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Mortefontaine, le 29 décembre 1813. Sire, la violation du territoire suisse a ouvert la France à l'ennemi. Dans de pareilles circonstances, je désire que Votre Majesté soit convaincue que mon cœur est tout français. Ramené en France par les événements, je serais heureux de pouvoir lui être de quelque utilité et suis prêt à tout entreprendre, pour lui prouver mon dévouement.

Je sais aussi, Sire, ce que je dois à l'Espagne, je vois mes devoirs et désire les remplir tous. Je ne connais de droits que pour les sacrifier au bien général de l'humanité, heureux si par leur sacrifice je puis contribuer à la pacification de l'Europe.

Je désire que Votre Majesté trouve bon de charger un de ses ministres de s'entendre sur cet objet avec M. le duc de Santa-Fé, mon ministre des affaires étrangères.

Joseph adressa de Paris une nouvelle lettre à Napoléon et une à Berthier pour la lui remettre. Voici ce qu'il mande au prince de Neuchâtel :

Je ne veux pas négliger une nouvelle tentative pour mettre l'Empereur dans le cas de connaître positivement le fond de ma pensée, je lui ai donc écrit la lettre que j'adresse sous cachet volant à V. A.

J'attends la réponse de Sa Majesté ou la lettre de V. A. pour m'établir définitivement ici ou retourner à Mortefontaine.

A la suite de cette lettre, Napoléon répondit à Joseph, celui de ses frères pour lequel il avait le plus d'estime et de considération; il lui confia les fonctions de lieutenant général, en partant pour l'armée. La correspondance reprit alors entre les deux frères, dura tout le temps de la campagne de 1814 et fut pour ainsi dire journalière. Pièces omises :

NAPOLÉON A JOSEPH.

Le 3 février 1814.

Mon frère, je reçois vos lettres du 1er ; j'aurais désiré que vous m'eussiez envoyé l'état de la situation des troupes que vous aviez le 31, à la parade, infanterie, cavalerie, soit de la garde, soit d'autres corps. J'attends pour livrer une bataille d'être renforcé des divisions d'Espagne que j'ai ordonné de diriger sur Nogent-sur-Seine.

Le 2 février, Napoléon adressa une lettre à l'impératrice MarieLouise, régente, pour lui défendre de recevoir sous aucun prétexte le roi et la reine de Westphalie, ni en public, ni incognito. Cette lettre n'est pas à la Correspondance et celle de l'Impératrice à Joseph, en date du même jour, a été omise également aux Mémoires.

NAPOLÉON A JOSEPH.

Nogent-sur-Seine, le 7 février 1814.

Mon frère, je ne vous donne point d'ordre pour Labouillerie, je ne

crois pas que cela soit nécessaire; toutefois, il faut en six heures de temps charger tout ce qu'il y a sur quinze voitures et avec des chevaux que fourniront mes écuries, pour le transporter d'abord à Rambouillet, mais je ne pense pas que les choses en soient encore là, je ne crains point l'ennemi. Je suis plein d'espérance dans l'événement1. Tenez ferme aux barrières de Paris; faites placer deux pièces de canon aux différentes barrières, que la garde nationale qui a des fusils de chasse y ait des postes; surtout, faites en sorte que le ministre de la guerre envoie des fusils à Montereau et à Meaux.

Il doit y avoir à chaque barrière 30 hommes armés de fusils d'ordonnance, 100 armés de fusils de chasse et 100 armés de piques, ce qui fait 250 hommes à chaque barrière. Vous devez former tous les jours une réserve de 4 à 500 hommes armés de fusils d'ordonnance, du double de fusils de chasse et d'un tiers armés de piques, ce qui fera une réserve de 2,000 hommes pour se porter partout où il serait nécessaire avec des batteries attelées de la garde ou de l'École polytechnique.

NAPOLÉON A JOSEPH.

Nogent-sur-Seine, le 7 février 1814. Mon frère, vous me mandez dans votre lettre du 5 que vous avez envoyé 600 hommes de cavalerie et d'infanterie à Meaux, mais vous ne me dites pas sous les ordres de quel général ni dans quelle brigade se trouvent ces troupes; vous ne me donnez aucun détail sur leur composition; cependant, ces connaissances me sont nécessaires. Il y a à Meaux 300 hommes de cavalerie, sous les ordres du général de cavalerie Saint-Germain; je lui mande d'éclairer la Ferté-sous-Jouarre.

NAPOLÉON A JOSEPH.

Nogent, le 7 février 1814, à 5 heures du soir. Mon frère, faites mettre dans le Moniteur de demain que, le 5, le duc de Vicence a donné à dîner au lord Castlereagh, ministre des affaires étrangères d'Angleterre, à lord Cathcart, au lord Aberden, plénipotentiaire au congrès pour l'Angleterre; au comte de Stadion, plénipotentiaire pour l'Autriche; au comte Rasumoffski, plénipotentiaire pour la Russie, et au baron de Humbolt, plénipotentiaire pour la Prusse, et que les négociations paraissent marcher avec activité. Cet article ne sera pas mis au Moniteur pour l'article de Paris, mais sous la rubrique de Châtillon-sur-Seine.

Le roi Louis revint en France, d'abord à Lyon, puis à Paris, où il arriva le 1er janvier 1844. Il descendit chez sa mère et adressa deux lettres à Napoléon pour lui offrir ses services. L'Empereur lui répondit:

Mon frère, j'ai reçu vos deux lettres et j'ai appris avec peine que vous

1. Napoléon, qui venait d'être battu à La Rothière (2 février), prenait alors toutes ses dispositions pour tomber sur Blucher, séparé de Schwarzenberg.

soyez arrivé à Paris sans ma permission. Vous n'êtes plus roi de Hollande, depuis que vous avez renoncé et que j'ai réuni ce pays à la France. Le territoire de l'Empire est envahi et j'ai toute l'Europe armée contre moi. Voulez-vous venir, comme prince français, comme connétable de l'Empire, vous ranger auprès du trône? Je vous recevrai, vous serez mon sujet; en cette qualité, vous y jouirez de mon amitié et ferez ce que vous pourrez pour le bien des affaires. Il faut alors que vous ayez pour moi, pour l'Impératrice, pour le roi de Rome ce que vous devez avoir.

Si, au contraire, vous persistez dans vos idées de roi et de Hollandais, éloignez-vous de quarante lieues de Paris. Je ne veux pas de position mixte, de rôle tiers. Si vous acceptez, écrivez-moi une lettre que je puisse faire imprimer.

Louis eût bien voulu concourir à la défense de l'Empire, mais sa santé délabrée ne lui permettait même plus de monter à cheval. Napoléon le reçut une fois encore, le 23 janvier 1844, veille de son départ pour l'armée. Louis lui écrivit presque chaque jour, lui prêchant de faire la paix. L'Empereur ne lui répondit pas, mais, le 8 février, il adressa de Nogent-sur-Seine à Joseph, qui lui laissait entrevoir le désir de faire quitter Paris à l'Impératrice, une longue lettre des plus importantes et qui a été écourtée à la Correspondance. Nous croyons devoir la reproduire ici :

Mon frère, j'ai reçu votre lettre du 7 à onze heures du soir; elle m'étonne beaucoup. J'ai lu la lettre du roi Louis, qui n'est qu'une rapsodie. Cet homme a le jugement faux et met toujours à côté de la question.

Je vous ai répondu sur l'événement de Paris pour que vous ne mettiez plus en question la fin qui touche à plus de gens qu'à moi. Quand cela arrivera, je ne serai plus; par conséquent, ce n'est pas pour moi que je parle. Je vous ai dit, pour l'Impératrice et le roi de Rome et notre famille, ce que les circonstances indiquent, et vous n'avez pas compris ce que j'ai dit. Soyez bien certain que, si le cas arrivait, ce que je vous ai prédit arrivera infailliblement je suis persuadé qu'elle-même a ce pressentiment.

Le roi Louis parle de la paix, c'est donner des conseils bien mal à propos; du reste, je ne comprends rien à votre lettre. Je croyais m'être expliqué avec vous; mais vous ne vous souvenez jamais des choses, et vous êtes de l'opinion du premier homme qui parle et qui reflète cette opinion.

Je vous répète donc en deux mots que Paris ne sera jamais occupé de mon vivant. J'ai droit à être cru de ceux qui m'entendent.

Après cela, si, par des circonstances que je ne puis prévoir, je me portais sur la Loire, je ne laisserai pas l'Impératrice et mon fils loin de moi, parce que, dans tous les cas, il arriverait que l'un ou l'autre serait REV. HISTOR. XXXIV. 1er FASC.

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enlevé et conduit à Vienne; que cela arriverait bien davantage si je n'existais plus. Je ne comprends pas comment, pendant ces menées auprès de votre personne, vous couvrez d'éloges si imprudents les propositions de traîtres si dignes de ne conseiller rien d'honorable; ne les employez jamais, même dans le cas le plus favorable. C'est la première fois, depuis que le monde est monde, que j'entends dire qu'en France une population de 300,000 hommes assiégée ne pourrait pas vivre trois mois.

J'avoue que votre lettre du 7, à onze heures, m'a fait mal, parce que je ne vois aucune tenue dans vos idées et que vous vous laissez aller aux bavardages et opinions d'un tas de personnes qui ne réfléchissent pas. Oui, je vous parlerai franchement. Si Talleyrand est pour quelque chose dans cette opinion de laisser l'Impératrice à Paris, dans le cas où l'ennemi s'en approcherait, c'est trahir. Je vous le répète, méfiez-vous de cet homme! Je le pratique depuis seize ans, j'ai même eu de la faveur pour lui; mais c'est sûrement le plus grand ennemi de notre maison, à présent que la fortune l'a abandonnée depuis quelque temps. Tenez-vous aux conseils que j'ai donnés, j'en sais plus que ces gens-là.

S'il arrivait bataille perdue et nouvelle de ma mort, vous en seriez averti avant ma maison. Faites partir l'Impératrice et le roi de Rome pour Rambouillet; ordonnez au Sénat, au conseil d'État et à toutes les troupes de se réunir sur la Loire; laissez à Paris un préfet ou une commission impériale ou des maires.

Le reste de la lettre comme à la Correspondance, vingt-septième volume, page 154, sauf la dernière phrase retranchée et que voici : Quant à Louis, je crois qu'il doit vous suivre. Sa dernière lettre me prouve toujours qu'il a la tête trop faible et qu'il vous ferait trop de mal. Cette lettre et celle du 16 mars prouvent que Napoléon avait l'intention de mourir si l'ennemi parvenait à le battre et à s'emparer de Paris. En effet, on sait qu'à Fontainebleau, la nuit de son abdication, lorsqu'il sut qu'après la trahison de Marmont à Essones ses propositions étaient rejetées, il chercha à s'empoisonner.

NAPOLÉON A JOSEPH.

Nogent, le 8 février 1814, à 3 heures après midi. Mon frère, j'ai envoyé à l'Impératrice une notice pour le Moniteur. Si vous recevez cette lettre avant 5 heures du matin et que l'insertion de cet article puisse être retardée, je désirerais qu'elle le fût de 48 heures, parce que l'ennemi apprendrait trop tôt par cette notice ma position et mes projets, ce qui est toujours un inconvénient.

NAPOLÉON A JOSEPH.

Guignes, le 17 février 1814, à 4 heures du matin.

Mon frère, je vous envoie un rapport du ministre de la guerre adressé

à Labouillerie. Vous y verrez que je mets deux millions à la disposition du ministre de l'administration de la guerre, pour les remontes de Versailles, et que, sur ces deux millions, cinq cent mille francs ont été payés avant mon départ. Cependant, on se plaint de manquer de fonds. Il parait que le dépôt de remontes ne va pas. Faites-vous rendre compte des achats de chevaux qui ont été faits, tant par des marchés qu'autrement. Mon intention est d'employer ces deux millions en remontes, mais c'est de la cavalerie que je veux avoir promptement. Il parait qu'on a acheté jusqu'à présent bien peu de chevaux.

Le 24 février 1814, Napoléon adressa à Joseph une longue lettre, relative à son frère Jérôme, lettre écourtée aux Mémoires et complètement omise à la Correspondance; nous allons la donner dans son entier, mais après avoir dit quelques mots sur les relations de Jérôme et de Napoléon depuis le retour en France du premier. Jérôme, étant à Mortefontaine chez Joseph, où il se trouvait avec Madame sa mère, et cédant aux instigations de cette dernière, crut devoir faire une tentative pour se rapprocher de l'Empereur. Il vint à Paris, la veille du départ de Napoléon, et lui adressa un de ses chambellans, le comte de Wokenberg, porteur d'une lettre. L'Empereur reçut gracieusement le messager et envoya à Jérôme son grand maréchal pour lui dire qu'il n'était pas encore temps de le voir, qu'il pouvait retourner à Mortefontaine ou à Compiègne, qu'il n'était nullement malheureux et n'avait pas besoin de ses services. Jérôme, là-dessus, revint à Mortefontaine où il appela la reine Catherine, alors à Compiègne. Ayant fait faire une nouvelle tentative par Joseph auprès de Napoléon, ce dernier répondit, le 21 février 1814, à son frère aîné par la lettre suivante :

Mon frère, voici mes intentions sur le roi de Westphalie. Je l'autorise à prendre l'habit de grenadier de ma garde, autorisation que je donne à tous les princes français (vous le ferez connaître au roi Louis. Il est ridicule qu'il porte encore un uniforme hollandais). Le roi donnera des congés à toute sa maison westphalienne. Ils seront maîtres de retourner chez eux ou de rester en France. Le roi présentera sur-le-champ, à ma nomination, trois ou quatre aides de camp, un ou deux écuyers et un ou deux chambellans, tous Français, et pour la reine deux ou trois dames françaises pour l'accompagner. Elle se réservera de nommer dans d'autres temps sa dame d'honneur. Tous les pages de Westphalie seront mis dans les lycées et porteront l'uniforme des lycées. Ils y seront à mes frais. Un tiers sera mis au lycée de Versailles, un tiers au lycée de Rouen et l'autre tiers au lycée de Paris.

Immédiatement après, le roi et la reine seront présentés à l'Impératrice et j'autoriserai le roi à habiter la maison du cardinal Fesch, puisqu'il paraît qu'elle lui appartient, et à y établir sa maison. Le roi et la

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