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Ceux-ci pouvaient bien, à la vérité, aliéner leurs propriétés, à charge d'une redevance annuelle et perpétuelle, mais je ne vois nulle part qu'ils eussent la faculté d'exercer le retrait féodal, qui exigeait nécessairement la qualité de gentilhomme possédant fief. Cependant voici un exemple du contraire. Un simple particulier, ayant aliéné, avec cause, une terre de franc aleu, pouvait la retenir lorsque son acquéreur la vendait à un autre, bien qu'il ne fut pas seigneur et qu'il ne s'agit nullement de fief

Il est vrai que le retrait féodal ne portait pas seulement sur les fiefs, et que les choses non nobles y étaient soumises, mais il supposait toujours la qualité de seigneur. Cela résulte de la définition qu'en donne le même auteur. « Le retrait seigneurial, dit-il, est un droit par lequel le seigneur de fief peut retirer, ou plutôt retenir par puissance de fief les choses vendues ou aliénées à prix d'argent par son vassal ou sujet, en en remboursant à l'acquéreur le prix principal et loyaux couts1.

102. Ainsi, en principe, ce retrait ne s'appliquait qu'aux fiefs. Mais on l'étendit ensuite aux choses non nobles. Cela est attesté par Pocquet de Livonière. Voici comment il s'exprime :

« Nous avons déjà dit que le retrait seigneurial se divise en féodal et en censuel. Le retrait féodal est celui qui a lieu dans l'aliénation des fiefs, ou choses nobles et homagées. Le retrait censuel est celui en vertu duquel le seigneur peut même retirer les choses censives aliénées par ses sujets, par contrat de vente ou équipollant à vente 2.

1 Livre 5, p. 408.

Ibid.

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103. Il est donc positif que les choses censives non nobles pouvaient faire l'objet du retrait, mais toujours fallait-il que celui qui l'exerçait eut la qualité de seigneur, ayant des sujets, c'est-à-dire, possédant une juridiction quelconque sur le lieu où était sise la chose soumise au retrait. Or, dans l'espèce que j'ai citée, il n'existait rien de pareil. Il s'agissait d'un franc aleu, vendu à un roturier, par un homme qui n'était pas seigneur, qui ne possédait pas de fief, et qui néanmoins intervient au contrat subséquent d'aliénation en qualité de rétrayant. Qu'induire de là, sinon que le retrait appartenait à tous ceux qui avaient aliéné une chose censive?

Je ne serais pas embarrassé de citer des exemples analogues, bien qu'ils soient assez rares1. Mais cela serait inutile. Aujourd'hui l'étude du droit féodal est complètement abandonnée, par la prétendue raison qu'elle ne sert plus à rien. J'ai fait comme tout le monde, et ne m'en suis jamais occupé que très-superficiellement. Je dois cependant prévenir qu'elle sera longtemps d'une très-grande utilité pour la connaissance de notre droit fiscal, qui est sorti tout façonné des mains de la féodalité.

104. Mais cette singularité s'explique quand on remonte à la nature du contrat d'aliénation. C'était un véritable bail à emphyteose perpétuelle, que nos ancêtres nommaient accapitum. Or, d'après les principes du droit romain, suivis en Provence, le seigneur d'emphytéose avait le droit de retenir la chose vendue. Ce

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droit de rétention s'était même amplifié, et il était devenu presque semblable au retrait féodal. En effet, Pothier, comparant entre eux le retrait féodal et le retrait censuel, dit que le premier est le droit de retenir la chose déjà vendue, jus prælationis in re jam vendita; et le second le droit de retenir une chose à vendre, jus prælationis in re vendenda1. C'est-à-dire que, pendant un certain délai, après la confection de l'acte de vente, le seigneur de fief pouvait exercer le retrait, tandis que le seigneur d'emphytéose n'avait que le droit d'être préféré à l'acquéreur; ce qui signifie que si, après avoir été averti de l'aliénation projetée, et avoir été mis en demeure d'exercer son droit de prélation, il laissait l'aliénation s'accomplir, il en était déchu.

105. Cependant le contraire avait lieu en 1423, puisque lorsque mon ancêtre exerça son droit de prélation sur l'immeuble qu'il avait précédemment aliéné, la nouvelle vente était parfaite, et qu'il usa d'un privilège qui, d'après les principes du droit féodal, n'appartenait qu'au seigneur de fief. Il exerça donc un véritable retrait, au lieu d'un simple droit de prélation. Ce fait valait la peine d'être noté.

106. La quatrième observation s'applique à la manière insolite et extraordinaire dont l'acte se termine. Il paraîtra bizarre qu'on eut choisi le cimetière pour passer une convention de vente. Voulait-on par la lier encore plus fortement les contractants, et leur inspirer un plus grand respect pour la foi jurée? Car il était d'usage de leur faire prèter serment manu tactis scripturis. Je l'ignore. Mais il est positif que, sur cent actes passés dans une commune rurale, plus de la moitié se

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faisaient dans le cimetière. A l'exception des testaments faits en cas de maladie, tous les actes se passaient en public. La rue, les places publiques, servaient de cabinet au notaire, et rarement il se renfermait dans son étude, ou boutique, comme on disait alors. Dans presque tous les cas, le public était invariablement admis à la confidence. Quand le notaire instrumentait chez lui, la formule finale usitée était celle-ci actum in apotheca mei notarii, præsentibus, etc.

107. Au reste, les notaires n'étaient pas seuls à recevoir et à rédiger leurs actes en public. La justice seigneuriale s'administrait également sur la place publique, à l'exemple de ce que pratiquaient jadis nos comtes de Forcalquier qui, selon la tradition encore existante, rendaient la justice assis sur l'escalier du clocher de l'église. Les actes notariés relatent plus d'une fois des jugements rendus par les baillis, in platea publica, super banco fusterio pro tribunali sedente 3. 108. On aura remarqué que le seul témoin mentionné dans l'acte, le notaire ayant oublié le second, est qualifié noble. Nobilis Isnardus Amalrici. A ce sujet, je dirai

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Aux ides de février 1217, Raymond Béranger, comte de Provence, concéda des privilèges importants à la ville de Forcalquier. L'acte porte: Actum in castro Forcalquerii, ante ecclesiam Beato Mariæ, et comes stabat in scalariis quo ascenditur ad cloquerium. - Registre des privilèges de Forcalquier, fos 11 et 45.

De bois. Du provençal fusto.

3 Notum sit quod, constitutus personaliter in presentia mei Guillelmi de Bolleriis, vicarii, notarii et vice judicis tocius vice comitatus Rellanie,in revellino postalis sancti Petris Castri sancti Michaelis,supre quodam baneum lapideum, ubi curia solita ut teneri, more majorum, pro tribunali sedente, probus vir, etc. (Acte du 24 avril 1447. Notaire de Boulien. Fo 110. Notaire Esmieu.) Il s'agissait de tutelle.

que, dans les XIVe et XVe siècles, il existait dans nos contrées un grand nombre de familles qui prenaient cette qualification. Il en reste fort peu maintenant. Quelquesunes ont changé de nom, en prenant celui d'une terre. D'autres se sont éteintes, ou leurs descendants sont tombés dans la misère. Il est des paysans dont plus d'un marquis envierait la généalogie.

D'où venaient tous ces gentilshommes? Car ils l'étaient indubitablement. Ils l'étaient à tous les titres. Si la noblesse indique l'exemption du servage, ce dont on ne saurait douter, les races dont je parle avaient droit à cette qualification. Elles étaient libres, franches, ingénues, à une époque où la France et l'Europe entière étaient courbées sous le joug de la féodalité, alors toute toute puissante. Peut-être, appartenaient-elles à la noblesse gauloise déchue de ses privilèges par la conquête romaine, et surtout par celle des barbares du nord.

109. L'acte du 20 juin 1423 n'est signé,ni par les parties ni par les témoins, ni par le notaire. Quant aux parties et aux témoins, eussent-ils su signer, ce que j'ignore, cette formalité n'était pas nécessaire. Il y a plus, c'est qu'elle était inusitée. On ne la rencontre dans les actes que vers le milieu du XVIe siècle. Dans les temps antérieurs, je ne connais pas d'exemple du contraire, bien que je puisse compter par milliers les actes qui ont passé par mes mains.

110. La signature du notaire n'était pas non plus indispensable à la perfection de l'acte. Les uns l'omettaient souvent; d'autres toujours. Quant à ceux qui signaient, leur nom n'était pas détaché du corps de l'acte, ainsi que cela se pratique aujourd'hui; il était mis purement et simplement à la fin de la dernière

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