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Je conjure les dieux d'épuiser tous les coups
Qui pourraient inenacer une si belle vie
Sur ces jours malheureux que je vous sacritie.
BÉRÉNICE, se levant.

Arrêtez, arrêtez! Princes trop genéreux,
En quelle extrémité me jetez-vous ions deux!
Soit que je vous regarde, ou que je l'envisage,
Partout du désespoir je rencontre l'image;

Je ne vois que des pleurs, et je n'entends parler
Que de trouble, d'horreurs, de sang prêt à couler.
(à Titus.)

Mon cœur vous est connu, seigneur, et je puis dire
Qu'on ne l'a jamais vu soupirer pour l'empire :
La grandeur des Romains, la pourpre des Césars
N'a point, vous le savez, attire mes regards.
J'aimais, seigneur, j'aimais, je voulais être aimée.
Ce jour, je l'avouerai, je me suis alarmée;
J'ai cru que votre amour allait finir son cours :
Je connais mon erreur, et vous m'aimez toujours.
Votre cœur s'est troublé, j'ai vu couler vos larmes.
Bérénice, seigneur, ne vaut point tant d'alarmes,
Ni que par votre amour l'univers malheureux,
Dans le temps que Titus attire tous ses vœux,
Et que de vos vertus il goûte les prémices,
Se voie en un moment enlever ses délices.
Je crois, depuis cinq ans jusqu'à ce dernier jour,
Vous avoir assuré d'un véritable amour :

Ce n'est pas tout; je veux, en ce moment funeste,
Par un dernier effort couronner tout le reste :
Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus.

Adieu, seigneur. Régnez : je ne vous verrai plus.
(à Antiochus.)

Prince, après cet adieu, vous jugez bien vous-même
Que je ne consens pas de quitter ce que j'aime
Pour aller loin de Rome écouter d'autres vœux.
Vivez, et faites-vous un effort généreux.
Sur Titus et sur moi réglez votre conduite :

Je l'aime, je le fuis; Titus m'aime, il me quitte :
Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers.
Adieu. Servons tous trois d'exemple à l'univers.

RACE E

28

De l'amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l'histoire douloureuse.

Tout est prêt. On m'attend. Ne suivez point mes pas.

(à Titus.)

Pour la dernière fois, adieu, seigneur.

4NTIOCHUS,

Hélas!

DE BAJAZET.

Sultan Amural, ou Sultan Morat, empereur des Turcs, celui qui prit Babylone en 1638, a eu quatre frères. Le premier, c'est à savoir Osman, fut empereur avant lui, et régna environ trois ans, au bout desquels les janissaires lui ôtèrent l'empire et la vie. Le second se nommait Orcan. Amurat, dès les premiers jours de son règne, le fit étrangler. Le troisième était Bajazet, prince de grande espérance; et c'est lui qui est le héros de ma tragédie. Amurat, ou par politique, ou par amitié, l'avait épargné jusqu'au siége de Babylone. Après la prise de cette ville, le sultan victoricux envoya un ordre à Constantinople pour le faire mourir; ce qui fut conduit et exécuté à peu près de la manière que je le représente. Amurat avait encore un frère, qui fut, depuis, le sultan Ibrahim, et que ce même Amurat négligea comme un prince stupide qui ne lui donnait point d'ombrage. Sultan Mahomet, qui règne aujourd'hui, est fils de cet Ibrahim, et par conséquent neveu de Bajazet.

Les particularités de la mort de Bajazet ne sont encore dans aucune histoire imprimée. M. le comte de Cézy était ambassadeur à Constantinople lorsque cette aventure tragique arriva dans le sérail. Il fut instruit des amours de Bajaze et des jalousies de la sultane. Il vit même plusieurs fois Bajazet, à qui on permettait de se promener quelquefois à la pointe du sérail, sur le canal de la mer Noire. M. le comte de Cézy disait que c'était un prince de bonne mine. Il a écrit depuis les circonstanecs de sa mort; et il y a encore plusieurs personnes de qualité qui se souviennent de lui en avoir entendu faire le récit lorsqu'il fut de retour en France.

Quelques lecteurs pourront s'étonner qu'on ait osé mettre sur la scène une histoire si récente mais je n'ai rien vu dans les règles du poème dramatique qui dût me détourner ae mon entreprise. A la vérité, je ne conseillerais pas à un auteur de prendre pour sujet d'une tragédie une action aussi moderne que celle-ci, si elle s'était passée dans le pays où il veut faire représenter sa tragédie, ni de mettre des héros sur le théâtre, qui auraient été connus de la plupart des spectateurs. Les personnages tragiques doivent être regardés d'un autre œil que nous ne regardons d'ordinaire les personnages que nous avons vus de si près. On peut dire que le respect que l'on a pour les héros augmente à mesure qu'ils s'éloignent de nous, major e longinquo reverentia. L'éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps; car le peuple ne met guère de différence entre ce qui est, si j'ose ainsi parler, à mille ans de lui, et ce qui en est à mille lieues. C'est ce qui fait, par exemple, que les personnages turcs, quelque modernes qu'ils soient, ont de la dignité sur notre théâtre on les regarde de bonne heure comme anciens. Ce sont des mœurs et des coutumes toutes différentes. Nous avons si peu de commerce avec les princes et les autres personnes qui vivent dans le sérail, que nous les considérons, pour ainsi dire, comme des gens qui vivent dans un autre siècle que le nôtre.

C'était à peu près de cette manière que les Persans étaient ancien

nement considérés des Athéniens. Aussi le poëte Eschyle ne fit point de difficulté d'introduire dans une tragédie la mère de Xerxès, qui était peut-être encore vivante, et de faire représenter sur le théâtre d'Athènes la désolation de la cour de Perse après la déroute de ce prince. Cependant ce même Eschyie s'était trouvé en personne à la bataille de Salamine, où Xerxès avait été vaincu ; et il s'était trouvé encore à la defaite des lieutenants de Darius, père de Xerxès, dans la plaine de Marathon car Eschyle était homme de guerre, et il était frère de ce fameux Cynégire dont il est tant parlé dans l'antiquité, et qui mourut si gloriensement en attaquant un des vaisseaux du roi de Perse.

TRAGÉDIE. (1672)

ACTEURS.

BAJAZET, frère du sultan Amurat

ROXANE, sultane, favorite du sultan Amurat.,

ATALIDE, fille du sang ottoman.

ACOMAT, grand vizir.

OSMIN, confident du grand vizir.

ZATIME, esclave de la sultane.

ZAIRE, esclave d'Atalide.

GARDES.

La scène est à Constantinople, autrement dite Byzance, dans le sérail du grand seigneur.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

ACOMAT, OSMIN.

ACOMAT.

Viens, suis-moi. La sultane en ce lieu se doit rendre :
Je pourrai cependant te parler et t'entendre.

OSMIN.

Et depuis quand, seigneur, cntre-t-on dans ces lieux,
Dont l'accès était même interdit à nos yeux ?
Jadis une mort prompte eût suivi cette andace.

ACOMAT.

Quand tu seras instruit de tout ce qui se passe,
Mon entrée en ces lieux ne te surprendra plus.
Mais laissons, cher Osmin, les discours superflus.
Que ton retour tardait à mon impatience!

Et

que d'un œil content je te vois dans Byzance! Instruis-moi des secrets que peut t'avoir appris Un voyage si loug, pour moi seul entrepris.

De ce qu'ont vu tes yeux parle en témoin sincère;

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