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vaient aller passer le temps des vacances. Quand ils n'étaient pas engagés par les charmes seuls de la campagne, le désir de soutenir leur rang pouvait les porter à faire une acquisition de ce genre. A coup sûr, la chasse avait peu d'attraits pour Chavaudon; il en avait affermé le droit dans sa terre de Chavaudon moyennant 40 livres et douze lapins par an; mais il avait le goût de la propriété et de l'administration qui en est la conséquence. Le principal ornement de la grande salle de son château de Sainte-Maure était un « tableau fort grand où était représenté le plan du château, de ses jardin, enclos et parterre.» Ce château, dont les dimensions étaient assez vastes, était meublé avec une sorte de simplicité noble. Il contenait un vestibule servant de salle à manger, avec des chaises couvertes en peau, des tapisseries de haute lisse sur les murs, une fontaine de cuivre rouge; la salle garnie de meubles et de tentures de haute lisse; un escalier avec lanterne et pendule; des chambres à coucher meublées sans luxe, mais convenablement. Une vaste salle de billard avec son billard garni de billes montrait, avec une table de trictrac située dans le salon, que dans l'intérieur austère du magistrat on se permettait les délassements du jeu et de la société.

Chavaudon s'y livrait-il lui-même ou les laissait-il à ses enfants? Ses multiples occupations lui en donnaient-elles le temps? Il aimait à écrire; c'était ce qu'on appelle un paperassier, et le supplément à son testament, qui a été conservé, montre avec quel soin il s'occupait de ses biens. Ce supplément, qui contient 54 pages in-folio couvertes d'une écriture nette et courante, est rempli de détails sur ses propriétés et sur le partage qu'il en fait entre ses enfants. On peut se demander, en le lisant, quelles devaient être les dimensions du testament. Précautions minutieuses, mais superflues; car ce volumineux testament put être incriminé de n'être autre chose qu'un acte de partage après décès. Il attestait en tout cas la sollicitude du père de famille et l'activité de l'administrateur.

Sa fortune personnelle s'était accrue par ses mariages, ses économies et ses héritages. Ses deux femmes avaient apporté plus de 140,000 francs en dot; il avait hérité de ses frères, MM. de Fouchères et de Laheuré; plus tard, de son frère l'abbé, qui lui avait laissé sa maison de Paris, rue Saint-Louis-au-Marais, et 80,000 livres en contrats de rentes; de sa mère, qui lui légua 90,000 livres, tout en substituant différents biens à son petit-fils; de ses parents plus éloignés, Mme de Saint-Pierre et Pierre Pithou. Aussi n'est-il pas surprenant qu'après avoir marié et doté largement ses enfants, Chavaudon possédât, outre ses terres et ses charges, des actions de la Compagnie des Indes et cinq contrats de constitution de rentes s'éle

vant à 63,350 livres. Les biens mobiliers prenaient une place de plus en plus grande dans les fortunes, à l'accroissement desquelles elles contribuaient plus que les biens-fonds.

Chavaudon avait marié en 1700 sa seconde fille, Élisabeth Louise, à Charles Le Boullanger, conseiller au Parlement de Paris. Il lui avait donné 150,000 livres des biens de sa mère et en avancement d'hoirie. Sur ces 450,000 livres, il y avait seulement 30,000 livres en biens-fonds; le reste était en constitutions de rentes, argent comptant et placé sur les gabelles.

De son second mariage, il avait eu deux fils, Louis et Pierre Nicolas. Les hommes qui réussissaient avaient le désir de placer leurs enfants à un rang plus élevé que le leur; Paris alors, comme aujourd'hui, était l'objectif de tous ceux qui voulaient s'élever; il était naturel qu'un magistrat de province eût le désir de voir arriver ses fils aux cours supérieures de Paris. Chavaudon n'hésita pas à acquérir, en 1742, pour l'aîné une charge de conseiller au Parlement, qui valait 90,000 livres, et pour le second une charge de conseiller à la Cour des comptes, qu'il paya 62,000. Quand le premier se maria, en 1715, avec Anne-Élisabeth Le Masson, fille d'un fermier général', il lui donna 200,000 livres, y compris le prix de sa charge et la seigneurie de Chavaudon; quant au second, qui prit le nom de M. de Sainte-Maure, il ne reçut, en se mariant en 1725, que 165,000 livres.

Le lieutenant général eut la satisfaction de voir avant de mourir ses fils richement alliés, pourvus de charges importantes, et l'avenir de sa maison assuré. Son fils aîné devint président au Grand Conseil en 1728, puis président au Parlement en 1749. C'était, dit-on, un petit homme tout rond, qui n'était ni Cujas, ni Barthole, mais dont la maison passait pour excellente. Il demeurait à Paris, rue du Paradis, à côté de l'hôtel Soubise2. Le fils, comme il arrive parfois, avait plus grand train que le père.

Celui-ci conserva jusqu'à ses derniers jours la tenue, le décorum, la représentation qui convenaient à sa haute situation sociale; mais le vieillard avait moins de luxe et d'élégance que le magistrat jeune encore. Dans son hôtel de Troyes, les salles et les chambres sont toujours tendues de tapisseries de haute lisse à verdure; les lits sont garnis de damas jaune, de damas vert ou à fleurs d'or, bordé de galons d'or fin; tout révèle une certaine ampleur de vie, mais sans recherche de luxe. Des domestiques, sans doute âgés, servent le

1. Un Gilles Le Masson fut taxé à 1,200,000 1. envers l'État en 1716. (Buvat, Journal de la Régence, I, 198.)

2. Dufort de Cheverny, Mémoires, I, 95.

vieillard; une femme de charge, à qui est confiée l'argenterie, plus considérable que jamais, sans doute accrue par les héritages et qu'on estime près de 10,000 francs, un cocher, deux laquais, une cuisinière et une femme de chambre. Dans les dépendances se trouvent deux chevaux de carrosse et une berline. C'est un intérieur calme et digne, comme il sied au magistrat que l'âge a rendu plus vénérable.

Sa vieillesse est austère comme sa vie. Sa bibliothèque contient surtout des livres in-folio traitant de droit, de jurisprudence et de religion, quelques livres d'histoire et de médecine, mais point de volumes de vers, point de romans'. Le portrait de Louis XIV, le Christ sur velours dans un cadre, qui se trouvent dans ses appartements, attestent ses sentiments politiques et religieux. Il appartient au siècle de Louis XIV, à son règne, plutôt qu'au temps de Louis XV. C'est un homme d'autorité et de foi. Dans son château de SainteMaure, la chapelle est la pièce décorée avec le plus de luxe; des tableaux et des tapisseries de haute lisse à personnages en ornent les murs, et, à l'heure des offices, Guillaume de Chavaudon et sa seconde femme, Marie Perricard, venaient s'y agenouiller sur des carreaux de peluche cramoisie.

C'est dans cette attitude que l'on représente sur leur tombeau bien des hauts personnages du XVIIe siècle. Elle convient, à sa dernière heure, qu'il atteignit en 1727, à l'âge de quatre-vingts ans, au chrétien sincère, à l'infatigable magistrat qui servit pendant plus de soixante ans son roi et son pays, fidèle à sa ville natale et sachant mener de front les devoirs de sa charge et ses devoirs de famille ; heureux sans doute dans la plupart des actes de sa vie, par sa naissance, par les avantages que donnait dès lors la richesse à ceux qui en étaient doués, mais devant sans doute aussi une partie de sa prospérité à son esprit de conduite, à son amour du travail et à cette constance dans l'honorabilité de la vie qui mérite l'estime et commande le respect.

Albert BABEAU.

1. Ces livres, estimés 667 fr. par deux libraires, furent vendus 500 1. à l'un d'eux, François Bouillerot l'aîné.

ÉTUDE SUR LA CORRESPONDANCE DE NAPOLÉON Ier.

SES LACUNES.

(Suite et fin.)

Le vingt-deuxième volume de la Correspondance s'étend du 1er avril au 6 novembre 1811, du numéro 17535 au numéro 18244. 709 documents sont contenus dans 698 pages ou 88 feuilles.

Les lettres de Napoléon à Joseph, du 20 mars 1812 au 1er janvier 1814, manquent presque complètement. A peine quelques-unes, en minute, ont-elles été trouvées dans les archives des ministères; les originaux et les copies légués par le roi Joseph, à sa mort, à son exécuteur testamentaire, Louis Mailliard, enfouis par ce dernier en 4815 à Prangins, n'ont pas été retrouvés.

Quatre lettres seulement sont à la Correspondance dans ce vingtdeuxième volume; une cinquième, insignifiante, en date du 25 août, écrite en remerciement de compliments pour la fête du 15 août, n'a pas été insérée. L'Empereur, qui traitait volontiers les affaires d'Espagne par l'entremise de son ministre de la guerre et du major général, et qui semblait éviter de correspondre directement avec son frère, depuis l'établissement des gouvernements, ordonné par le décret du 8 février 1840, a écrit un grand nombre de lettres relatives au royaume. Plusieurs, d'une certaine importance, n'ayant pas trouvé place dans le tome XXII, nous allons combler cette lacune.

NAPOLÉON A BERTHIER.

Saint-Cloud, 21 avril 1811.

Mon cousin, écrivez au général Reille pour lui témoigner mon mécontentement du peu d'énergie qu'il met dans le gouvernement de la Navarre; qu'il ne prend aucune mesure; qu'il a dans la main tous les moyens de rétablir les affaires dans cette province.

NAPOLÉON A BERTHIER.

Saint-Cloud, 20 mai 1811.

Mon cousin, renvoyez au général Suchet son aide de camp Ricard, avec l'ordre de se porter sur Tarragone. Faites-lui comprendre la nécessité de laisser la brigade Klopiski pour défendre le pays du côté de la Navarre. Vous lui ferez connaître la victoire que le général Baraguey

d'Hilliers a remportée, le 3 de ce mois, sur Campoverde, qui, à la tête de douze mille hommes de ses meilleures troupes, a voulu introduire un convoi dans Figuières. Douze cents mulets qui formaient le convoi ont été pris. Cent officiers et deux mille hommes ont été faits prisonniers, et le reste tué ou dispersé dans tous les sens. Vous ferez connaître au général Suchet qu'il est malheureux que, tandis qu'il tient des forces dans les mains, il les laisse dormir, et qu'il n'ait pas profité de ces circonstances pour investir Tarragone.

NAPOLÉON A BERTHIER.

Caen, le 26 mai 1811.

Mon cousin, beaucoup de pères de famille sont dans les escadrons de gendarmerie qui sont en Espagne; on m'assure qu'on vous a envoyé l'état. Envoyez-le moi, afin que je voie si je puis en faire revenir une. partie.

Cette lettre nous a paru avoir une importance relative, parce qu'elle montre à quels détails infimes l'Empereur savait descendre, au milieu des nombreuses occupations qu'entraînaient pour lui les plus graves affaires.

NAPOLÉON A BERTHIER.

Cherbourg, le 29 mai 1811.

Mon cousin, je vous envoie votre correspondance de Portugal. Faites connaitre au duc de Raguse que j'ai nommé le général Maucune général de division. Répétez-lui qu'il est maître de renvoyer en France les généraux qui ne lui conviennent pas et d'organiser son armée de la manière qu'il jugera la plus convenable.

Ainsi, Napoléon, à cette époque, laissait à ses généraux en Espagne une latitude et des pouvoirs qu'il n'accordait pas au roi son frère; aussi, ce dernier, dégoûté du trône et des grandeurs, voulait-il renoncer à la couronne et aspirait-il à revenir en France sans fonctions. Il n'était retenu, comme nous l'avons dit plus haut, que par la crainte d'être nuisible à la cause de l'Empereur en quittant l'Espagne. Cela ressort de plusieurs lettres écrites à la reine Julie, sa femme, lettres qui ont été omises aux Mémoires et qui ont une véritable importance historique.

En voici une, datée du 9 septembre 1840:

Ma chère amie, j'ai reçu ta lettre du 20. J'attends toujours le résultat de tout ce que je t'ai écrit, ainsi qu'à l'Empereur, depuis le départ d'Almenara. D'une manière ou d'autres, les choses doivent changer. Elles ne peuvent rester longtemps dans l'état où elles se trouvent. Je fais ici une triste figure et j'en mériterais la honte si je permettais

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