chant des Messes gallicanes, en sorte que ce prince voulant comparer cette liturgie et la liturgie grecque avec la liturgie romaine en usage dans ses états, fit venir des ecclésiastiques de Tolède qui officièrent en sa présence. Il est à remarquer que ce prince ne craignit pas d'avouer après cet essai fait devant lui que la liturgie romaine lui paraissait bien préférable. Celebrata etiam sunt coràm nobis missarum solemnia more Jerosolymitano, auctore Jacobo apostolo; et more Constantinopolilano, auctore Basilio; sed nos sequendam ducimus romanam ecclesiam in missarum celebratione.

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