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cédant aux sollicitations pressantes de son clergé qui se plaignait de ne plus avoir de livres, il ne balança pas à mettre la dernière main à un projet qui lui souriait beaucoup et à terminer un travail si longtemps retardé.

Aidé de quelques hommes instruits, de littérateurs pleins de goût, M. de Fitzjames fit des changements notables qui altérèrent encore plus profondément la conformité apparente dont nous venons de parler. On s'éloigna donc de plus en plus de la voie dans laquelle on était entrée pour se rattacher, en beaucoup de points, aux traditions de la vieille liturgie soissonnaise, mais en faisant le sacrifice presque absolu du romain, comme il est facile de le constater.

Ainsi, dans le missel, les introits, les graduels, les offertoires, les secrètes, les communions et les postcommunions, sont presque tous composés de paroles différentes; les collectes seules, tirées des anciens sacramentaires romains, gallicans et ambrosiens, sont les mêmes, à l'exception de celles de saint Denis et de sainte Clotilde. Les évangiles sont aussi les mêmes et placés dans le même ordre. Les épîtres diffèrent assez souvent. Il y a de plus une foule d'usages et d'additions qu'on ne trouve pas dans le rite romain, comme les leçons qui précèdent l'épître (1) aux messes de Noël, les préfaces, les processions propres à un grand nombre de fêtes, l'admission à la pénitence publique le jour des Cendres, la cérémonie de la réconciliation du Jeudi-Saint, par une absoute générale et solennelle. Ce sont là, il est vrai, des traditions immémoriales de la vieille liturgie soissonnaise, qui ont eu le malheur d'être confondues avec d'autres remaniements qui accusaient, dans ses auteurs, une certaine tendance à l'affranchissement et un mal

(1) Selon le rite gallican, on récitait toujours deux épitres : la première, tirée de l'ancien Testament et, la seconde, du nouveau.

heureux éloignement des prescriptions de l'église. Il y avait aussi le lavement des autels, la bénédiction du feu du Samedi-Saint dont l'un est omis dans le romain et l'autre fait défaut. On remarque encore une interversion bien grande dans l'ordre des fêtes: ainsi, les fêtes de saint Sixte et saint Sinice, de la Dédicace, des Reliques, occupaient une place toute différente. Enfin, dans ce cadre calqué nous ne savons précisément sur quel modèle, on avait ajouté et retranché avec une égale facilité et sans avoir eu recours à l'autorité de l'Eglise.

Mais là ne se bornaient pas tous les changements. Le bréviaire avait subi une correction bien autrement considérable les offices à neuf leçons étaient rares, les saints peu nombreux, les prières après matines et à complies ne d'evenaient obligatoires que dans les féries. On avait distribué les psaumes entre chaque férie, de manière à réciter, dans le cours de la semaine, tout le psautier. Les anciens canons de l'église, rapportés par un concile de Reims, en 1564, ordonnaient ut totus psalmorum liber in unâquaque hebdomada recitatur. On avoue qu'on s'est proposé, comme dans le bréviaire de Paris, d'honorer, le dimanche, la création et la rédemption du monde, et d'augmenter, dans l'âme des fidèles, l'amour de Dieu et de la loi divine; de rappeler, le lundi, la bienveillante charité, les bienfaits de. Dieu envers les hommes; le mardi, mercredi et jeudi étaient consacrés à exciter la foi, l'espérance et la charité; le vendredi, jour de la passion du Sauveur, était destiné à entretenir dans les âmes la patience à avoir dans les peines et les chagrins de cette vie; le samedi était un jour d'actions de grâces. Ces motifs étaient exprimés dans l'invitation des matines de chaque jour. Toutes les autres prières, les hymnes, les antiennes, les capitules, les répons, les versets, tendaient au même but. Quant aux psaumes qui ne pouvaient se prêter à ces exigences, on s'était con

tenté de suivre l'ordre biblique dans leur placement; on avait pourtant respecté l'ordre des vêpres qu'on reconnaît comme très-ancien et très-familier au peuple qui les chantait par cœur. Quant aux leçons, on en avait, dit-on, fait une meilleure distribution qui permettait de suivre presque tous les livres de la Sainte-Écriture; on avait fait une part meilleure au Nouveau-Testament. Pour les légendes des saints, on n'avait admis que des choses de choix et appuyées sur des monuments authentiques. Les hymnes avaient été aussi soumis à un choix judicieux et sévère. On avait ajouté à prime la lecture des canons de discipline; cette innovation devait être utile au clergé qui avait besoin de connaître les saintes règles de l'église pour y conformer sa conduite. (Voyez la préface, en tête du bréviaire de 1743.)

On ne peut nier que cette liturgie n'ait été composée avec beaucoup de soin et de talent. Il ne lui manquait qu'une chose importante: c'était d'avoir l'approbation de l'Eglise.

En agissant ainsi, le réformateur n'hésite pas à reconnaître qu'en beaucoup de choses il a usé d'une liberté dont ses prédécesseurs n'avaient pas osé faire usage, sed hanc veniam, 'quam hi non sibi concesserunt, nos ultro arripimus ut ab ea lege recederemus nonnunquàm. On y avoue, sans répugnance, un éclectisme qui n'est pas cependant sans quelques inconvénients. Ainsi, parmi les hymnes, on a pris tous ceux qui ont paru les meilleurs dans les nouveaux bréviaires édités. Sed illos servavimus ex antiquis quos esse alicujus pretii ac tunc solum recentes hymnos anteposuimus veteribus cùm apertum ac perspicuum fuit recentes esse optimè ac preclare confectos, veteres autem pessimè. Voilà le jugement qu'on porte, au XVIIIe siècle, de notre antique et vénérable liturgie. Dans la vue de ne pas trop fatiguer le clergé et de se mettre à la portée de sa faiblesse, on abrégeait

» la longueur des prières afin qu'on put être toujours > attentif pendant la durée de l'office et qu'on pût pro› noncer et chanter toutes les paroles. Lento spiritu ac › distincto. On aimait à proclamer, d'un autre côté, que » ce bréviaire était bien plus riche que les autres en › enseignements et en affection. » (1)

Notre siècle n'a pas cru devoir ratifier ce jugement anticipé. Il a trouvé, au contraire, que cette liturgique, philosophique et rationaliste avait fait trop bon marché des traditions de l'Eglise-Mère. Il est certain qu'en présence de ce qu'on a osé entreprendre en dehors de l'église, on ne peut se défendre d'un sentiment pénible en voyant que les désirs et les efforts des souverains pontifes pour ramener l'unité dans le culte comme dans la foi, aient été si peu compris et si mal secondés en France. Il n'a rien moins fallu qu'une épouvantable catastrophe, qu'une désorganisation complète et les malheurs sans nombre de l'église de France, jointes à ces vaines tentatives, (2) pour ressusciter un semblant

(1) Il est inutile de parler des livres liturgiques imprimés par ordre de Monseigneur de Bourdeilles. Le processionnal, le manuel du diocèse, les bréviaires laïcs latins ou translatés ne sont que des compléments ou des extraits de la liturgie adoptée par M. de Fitzjames. Le processionnal contenait les rubriques à observer, les chants notés pour les processions et saluts qui se faisaient dans l'année, les cérémonies des funérailles et inhumations. On y avait de plus inséré la pratique générale des cérémonies de l'office divin, c'est-à-dire des vêpres, des complies des matines, des laudes, des petites heures et les saluts du Saint-Sacrement. Le manuel n'était qu'un extrait portatif du grand rituel, renfermant seulement les prières pour l'administration des sacrements, les bénédictions, la formule du prône et l'abrégé de la doctrine chrétienne.

(2) Après les secousses qu'avait éprouvées l'église de Soissons, ébranlée comme toutes les autres, morcellée quoiqu'agrandie de toute l'étendue d'un diocèse, elle n'en continua pas moins à se servir de la liturgie alors en usage dans chaque diocèse, ce qui ne laissait pas d'attirer de graves inconvénients. Aussi, les évêques qui se succédaient sur le siége de Soissons, justement préoccupés

d'unité liturgique en faveur de ces diocèses mutilés et reconstitués sur de nouvelles bases, pour faire ouvrir les yeux et les reporter vers cette église romaine qui est la mère et la maîtresse des autres églises, et d'où la foi chrétienne a jadis découlé et découlera jusqu'à la fin des siècles, comme d'une fontaine intarissable, sur toutes les régions du globe. Ecclesia romana quæ cæterarum est mater et domina ex quâ fides christiana primùm ac semper uti e fonte perenni in omnes terrarum regiones defluxit ac perpetuò defluet.

En reprenant d'une manière libre et spontanée la liturgie romaine, les évêques de France n'ont donc fait, de nos jours, qu'un acte de sainte et légit me réparation en reconnaissant, aux bulles pontificales, toute leur valeur et en leur rendant, dans la pratique, une force de loi contre laquelle on n'avait pu prescrire.

Le clergé soissonnais, en apprenant ce retour de son évêque à une liturgie que deux fois déjà l'Eglise-Mère avait remise entre ses mains, n'a pu éprouver qu'un sentiment de joie filiale, celle de donner à son évêque et surtout à l'église romaine, une nouvelle preuve de son inaltérable et respectueuse soumission; et nous ne pensons pas qu'un seul prêtre de ce diocèse, remis en communion si intime de prières, de louanges, avec l'église catholique sa mère, voulut l'échanger à l'avenir contre toute autre liturgie, quelque fût d'ailleurs sa perfection.

de la divergence des rites qui existaient dans ces diocèses composés d'autres fractions diocésaines, songèrent-ils pendant longtemps à faire un choix judicieux entre ces rites divers. Animés d'un grand esprit de conciliation, leur but, en créant avec les débris de ces liturgies locales l'unité d'une liturgie diocésaine, était de donner à tous ces diocèses déshérités une satisfaction légitime. Heureusement, ce projet qu'on élabora avec assez peu d'ensemble pendant plusieurs années, rencontra des obstacles insurmontables sur sa route. Hâtons-nous de dire que ces essais, loin de retarder le retour à la Hiturgie de Rome, n'ont fait que la précipiter.

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