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Et la seule fureur en alluma les feux.
Thèbes m'a couronné pour éviter ses chaînes;
Elle s'attend par moi de voir finir ses peines :
Il la faut accuser si je manque de foi;

Et je suis son captif, je ne suis pas son roi.

JOCASTE.

Dites, dites plutôt, cœur ingrat et farouche,
Qu'auprès du diadème il n'est rien qui vous touche,
Mais je me trompe encor; ce rang ne vous plaît pas,
Et le crime tout seul a pour vous des appas.
Eh bien! puisqu'à ce point vous en êtes avide,
Je vous offre à commettre un double parricide
Versez le sang d'un frère ; et, si c'est peu du sien,
Je vous invite encore à répandre le mien.

Vous n'aurez plus alors d'ennemis à soumettre,
D'obstacle à surmonter, ni de crime à commettre;
Et, n'ayant plus au trône un fâcheux concurrent,
De tous les criminels vous serez le plus grand.

ÉTÉOCLE.

Eh bien, madame, eh bien, il faut vous satisfaire;
Il faut sortir du trône, et couronner mon frère;
Il faut, pour seconder votre injuste projet,
De son roi que j'étais, devenir son sujet :
Et, pour vous élever au comble de la joie,
Il faut à sa fureur que je me livre en proie;
Il faut par mon trépas...

JOCASTE.

Ah ciel! quelle rigueur ! Que vous pénétrez mal dans le fond de mon cœur! Je ne demande pas que vous quittiez l'empire; Régnez toujours, mon fils, c'est ce que je désire. Mais si tant de malheurs vous touchent de pitié, Si pour moi votre cœur garde quelque amitié, Et si vous prenez soin de votre gloire même, Associez un frère à cet honneur suprême : Ce n'est qu'un vain éclat qu'il recevra de vous; Votre règne en sera plus puissant et plus doux; Les peuples, admirant cette vertu sublime, Voudront toujours pour prince un roi si magnanime; Et cet illustre effort, loin d'affaiblir vos droits, Vous rendra le plus juste et le plus grand des rois.

Ou, s'il faut que mes vœux vous trouvent inflexible,
Si la paix à ce prix vous paraît impossible,
Et si le diadème a pour vous tant d'attraits,
Au moins consolez-moi de quelque heure de paix
Accordez cette grâce aux larmes d'une mère.
Et cependant, mon fils, j'irai voir votre frère :
La pitié dans son âme aura peut-être lieu;
Ou du moins pour jamais j'irai lui dire adieu.
Dès ce même moment permettez que je sorte:
J'irai jusqu'à sa tente, et j'irai sans escorte;
Par mes justes soupirs j'espère l'émouvoir.
ÉTÉOCLE.

Madame, sans sortir vous le pouvez revoir;
Et si cette entrevue a pour vous tant de charmes,
Il ne tiendra qu'à lui de suspendre nos armes.
Vous pouvez dès cette heure accomplir vos souhaits,
Et le faire venir jusque dans ce palais.

J'irai plus loin encore; et, pour faire connaître
Qu'il a tort en effet de me nommer un traître,
Et que je ne suis pas un tyran odieux,
Que l'on fasse parler et le peuple et les dieux.
Si le peuple y consent, je lui cède ma place;
Mais qu'il se rende enfin, si le peuple le chasse.
Je ne force personne; et j'engage ma foi

De laisser aux Thébains à se choisir un roi.

SCÈNE IV.

JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, CRÉON, OLYMPE.

CRÉON.

Seigneur, votre sortie a mis tout en alarmes ;

Thèbes, qui croit vous perdre, est déjà tout en larmes,

L'épouvante et l'horreur règnent de toutes parts,

Et le peuple effrayé tremble sur ses remparts.

ÉTÉOCLE.

Cette vaine frayeur sera bientôt calmée
Madame, je m'en vais retrouver mon armée;
Cependant vous pouvez accomplir vos souhaits,
Faire entrer Polynice, et lui parler de paix.
Créon, la reine ici commande en mon absence;
Disposez tout le monde à son obéissance;

Laissez, pour recevoir et pour donner ses lois,
Votre fils Ménécée, et j'en ai fait le choix :
Comme il a de l'honneur autant que de courage,
Ce choix aux ennemis ôtera tout ombrage,

Et sa vertu suffit pour les rendre assurés.
(à Créon.)

Commandez-lui, madame. Et vous, vous me suivrez.

Quoi, seigneur!...

CRÉON.

ÉTÉOCLE.

Oui, Créon, la chose est résolue.

CRÉON.

Et vous quittez ainsi la puissance absolue?

ÉTÉOCLE.

Que je la quitte, ou non, ne vous tourmentez pas;
Faites ce que j'ordonne, et venez sur mes pas.

SCÈNE V.

JOCASTE, ANTIGONE, CRÉON, OLYMPE.

CRÉON.

Qu'avez-vous fait, madame? et par quelle conduite
Forcez-vous un vainqueur à prendre ainsi la fuite?
Ce conseil va tout perdre.

JOCASTE.

Il va tout conserver;

Et par ce seul conseil Thèbes se peut sauver.

CRÉON.

Eh quoi, madame, eh quoi! dans l'état où nous sommes
Lorsqu'avec un renfort de plus de six mille hommes

La fortune promet toute chose aux Thébains,
Le roi se laisse ôter la victoire des mains!

JOCASTE.

La victoire, Créon, n'est pas toujours si belle;
La honte et les remords vont souvent après elle.
Quand deux frères armés vont s'égorger entre eux,
Ne les pas séparer, c'est les perdre tous deux.
Peut-on faire au vainqueur une injure plus noire,
Que lui laisser gagner une telle victoire?

CRÉON.

Leur courroux est trop grand...

JOCASTE.

Il peut être adouci.

CRÉON.

Tous deux veulent régner.

JOCASTE.

Ils régneront aussi.

CRÉON.

On ne partage point la grandeur souveraine;

Et ce n'est pas un bien qu'on quitte et qu'on reprenne.

JOCASTE.

L'intérêt de l'État leur servira de loi.

CRÉON.

L'intérêt de l'État est de n'avoir qu'un roi,
Qui, d'un ordre constant gouvernant ses provinces
Accoutume à ses lois et le peuple et les princes.
Ce règne interrompu de deux rois différents,
En lui donnant deux rois, lui donne deux tyrans.
Par un ordre souvent l'un à l'autre contraire,
Un frère détruirait ce qu'aurait fait un frère :
Vous les verriez toujours former queique attentat,
Et changer tous les ans la face de l'État.
Ce terme limité que l'on veut leur prescrire
Accroît leur violence en bornant leur empire.
Tous deux feront gémir les peuples tour à tour:
Pareils à ces torrents qui ne durent qu'un jour;
Plus leur cours est borné, plus ils font de ravage,
Et d'horribles dégâts signalent leur passage.

JOCASTE.

On les verrait plutôt, par de nobles projets,
Se disputer tous deux l'amour de leurs sujets.
Mais avouez, Créon, que toute votre peine
C'est de voir que la paix rend votre atteinte vaine;
Qu'elle assure à mes fils le trône où vous tendez,
Et va rompre le piége où vous les attendez.
Comme, après leur trépas, le droit de la naissance
Fait tomber en vos mains la suprême puissance,
Le sang qui vous unit aux deux princes mes fils
Vous fait trouver en eux vos plus grands ennemis;
Et votre ambition, qui tend à leur fortune,

Vous donne pour tous deux une haine commune.
Vous inspirez au roi vos conseils dangereux,
Et vous en servez un pour les perdre tous deux.
CRÉON.

Je ne me repais point de pareilles chimères :
Mes respects pour le roi sont ardents et sincères;
Et mon ambition est de le maintenir

Au trône où vous croyez que je veux parvenir.
Le soin de sa grandeur est le seul qui m'anime;
Je hais ses ennemis, et c'est là tout mon crime :
Je ne m'en cache point. Mais, à ce que je voi,
Chacun n'est pas ici criminel comme moi.

JOCASTE.

Je suis mère, Créon; et, si j'aime son frère,
La personne du roi ne m'en est pas moins chère.
De lâches courtisans peuvent bien le haïr;
Mais une mère enfin ne peut pas se trahir.

ANTIGONE.

Vos intérêts ici sont conformes aux nôtres,
Les ennemis du roi ne sont pas tous les vôtres;
Créon, vous êtes père, et, dans ces ennemis,
Peut-être songez-vous que vous avez un fils.
On sait de quelle ardeur Hémon sert Polynice.
CRÉON.

Oui, je le sais, madame, et je lui fais justice;
Je le dois, en effet, distinguer du commun,
Mais c'est pour le haïr encor plus que pas un :
Et je souhaiterais, dans ma juste colère,
Que chacun le haït comme le hait son père.

ANTIGONE.

Après tout ce qu'a fait la valeur de son bras,
Tout le monde en ce point ne vous ressemble pas.
CRÉON.

Je le vois bien, madame, et c'est ce qui m'afflige :
Mais je sais bien à quoi sa révolte m'oblige;
Et tous ces beaux exploits qui le font admirer,
C'est ce qui me le fait justement abhorer.
La honte suit toujours le parti des rebelles :
Leurs grandes actions sont les plus criminelles,
Ils signalent leur crime en signalant leur bras;
Et la gloire n'est point où les rois ne sont pas.

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