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quelconque du fait d'un étranger, le vicomte, ou son représentant, enjoindra immédiatement aux agents du pouvoir du pays de l'offenseur d'avoir à donner satisfaction complète à l'offensé, et de restituer la chose prise, s'il y a eu vol.

2 En cas de refus, et après deux avertissements ou sommations, il sera interdit aux compatriotes de l'offenseur de venir à Marseille, jusqu'à pleine et entière réparation du dommage causé, et ceux qui se trouveront à Marseille devront ausssitôt en sortir avec leurs biens « cum rebus suis. »

3o Ceux qui, se trouvant à Marseille, jouiraient du droit de protection et de sauf-conduit, « qui in nostra fuerint salvataria seu guidagio, » perdront tous les bénéfices de ce droit, et l'offensé, ainsi que tous les habitants de Marseille, pourront, sans inconvénient, exercer des gageries sur leurs biens et facultés, partout où ils en auront l'occasion, « ubicumque eas invenerint. »

Ces dispositions sont incomplètes et fort insuffisantes et la rédaction en est assez obscure. « L'expression pignorare » y figure seule, et nous n'y voyons pas les mots, laudum, marcha, marchamenta, represalie, gravamenta, qui doivent devenir plus tard les désignations officielles du sujet qui nous occupe. On pourrait aussi y relever diverses contradictions; et, enfin, plusieurs points seront plus tard sensiblement modifiés, en ce qui touche la concession des gageries à tous les Marseillais indistinctement, et l'exercice des mêmes gageries, partout où l'occasion se présentera.

Malgré ses imperfections de détail, cet acte avait jeté les bases des formalités qui présidèrent à la concession des représailles et qui furent minutieusement enregistrées dans les statuts municipaux (1),

(1) Statuta Massilie. Liv. rouge, lib. EE., cap. XXX.

Il y a lieu de constater, en faveur des Marseillais, que, s'ils ont hautement protesté toutes les fois que des étrangers s'arrogeaient à leur encontre le droit de représailles, et s'ils ont largement usé pour eux-mêmes de l'exercice de ce droit, ils se sont du moins toujours soumis à toutes les règles qui le gouvernaient et qu'ils n'ont jamais, en en revendiquant les avantages, tenté de se soustraire aux ennuis d'une interminable procédure.

Un seul exemple de concession de représailles, pris au hasard dans les archives communales de Marseille (1), va nous montrer en détail cette procédure, aussi exactement que si nous l'établissions d'après les textes arides des Statuts et des Chapitres de paix.

Le 22 juin 1353, les hoirs Amisard, de Marseille, exposent au Conseil de ville qu'une somme de 300 florins d'or leur est due par une certaine Garcende Felici, de Manosque; qu'ils en ont en vain réclamé le paiement; qu'ils ont porté plainte à la Cour royale de Marseille; que la Cour, par diverses lettres, a mis en demeure les officiers de Manosque de leur faire obtenir justice; que ces derniers ont refusé d'obtempérer aux sommations de la Cour marseillaise; - qu'il y a déni de justice; et, enfin, ils requièrent le viguier de vouloir bien leur accorder la marque contre les habitants de Manosque.

Le lieutenant du viguier (2), qui assistait à la séance, autorise alors le Conseil à nommer quatre de ses membres pour examiner la justesse des réclamations des hoirs Amisard. Le 4 juillet suivant, Pierre Amiel, notaire, au nom des quatre membres délégués à cet effet, confirme les assertions des suppliants; déclare que les officiers de Manosque, quoique régulièrement requis, sont convaincus de déni de justice, et conclut à ce que le viguier veuille

(i) Arch. com. de Marseille. Série EE., 17 (bis). (2) Bertrand Porcellet, seigneur de Fos.

bien satisfaire à la demande des suppliants. Le Conseil se range à cette opinion et, sur sa requête, le lieutenant du viguier accorde, séance tenante. à Nicolas, Giraud, Catherine et Guillemette Amisard le droit de marque et de représailles contre les biens des habitants de Manosque, dans Marseille et son territoire, jusqu'à concurrence des 300 florins, ainsi que des frais et débours. Cette autorisation est ratifiée quelques jours plus tard par le viguier lui-même (1).

somma

Les formalités qui constituaient la marche à suivre pour obtenir une autorisation de représailles sont parfaitement déterminées dans l'exemple que nous venons de citer et peuvent se résumer ainsi : - Plainte portée par la partie lésée à la Cour royale de Marseille; tions (2) adressées par celle-ci aux officiers de justice du pays de l'offenseur; constatation du déni de justice; adhésion du Conseil de ville aux réclamations des suppliants; et, enfin concession du droit de marque par le pouvoir comtal, représenté par le viguier.

Il n'est guère qu'un point, pourtant assez important, que nous n'y voyons pas figurer: c'est celui du délai fixé entre la concession et l'application des représailles (3). Il est vrai que la loi marseillaise est muette à ce sujet. A quoi faut-il attribuer cette omission? C'est ce que nous

(1) Raynaud de Montauban. La confirmation de l'autorisation de représailles est ainsi motivée : « In uberioris cautelle suffragium, ut « nullum quocumque modo resultet dubium de novo, in observanciam <libertatum et capitulorum pacis dicte civitatis Massilie. »

(2) Le nombre des sommations n'était pas déterminé; il était laissé à l'appréciation des agents du pouvoir: Semel, aut bis, aut ter, prout rectori vel consulibus visum fuerit (Statuta Massilie. Lib. 22, cap.XXX). (3) « Les délais... avaient une certaine importance et généralement < on n'en abandonnait pas la fixation à l'arbitraire des souverains. <«< Ils faisaient l'objet d'une mention particulière dans les traités et « s'y trouvaient limités de la manière la plus formelle. (Du droit de marque ou de représailles au Moyen-Age. Ch. II, § 2).

ne saurions établir. Toujours est-il que les Marseillais devaient se féliciter de trouver cette lacune dans une procédure déjà suffisamment compliquée.

Les exemples de représailles concédées d'après les formes que nous venons d'indiquer, sont fort nombreux dans nos archives communales. Les sujets de Bertrand de Baux, seigneur de Berre; les habitants de Puy-Ricard, Eguilles, Rognes, Tourves, Hyères, Grasse, Draguignan, Brignoles, Saint-Maximin, Nice, Toulon et Arles; les hommes du Languedoc et du Dauphiné, et, hors de France, les Vénitiens, les Florentins et les Génois (1), subirent tour à tour les effets terribles des lettres de marque, dont les conséquences devenaient si désastreuses, pour les Marseillais eux-mêmes, par suite de la stagnation des relations commerciales qui en résultait, qu'ils étaient souvent forcés de les révoquer ou d'en suspendre l'exercice pour un temps déterminé (2).

Et, comme les étrangers menacés de représailles s'abstenaient de venir trafiquer et résider à Marseille, les Marseillais, après s'être vu refuser satisfaction par les juridictions étrangères, ne pouvaient même pas se faire justice par eux-mêmes. Cette considération les poussa à demander une nouvelle extension au droit de représailles, et, sur leur requête, la reine Yolande leur accorda, le 10 juillet 1420, l'autorisation de les exercer en dehors du territoire de Marseille, partout où ils en trouveraient l'occasion, sur terre comme sur mer (3). On revenait par le

(1) Arch. de Marseille. Séries EE et FF. Toulon, série FF. - Ruffi, Histoire de Marseille.

Arch. de la ville de

(2) Geoffroi Lercari, viguier de Marseille, suspend, le 3 novembre 1356, pour dix ans, les représailles des Marseillais contre quelques villes de Provence. Archives com. de Marseille, série EE, 18). - Thomas Mocenigo suspend pour deux ans les représailles des Vénitiens contre les Marseillais, le 22 juillet 1114 (Arch. com. de Marseille, série EE, 42). (3) Arch. de la ville de Marseille, série EF, 44.

fait aux premières dispositions que nous avons signalées dans le privilége des vicomtes Roncelin et GiraudAdhémar.

De plus, il faut considérer que si Marseille se trouvait à l'abri de toute contre-marque provenant des villes soumises au pouvoir comtal (1), il n'en était pas toujours ainsi quand la marque était décernée contre une ville ou une nation étrangère. Il s'établissait alors des représailles réciproques et il n'était pas rare dans ce cas de voir ce système de violence se terminer par une transaction à l'amiable, ou bien se transformer en impositions dont on grevait de part et d'autre les marchandises échangées par les commercants des deux pays (2).

Malgré tous ces inconvénients, Marseille tenait quand même à jouir exclusivement du droit de marque que lui conféraient ses libertés écrites; elle savait, à l'occasion, le revendiquer vigoureusement; nous l'avons dit au début de cette étude le document original de 1381 va nous en donner les preuves.

II.

Marseille et Arles n'ont jamais vécu en bonne intelli

(1) Lettres patentes de Louis et Jeanne, du 24 avril 1339, qui refusent aux Toulonnais le droit de marque contre les habitants de Marseille. (Arch. de la ville de Toulon, série FF). Du 25 avril 1391, défense faite par lettres patentes de la reine Marie à tous ses sujets de molester les Marseillais : « Inquirendo, citando, arrestando, a detinendo aut aliàs quoquomodo. » (Arch. com. de Marseille, série EE, 31).

(2) Nous trouvons un exemple de ces sortes de transformations dans une transaction entre les Marseillais et les Languedociens, du 3 juin 1445. (Arch. de la ville de Marseille, série EE, 47 bis). — Le chevalier L. Cibrario rapporte que des représailles existant entre les villes de Gênes et de Savone, d'une part, et de Pise, d'autre part, furent converties en un droit de 1 p. 0/0 sur la laine que les Gênois et les marchands de Savone apportaient à Pise. (Economie politique au MoyenAge, par le chevalier L. Cibrario. L. I, ch. VII).

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