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Sous les Carolingiens, les transformations intérieures modifièrent complétement le pouvoir royal dont le caractère fut tout autre après la conquête de l'Italie et la constitution de l'empire. Les résultats de cette expédition furent d'abord la soumission de la Lombardie et de Rome, les serments de fidélité du peuple et du pape, tandis que d'un autre côté les rapports avec l'Orient introduisaient dans l'empire d'Occident un ordre réglé de succession. Avec l'empire, l'évêque de Rome, quoique sujet, devint le premier métropolitain: mais Charlemagne concevait l'empire comme une puissance plus élevée 1. Avec lui l'empire prit un caractère religieux, ce qui modifia les bases juridiques de la royauté. L'autorité fut considérée comme transmise par Dieu et un des premiers devoirs du roi fut de protéger l'église et les clercs, de mettre à exécution les lois et les prescriptions religieuses. L'Église entra ainsi dans la constitution de l'État et le roi eut désormais à son égard des droits comme des devoirs. L'idée que le pouvoir royal venait de Dieu eut pour conséquence de faire prédominer ici l'élément moral, de donner à la royauté un caractère de droit public au lieu du caractère privé qu'elle avait auparavant'. En outre, comme les institutions communes avaient un caractère purement personnel, le pouvoir du peuple

1 Il fallait que tous prêtassent un nouveau serment de fidélité. Cap. Aquisgr. 802, c. 2 (Leges, I, 91).

2 Bouquet, V, 708 : « quia per misericordiam dei regna terra gubernare videmur. » Capit. 787 (leges, 1, 52) : « episcopia, monasteria nobis christo propitio ad gubernandum commissa. » Cf. Waitz, Verfassung, III, 200, et Læning, Geschichte des deutsch. Kirchenrechts, Strasbourg, 1878, V. I, II.

3 Waitz, Verfassung, III, 192, note 1, cite une lettre inédite d'Alcuin fort intéressante : « Dum dignitas imperialis a deo ordinata ad nil aliud exaltatú esse videtur nisi populo præesse et prodesse, proinde a deo datur electis potestas et sapientia, potestas, ut superbos opprimat et defendat ab improbis, sapientia, ut regat et doceat pia sollicitudine subjectos » cet.

Cap. Aquisgr. 825, c. 3 (I, 243). « Sed quamquam summa hujus ministerii in nostra persona consistere videatur, tamen et divina auctoritate et humana ordinatione ita per partes divisum esse cognoscitur, ut unusquisque vestrum in suo loco et ordine partem nostri ministerii habere cognoscatur. »

passa au second plan, laissant subsister selon les anciens principes le devoir de suivre le roi'. La conséquence nécessaire de tout ceci était de donner aux personnes qui approchaient le roi par leur situation dans l'église ou dans l'administration le droit de rendre des avis décisifs dans l'exercice de leurs fonctions. Enfin soit par souvenir de ce qui existait auparavant, soit que cela fût le résultat du temps qui n'admettait pas la séparation du droit public et privé, cette situation d'être dans l'entourage du roi prit un caractère tout particulier. Le rapport personnel absorba le rapport social, et cela jeta ainsi le germe qui devait amener la dissolution de cet état social et la séparation de chaque individu selon la situation qu'il occupait.

§ 43. Anstrustions. Leudes. Bénéficiaires. Vassaux 2.

I. A l'époque mérovingienne comme dans les temps. antérieurs (§ 15), nous trouvons autour du roi une troupe de fidèles, la Trutis regia, dominica 3, les antrustions.

1 Alcuin, Epist. 127. « Populus juxta sanctiones divinas ducendus est, non sequendus, et ad testimonium personæ magis eliguntur honestæ. Nec audiendi qui solent dicere: Vox populi vox Dei, cum tumultuositas vulgi semper insaniæ proxima sit. »

Il faut encore insister sur deux points. D'abord la transmission en fait de la royauté aux Austrasiens. C'est à Heristall, Worms, Ingelheim et Aix-la-Chapelle que Charlemagne se tenait le plus ; c'est là où il fut enterré et où son fils fut couronné empereur. Rome, où Charlemagne ne resta que quelques instants et où son fils n'alla jamais, n'eut sous ces règnes aucune importance. Secondement, l'indépendance de la dignité impériale de la consécration par le pape. Charlemagne donna lui-même la couronne à son fils. Voyez Waitz, III, 217, 222.

Paul Roth, Geschichte des Beneficiawesens von den æltesten Zeiten bis in's zehnte Jahrh., Erlang. 1850; Waitz, II, 226 ss., 429, 616 ss., III, 451 ss., IV, 151-305; Waitz, Ueber die Anfænge der Vasallitæt. Gætt. 1856, 4; Waitz, Die Anfange des Lehenwesens in v. Sybel Histor. Zeitschr. I, 90 ss.; P. Roth, Feudalitæt u. Unterthanenverband. Weim. 1863; Braumann, De leudibus in regno Meroving. Berol. 1865; Maximin Deloche, La trustis et l'antrustion sous les deux premières races. Paris, 1873; Fustel de Coulanges, Les origines du régime féodal dans la Revue des deux mondes, 1873, 1874.

Sur l'étymologie du mot et sa parenté avec trost, traust, signifiant mundium, potestas, voyez Grimm, Rechtsalterthümer, 275 et 603.

Ils ne forment point un état particulier, ils n'ont aucune dignité héréditaire ; ce sont des personnes choisies par le roi parmi les Francs, les Romains et même parmi les non libres. Ils prêtent entre les mains du roi un serment de fidélité absolue et peuvent être congédiés par le roi selon sa volonté. Ce sont les compagnons, les serviteurs et les camarades du roi, ce qui leur donnait naturellement une influence qui se traduisait juridiquement par le triplement de leur wergeld .

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II. — Plus le pouvoir royal fit de progrès, plus s'éleva la position de ces fidèles, ce qui contribua beaucoup à écarter la participation des hommes libres aux affaires publiques. A cette époque, comme toujours, on s'imaginait qu'une nombreuse suite était le signe de la puissance,

1 D'après Montesquieu, Esprit des lois, XXX, 22, ils se rattacheraient à l'ancienne noblesse; de même Maurer, Adel, 87; Eichorn, Rechtsgeschichte § 47; Savigny, Vermischte Schriften, IV, 30; contre Roth, Beneficialwesen, 119. Quoique les antrustions ne rentrassent point dans la compétence de tribunaux spéciaux, il y avait ici quelques particularités. Voyez Brunner, Zeugen und Inquisitionsbeweis, p. 40; Sohm, Process der lex Salica, 187, 199; Waitz, II, 166. En dehors du roi, la reine et même quelques dues avaient des antrustions, Waitz, II, 267 et s.

Lex Sal. XLI, 5. « Si quis vero Romano homine conviva rege occiderit cui fuerit adprobatum, 12000 dinarios qui faciunt solidos 300 culpabilis judicetur. » Recap. L. Sal. c. 30. « Inde ad solidos 900, ut si quis Romanum vel lidum in truste dominico occiserit. » Merkel, p. 99. Eod., p. 97, c. 33. « Solidos 900, ut qui antrustionem quo puer regis est, occiserit et eum ignem combusserit. »

3 Marculf, I, 18 (Rozière, I, 8). « De Regibus antrustionem. Rectum est ut qui nobis fidem pollicentur inlesam nostram tueantur auxilio. Et quia ille fidelis, Deo propitio, noster, veniens ibi in palatio nostro una cum arma sua, in manu nostra trustem et fidelita!em nobis visus est conjurasse, propterea per præsentem præceptum decernimus ac jubemus ut deinceps memoratus ille inter numero antrustionorum computetur. Et si quis fortasse eum interficere præsumpserit, noverit se virgildo suo solidis sexcentis esse culpabilem judicetur. » Voyez Roth, Feudalitat, 122; Zopfl, Rechtsgeschichte, II, 60; Waitz, II, 264.

Roth. Feudatitæt, 125.

5 Voy. note 3. Lex Salica XLI, 2; XLII, 1. Si l'autrustio était tué lorsqu'il était en service, son wergeld était triplé. Cf. Eichorn Rechtsgeschichte § 26, 47 et Roth, loc. cit. 116-119.

aussi nous voyons sous les Carolingiens quantité de personnes venir se mettre au devant du roi (se commendare) et constituer ce qu'on a appelé les Vassi, vassaili regales'. Il n'y a entre ces vassalli et les antrustions des Mérovingiens qu'une différence nominale, car les uns comme les autres prétaient un serment de fidélité', remplissaient les fonctions du palais 3, avaient un wergeld plus élevé* et étaient représentés par le roi. Cette suite du roi était considérable, aussi on utilisait ces vassaux en leur donnant des offices 7, sinon il restait à la disposition du roi 6.

En tous cas, ces vassaux, comme les antrustions, étaient sans aucun doute entretenus par le roi, lorsqu'ils étaient à la cour.

1 Dans les leges, Vassus signifie encore en partie un non libre qui est employé au service de la maison. Ainsi dans la lex Salica XXXV, 6 : «< Si quis vasso ad ministerium (quod est horogavo) aut fabrum ferrarium vel aurifice aut porcario furaverit aut occideritcui fuerit adprobatum, 1200 dinarios qui faciunt solidos 30 culpabilis judicetur. » Lex alamannorum II, LXXXI, 3 (Leges III, 73). Cf. Roth, Beneficialwesen 376; Roth, Feudalitat, 247; Waitz Verfassung II, 170. De là vint tout naturellement que cette désignation fut appliquée à des hommes libres qui entraient au service ou dans la suite du Senior, comme l'a démontré Zopfl. Peu à peu il a été employé pour appeler les serviteurs libres comme le mot Skalk dans Mariscalcus et Seniscalcus (Grimm, Rechtsalterthümer, 302.) Gasindus parait synonyme de Vassus; ainsi dans une formule de Rozière I, 9: « vel hominibus suis aut Gasindis aut amicis. » Roth, Feudalitat, 247.

Einhard. Annal. a. 757. « Tassilo more Francico in manus regis in vassaticum manibus suis semet ipsum commendavit, fidelitatemque jurejurando promisit, » extrait des Annal. Laurissens. a. 757 (Pertz I, 140).

3 Capit. Bonon. 711. c. 7; ad Theodon. vill. 821. c. 4; Roth, Feudal. p. 208 ss., 249 ss., a prouvé cette identité,

Lex Franc Chamav.. c. 3. « Qui hominem Francum occiderit, sol. 600 componat ad opus dominicum et pro fredo sol. ducentos componat. » c. 17-20; Gaupp p. 37 f; Zopfl. p. 14 ss.; Waitz IV, 275. n. 4. prennent francus antrustio; cf Roth, Feudal, 220 avec plus de raison pour Vassalus.

* Cap. 802. c. 10, 807. c. 9, 823. c. 13. et a. Cap. 786. c. 7. On trouve dans les textes des non libres désignés comme Vassalli.

6 Cap. ad Theodon. vill. l, c.

7 Baluze, Capitul. reg. Franc. II. col. 1400. 1405.

8 Hincmar, De ordine palatii c. 22. 27. (Walter, Corp. III, p. 767.

III. — Les vassaux des Carolingiens et les grands propriétaires avaient, comme autrefois les principes et les antrustions, un grand nombre de serviteurs pris parmi les non libres. Ces pueri les accompagnaient au service du roi et vivaient probablement à ses frais, tant qu'ils étaient à la cour. La disparition de l'ancienne liberté, la puissance toujours croissante des grands, l'accumulation des biens dans les mains de l'église du roi et des grands, l'impuissance des hommes libres, et en même temps la charge accablante du service militaire, devaient faire peu à peu voir en défaveur la possession de la terre à laquelle ces charges étaient attachées. Tout cela contribua à constituer la vassalité d'autant plus, que les biens des grands, exemptés de toutes charges par les comtes, offraient aux hommes libres un moyen d'améliorer leur condition.

Depuis le milieu du vir° siècle, les hommes libres n'apparaissent plus dans les sources que comme des vassaux Ce mouvement commence à Charles Martel. Dès lors les hommes libres se recommandent volontairement aux grands dont ils deviennent les vassi, vassali homi

1 Roth. Beneficialwesen. 152 a montré que pendant la période mérovingienne les particuliers n'avaient dans leur suite que des non libres. Roth. loc, cit. livre IV, cap. 1 et 2.

* Voy. note 11.

Capit. in Theod. villa 804. II, c. 9. (Leg. I, p. 133.) « De juramento, ut nulli alteri per sacramentum fidelitas promittatur, nisi nobis et unicuique proprio seniore ad nostram utilitatem et sui senioris, excepto his sacramentis quæ juste secundum legem alteri ab altero debentur. Et infantes, qui antea non potuerunt propter juvenalem ætatem jurare, modo fidelitatem nobis repromittant. » Roth. Feudal. p. 242 ss. Præcept, pro Hispan. 815 c. 6. (Walter Corp.jur. II, 291). Præc. II, (eod. p. 308); Cap. Aquisgr. a. 813. c. 16. (Leg. I, p. 189): « Quod nullus seniorem suum dimittat postquam ab eo acciperit valente solido uno, excepto si eum vult occidere, aut cum baculo cædere, vel uxorem aut filiam maculare, seu hereditatem ei tollere. » Cap. Pipp. a. 789. c. 12. 13. (Leg. I. p. 71.): « Stetit nobis de illos liberos Langobardos, ut licentiam habeant se commendandi ubi voluerint, si seniorem non habuerit, sicut a tempore Langobardorum fecerunt, in tantum quod ad partem comite sui faciat rationabiliter quod debet. » Divis. imper. a. 806 c. 10. Leg. I. p. 112). « Et unusquisque liber homo post mortem domini sui licentiam habeat se commendandi inter hæc tria regna ad quemcunque voluerit. Si

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