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si étendues de M. de Beaucourt, fournira longtemps encore matière aux travaux des historiens. M. COSNEAU a repris l'histoire du règne à un point de vue spécial en écrivant la biographie d'Artur de Bretagne, connétable de Richemont (Hachette), avec une abondance de détails et de documents qui laisseront peu à glaner après lui. Le rôle de Richemont soulevait une question intéressante. Artur de Bretagne avait-il poursuivi dans sa longue carrière des vues d'intérêt personnel ou avait-il subordonné ses ambitions bretonnes à ses devoirs de grand officier de la couronne? M. Cosneau nous paraît avoir bien déterminé son rôle. Jusqu'au moment où il reçoit l'épée de connétable, en 1424, il est surtout préoccupé des intérêts de sa maison, mais à partir du jour où il a reçu cette haute dignité, il poursuit sans relâche et avec autant d'énergie que d'habileté la réconciliation du roi avec le duc de Bourgogne, qui seule peut ruiner sans retour la domination anglaise en France. S'il emploie des moyens violents et répréhensibles pour s'assurer une influence toute-puissante, il lui restera toujours l'honneur d'avoir préparé le traité d'Arras, écrasé la Praguerie, dirigé les réformes militaires de Charles VII et achevé l'expulsion des Anglais. L'ouvrage de M. Cosneau à un autre point de vue forme la préface du livre de M. Dupuy sur la réunion de la Bretagne à la France. C'est un honneur pour l'Université d'avoir dans ces deux œuvres, où une érudition solide est vivifiée par des vues historiques originales, élucidé une partie considérable de l'histoire du xve siècle.

Le curieux travail de M. J.-M. RICHARD Sur Mahaut, comtesse d'Artois et de Bourgogne, 1302-4329 (Champion), se rapporte moins à l'histoire des faits qu'à l'histoire des mœurs; c'est surtout pour l'archéologue et l'économiste qu'il présentera un vif intérêt; comme le dit le sous-titre du livre, c'est une étude sur la vie privée, les arts et l'industrie en Artois et à Paris au commencement du XIVe siècle. L'auteur a puisé abondamment dans le trésor des chartes de l'Artois, et en particulier dans les comptes rendus par les baillis de la comtesse et par le trésorier de son hôtel; il en a donné de copieux extraits dans le texte ou dans les notes, sans compter les dix-sept pièces publiées in extenso en appendice; il a su les mettre en œuvre d'une façon attrayante dans une vingtaine de chapitres sur la vie journalière (cuisine, divertissements, médecins, voyage), la vie de la cour (hôtel, vénerie, écurie), le costume (étoffes et vêtements, mercerie, broderie, costume de guerre), l'industrie (tapisserie, orfèvrerie), les arts et les lettres (architecture civile et religieuse, verrerie, imagerie, peinture, livres et enluminure), les œuvres de piété et de charité. Un glossaire, une table des noms propres et une table des

matières terminent ce très intéressant volume'. Mahaut, fille de Robert II d'Artois, qui fut tué à Courtrai, et par conséquent petitenièce de saint Louis, s'y montre à nous comme une princesse active, entendue aux affaires, tenace dans la poursuite de ses droits, d'ailleurs généreuse, bienfaisante, amie des lettres et des arts. M. Richard nous parle beaucoup d'elle, mais il nous inspire le désir d'en savoir davantage. Il n'a pas réuni en un portrait définitif les traits épars de sa physionomie intellectuelle et morale; il faut les recueillir çà et là dans son livre. Même confusion en ce qui concerne le gouvernement de Mahaut; il en traite ici seulement quelques épisodes 2, ainsi sa lutte contre la noblesse soulevée en 1315, son procès avec son neveu Robert III, qui lui réclamait le comté d'Artois, ses rapports avec Philippe le Bel et ses fils. A côté d'elle se place une figure très curieuse à étudier; c'est son conseiller, Thierry d'Hireçon, véritable premier ministre, très en faveur auprès de la comtesse, comblé par elle d'honneurs et de biens, le digne contemporain de Pierre Flotte et d'Enguerrand de Marigny; c'est un peu partout qu'il faut quêter dans le livre de M. Richard les renseignements sur lui et sur sa famille qu'il sut associer à sa haute fortune. On remarquera d'ailleurs qu'il n'est guère question ici que de l'Artois; c'est à peine si M. Richard a parlé du comté de Bourgogne, que Mahaut gouverna aussi depuis la mort de son mari Othon IV (1303). Il est donc loin d'avoir épuisé tout son sujet. Ce défaut de composition rend un peu pénible la lecture des premiers chapitres; on se dédommage amplement, il est vrai, dans les suivants. En somme, ils confirment ce qu'on savait déjà d'autre part, c'est-à-dire la prospérité dont jouit la France pendant le demisiècle qui précéda les guerres des Anglais. A un point de vue particulier, on remarque aussi que la comtesse d'Artois, voisine des Flamands, n'a eu que peu de relations avec ses riches voisins. Non qu'elle leur gardât rancune de la mort de son mari et de son père, tués en combattant contre eux, mais elle resta toute sa vie profondément attachée à la France, à Paris; les lainages qu'elle achète en grand nombre proviennent de Paris, de Provins, de Lagny, quand ils

1. M. le chanoine Dehaisnes a publié il y a peu de temps un ouvrage avec lequel celui de M. Richard offre plus d'un rapprochement : l'Histoire de l'art dans la Flandre, l'Artois et le Hainaut avant le XV s. (3 vol. in-8°). Nous regrettons de n'être pas en état de parler plus au long de ce dernier; nous devions au moins le signaler, ne fût-ce qu'en note.

2. M. Richard rappelle qu'il a donné « un aperçu de l'administration du comté dans un essai sur les Baillis de l'Artois au commencement du XIV s. (introd. au t. II de l'Inventaire de la série A des archives du Pas-de-Calais). On attendait de lui une étude définitive sur ce sujet dans le présent livre.

ne sont pas directement pris aux lieux de production eux-mêmes : Arras, Douai, Saint-Omer; elle ne les tire pas de la Flandre, le pays du drap et de la laine. Les ouvriers, les artistes qu'elle emploie ne sont pas des Flamands, ils viennent presque tous, soit de ses États particuliers, soit de Paris. C'est l'art français, l'industrie française qu'elle protège. Il n'est pas sans intérêt de le constater quand on se rappelle que, peu de temps après sa mort (nov. 1329), son neveu Robert III trahit la France et contribua pour sa part à déchaîner sur notre pays le fléau de la guerre de Cent ans.

Le bilan de cette terrible guerre est loin d'être établi. Des biographies bien étudiées, comme celles de Rodrigue de Villandrando, de l'Archiprêtre, d'Arnoul d'Audrehem, de Du Guesclin, ont, dans ces dernières années, ajouté beaucoup à nos connaissances. M. Georges GUIGUE nous apporte à son tour une masse considérable de faits sur l'histoire des Grandes Compagnies, des Tard-venus, dans le Lyonnais, le Forez et le Beaujolais, de 1356 à 1369'. Ces faits sont puisés pour la plupart dans de nombreuses pièces d'archives, que l'auteur publie soit par extraits, soit tout au long dans les notes et dans un copieux appendice. Les chroniques fournissaient peu de chose, et si l'on n'ignorait pas que les Tard-venus avaient remporté sur Jacques de Bourbon la victoire de Brignais (6 avril 1362), on n'en savait pas beaucoup plus. Désormais l'on sera édifié sur les ravages commis par ces bandes de pillards bien conduits, bien armés, et ce douloureux épisode de notre histoire pourra être mis en pleine lumière. M. Guigue a un peu oublié en effet qu'un livre d'histoire n'est pas seulement une collection de faits, mais que c'est aussi une œuvre littéraire. Il ne rattache pas assez intimement l'histoire de son pays à l'histoire générale, ni les faits contingents aux institutions permanentes. Il nous parle beaucoup de Lyon et des divers pouvoirs qui organisèrent la défense contre l'ennemi; nous aurions aimé à être mieux renseignés sur l'organisation politique ou administrative de la ville et des contrées voisines. On nous parle du bailli de Mâcon, des consuls et des comtes de Lyon, du chapitre de l'archevêque; quelques développements sur leurs droits respectifs eussent été bien accueillis. De même pour les personnages qui traversent le récit Arnaud de Cervole, Arnoul d'Audrehem, Jacques de Bourbon sont assez connus pour que quelques notes rapides sur leur compte suffisent; mais ne pouvait-on essayer au moins de faire revivre sous nos yeux des chefs aussi audacieux que le Petit-Meschin ou Seguin de Badefold? M. Guigue a voulu laisser parler les documents eux-mêmes, oubliant qu'ils ne

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1. Récits de la guerre de Cent ans : les Tard-venus. Lyon, Witte et Perrussel.

donnent souvent que la charpente de l'histoire. Un peu d'art eût rendu plus attrayante la lecture de son ouvrage. Il l'a dédié à son «< maître vénéré, » Jules Quicherat; il eût bien fait de suivre son exemple, non seulement pour la solidité du fond, mais aussi pour l'agrément de la forme. Quoi qu'il en soit, il convient de féliciter sincèrement le jeune érudit de cette nouvelle publication, qui s'ajoute à une liste déjà longue; à peine sorti de l'École des chartes, il s'est placé parmi les plus zélés de nos archivistes provinciaux et parmi les plus empressés à communiquer au public le résultat de leurs recherches.

L'impression dernière que laisse le travail de M. Victor VATTIER Sur John Wyclyff; sa vie, ses œuvres, sa doctrine (Leroux) est très mélangée. Ce n'est ni un livre original, puisque l'auteur ne fait en somme que résumer les ouvrages de Lewis, de MM. Vaughan, Shirley, Lechler, ni une œuvre de seconde main, puisqu'il a revu consciencieusement les textes et consulté même des mss. originaux. Il ne saurait plaire au grand public, que fatigueraient vite son plan confus', son argumentation terne et pénible, ni satisfaire les gens du métier qui demandent au moins, dans un livre d'érudition pure, des références nombreuses, une correction typographique suffisante, des citations exactes 3. Ce n'est cependant pas un ouvrage méprisable. S'il est mal composé, si l'examen des doctrines est trop complètement séparé de la biographie même de l'auteur, il a ce mérite en somme de résumer avec exactitude et impartialité les meilleurs travaux publiés, surtout en Angleterre, sur ce précurseur de la Réforme. Quant à l'idée que nous devons nous faire de Wyclyff lui-même (je garde l'orthographe adoptée par l'auteur), elle ne se dégage pas nel

1. Ainsi la 2o partie : « Euvres de Wyclyff,» aurait dû former l'introduction, puisqu'il contient la bibliographie du sujet.

2. L'ouvrage aurait besoin d'un long erratum, où seraient corrigés par exemple: Wyckhaus pour Wykeham (p. 115); curie humaine, pour cour romaine (p. 141); Grossetête, archevêque de Leicester (p. 282), pour archidiacre de L.; la vision de Piers ou Pierce (sic) Plowman (p. 299), etc. Encore, dans ce dernier cas, y a-t-il un véritable contresens, que M. Skeat déplore avec raison dans sa nouvelle édition du poème de Langland.

3. Si l'on vérifie sur le ms. original (Bibl. nat., lat. 3184, fol. 53 et suiv.) le texte que M. Vattier donne d'une protestation en latin, rédigée par Wyclyff en 1378, on y découvre de nombreuses fautes de lecture, en particulier dans la 6o conclusion, où une ligne tout entière a été omise et qui se termine par une erreur notable; au lieu de : « a fide dignis, » le texte porte « a fide devius. » 4. M. Vattier paraît n'avoir connu le livre de Lechler que par une traduction anglaise. Pourquoi garde-t-il du texte anglais le mot tract, qui revient à chaque page avec une répétition irritante? N'avons-nous pas le mot traité qui a le même sens?

tement du livre; ses doctrines théologiques ne paraissent pas avoir été fort originales, ni son caractère très noble. Son rôle politique, si on le connaissait bien, expliquerait sans doute bien des points restés obscurs dans sa vie et dans ses idées; malheureusement, il n'a été qu'effleuré par M. Vattier. Le ch. VIII, « état moral, social, politique, littéraire et religieux de l'Angleterre, » est le plus faible de l'ouvrage. Avant de quitter le moyen âge, nous devons accorder une mention particulière à la traduction du grand ouvrage de JANSSEN: Geschichte des deutschen Volkes seit dem Ausgang des Mittelalters, dont le 4er vol. vient de paraître à la librairie Plon, Nourrit et Cie, sous le titre : l'Allemagne à la fin du moyen âge. Nous avons déjà indiqué, lors de l'apparition du texte allemand, les défauts et les qualités de ce livre. Comme tous les livres à thèse, les documents y sont choisis et disposés avec un parti pris évident, mais la science de l'auteur est incontestable, aussi bien que son talent, et nulle part son talent et sa science ne se sont mieux déployés que dans ce 1er volume. La traduction est excellente, fidèle et élégante à la fois, et nous souhaitons qu'elle trouve dans le public français le succès que l'original a rencontré en Allemagne. Nous regrettons seulement que M. Heinrich ait cru devoir, dans la préface mise en tête du volume, se montrer bien plus sectaire que M. Janssen lui-même. M. Heinrich a cru faire l'éloge de M. Janssen et de M. Taine en comparant leurs deux ouvrages. Par cette comparaison, il a fait tort à M. Taine et a fait ressortir ce que le point de vue de M. Janssen a d'exclusif et de faux. Il est encore permis aujourd'hui de se demander si la Révolution a été un bien ou un mal et n'aurait pas pu être évitée; mais, pour ne voir dans la Réforme qu'un déchaînement de passions mauvaises et d'aberrations intellectuelles, il faut être aveuglé par le fanatisme le plus étroit et le plus puéril. M. Taine, qui a si admirablement parlé de la Réforme dans son Histoire de la littérature anglaise, a dû être peu flatté d'une pareille assimilation, et les éloges de M. Heinrich ont dû lui paraître une cruelle ironie. « Mieux vaudrait un sage ennemi. »

XVI ET XVII SIÈCLES.-M. le comte Jules DELABORDE poursuit avec une pieuse sollicitude l'histoire de la famille de Coligny. Après avoir consacré trois gros volumes à l'amiral, il a raconté la vie de son fils aîné, François de Châtillon, que nous avons signalée en son temps. De son mariage avec Marguerite d'Ailly de Picquigny, ce François eut quatre enfants, dont l'ainé, Henri, filleul de Henri IV, fut nommé au berceau amiral de Guyenne, servit sous les ordres de Maurice de Nassau, se distingua au combat de Nieuport et fut tué, à l'âge de dix-huit ans, au siège d'Ostende, où il commandait le régiment français chargé de défendre la place contre l'archiduc (1601). C'est cette REV. HISTOR. XXXIV. 1er FASC.

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