Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Il y avait, à cette epoque, un tel laisser aller, que Guillaume de Bouliers, notaire, exerçant à Mane, reçut à Coni, en Piémont, l'acte de vente d'une campagne sise à Reillanne. Le vendeur se nommait Vercelius Marcelli, et l'acheteur était Pierre Devoulx, de Montjustin 1.

Ceci s'explique, quand on saura que les comtes de Provence étaient aussi comtes de Piémont, et que, de plus, certains notaires par eux institués avaient qualité pour instrumenter dans tous les pays possédés par eux.

Ainsi, par lettres patentes données à Avignon le 4 avril 1348, 1re indiction, et la sixième année du règne de la reine Jeanne, François Marcellin fut nommé notaire avec pouvoir d'instrumenter par toute la Provence.

Johanna, etc. Francisco Marcellini de Tharascone, fidelis noster, et quod de genere fidelium ortus ac de legitimo matrimonio natus et laicus, etc. Constituimus spiem notarium seu tabellionem publicum per totam terram nostram comitatuum predictorum, dantes eidem Francisco licentiam et auctoritatem plenariam acta eorum conficiendi et scribendi contractus et ultimas decedentium voluntates, etc 2.

122. Les notaires se servaient, pour inscrire leurs actes, de papier de coton très-fort. Pendant les XIVe et XVe siècles, et dans le cercle que j'ai parcouru, je n'en ai pas trouvé d'autre. Les fabricants employaient quelquefois un moyen assez singulier pour en augmenter

Acte du 2 avril 1457. Notaire G. de Bouliers, fo 13. vo. Notaire Esmieu.

Archives de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Crucis et potentiæ, fo 14.

l'épaisseur. Ils ne lissaient qu'une des faces de la feuille; ils en rapprochaient deux ensuite, en les mettant en contact par leur surface brute, et les collaient au moyen d'un agglutinatif. Il m'est arrivé plus d'une fois de dédoubler complètement et sans peine certaines feuilles qui étaient demeurées en blanc.

123. La forme que les notaires employaient n'étaient pas toujours semblable, quoiqu'il s'agit d'actes de la même nature. Je crois que cela dépendait beaucoup de l'importance de la convention que l'acte constatait. Ainsi, s'agissait-il d'une vente considérable, d'une donation, d'un contrat de mariage, ordinairement le notaire. n'omettait aucune des formalités usitées en pareil cas : mais la rédaction était plus simple quand l'objet de la convention était de médiocre valeur. Voici un exemple de cette dernière espèce d'actes.

124. In nomine domini nostri Jesuchristi amen. Anno ab incarnatione ejusdem millesimo tricentesimo quinquagesimo octavo, die vicesima sexta mensii februarii XII indictione, ex hujus publici documenti serie universis et singulis tam presentibus quam futuris liqueat evidenter, quod cum Johannes Augerii habitator Forcalquerii, emerit titulo que perfecte et irrevocabilis emptionis habuerit et adquesiverit a Guillelmo Arnaudi de Forcalquerio, quandam domum cum quodam orto situm et sitam infra locum Forcalquerii in parrochia sancti Johannis, que confrontantur, etc. ad habendum, tenendum, possidendum, vendendum, donandum, permutandum, alienandum et alias quicquid sibi et suis placuerit perpetuo faciendum, precio quinque florenorum auri de Florencia, pro ut de premissis omnibus, predicti emptor et venditor, constare asserunt quadam nota publicà manu Hugonis Girardi notarii publici

sumpta, et nihilominus dicunt et asserunt predictam domum et dictum ortum teneri et possideri, sub dominio et senhoria magnifici et spectabilis viri domini Fulconis de Agouto, extrenui1 militis, vallium saltus et Relanie domini, videlicet dicta domus ad servicium unius emine consegalhi 2, et dictum ortum ad servicium denariorum sex, predicto domino et suis in festo natalis domini solvendorum singulis annis. Hinc ut quod venientes predicti emptor et venditor, ad presenciam nobilis Jacobi Muti, vicarii domini Fulconis predicti, eumdem, cum qua convenit instantia, requisiverunt quatenus predictam domum et dictum ortum et alias venditionem pretactam, nomine et pro parte dicti domini Fulconis, ipsi emptori laudare, confirmare, amologare, debeat et ratificare; cui quidem nobilis Jacobus vicarius, hujusmodi requisitione audita, eaque admissa, ut pote juri consona, et pariter rationi, certificatus de predictis venditione et precio, ac aliis supra dictis, per notam predictam, ut dicebat, predictam venditionem ipsi emptori presenti et pro se et suis stipulanti et recipienti solemniter, laudavit, confirmavit, aprobavit, amologavit et ratificavit, ipsumque de ipsa venditione seu dictis domo et orto, ut moris est, per policem investivit, nomine domini antedicti, jure ipsum domini Fulconis et cujuscumque persone alterius in omnibus seruper salvo; retento ipsi domino et suis dominio et senhoria in predictis domo et orto, ac serviciis supra dictis, singulis annis, ipso domino et suis, exolvendis, jureque laudandi et laudinium habendi et precipiendi perpetuo, si venderentur, permutarentur aut in solu

1 Strenui.

Seigle. Du provençal consegaou.

tum traderentur; salvoque etiam et retento termino dierum quadraginta ad retinendum dictas possessiones si voluerit, dicto precio nomine domini mémorati, non obstante laudatione et aprobatione per eum facta, nec non quod dicte possessiones aut ipsarum altera non possit vendi distrahi aut alienari in personas religiosas, eclesiasticas, aut alias prohibitas de consuetudine vel de jure et laudimium seu trezenum, propterea debitum, dictus Johannes emptore jam dicto, nobili Jacobo vicario supradicto, nomine et pro parte dicti domini Fulconis, recipienti, in pecunia numerata, solvit tradidit et realiter assignavit; de quibus omnibus universis et singulis supra dictis idem Johannes Augerii instrumentum publicum sibi fieri postulavit actum Forcalquerio1, etc. >>

125. Sauf quelques redondances, cet acte est bien rédigé, et sa forme n'a rien d'extraordinaire. Il révèle cependant des usages, aujourd'hui bien loin de nous, et qui méritent qu'on s'y arrête un instant, car c'était au même titre que la bourgeoisie possédait une grande partie de ses biens.

126. L'acte dont il s'agit, qui n'est autre chose que la ratification d'une vente par le seigneur foncier, porte que le prix a été payé en cinq florins d'or de Florence. Quelque fût le poids de ce florin, et sa valeur intrinsèque, et en admettant qu'il dépassat de quelque chose la valeur du florin de Provence, on est frappé de l'énorme avilissement que l'or a subi. En 1358, on achetait pour une somme qui n'équivaut pas assurément à cent francs de notre monnaie actuelle, deux immeubles qui vaudraient aujourd'hui de 1,500 à 2,000 francs. Etant du pays, et sachant où ces immeu1 Notaire Guill. Autric, fo 28. Notaire Mille, à Manosque.

bles étaient situés, je puis en parler en connaissance de cause.

127. Il est constant qu'à cette époque le florin de Florence avait cours légal en Provence. Si l'acte du 26 février 1358 ne le dit pas expressément, d'autres sont plus explicites. Parmi ceux que je pourrais citer, j'en choisirai un du même notaire qui s'en exprime clairement : « Vendidit et tradidit dictam ferraginem 1 precio quinquaginta quinque florenornm auri de Florencia, boni ponderis et legalis, etc. » Cela ne laisse pas de doutes, car pour que le poids du florin fùt légal, il fallait que cette monnaie circulât légalement.

128. L'acte de 1358 parle de Jacob Muti, vicaire, ou viguier, ainsi qu'on nomma plus tard le réprésentant d'un seigneur. C'était une sorte d'intendant qui avait charge de percevoir les droits seigneuriaux, de ratifier les ventes de terres soumises à des redevances, et de concéder des emphytéoses. Cet office était affermé annuellement. Il était très-couru par la bourgeoisie, et il n'était pas rare de voir les plus huppés s'en charger.

129. Mais l'investiture, ou, pour mieux dire, la forme. est ce qu'il y a de plus remarquable dans cet acte. Ordinairement elle se faisait, le vassal mettant la main dans celles de son seigneur : ici elle a lieu par l'attouchement du pouce, mode d'ailleurs très usité, et dont je pourrais rapporter de nombreux exemples. Peut-être était-ce parce qu'il n'y avait aucun rapport de sujétion et de suzeraineté entre l'investi et l'investissant, car Foulque d'Agout n'était que seigneur foncier des immeubles

1 Ferraginem. Terre à blé, verger. Du provençal farrayo. Ce mot vient du latin farrago. Du Cange, gloss. vo farrago.

2 Acte du 17 avril 1343, fo 9. Notaire Mille, à Manosque.

« AnteriorContinuar »