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Et descendre du trône, et courir à la mort.

CRÉON.

Ah! Ménécée est mort, le ciel n'en veut point d'autre :
Laissez couler son sang, sans y mêler le vôtre;
Et puisqu'il l'a versé pour nous donner la paix,
Accordez-la, seigneur, à nos justes souhaits.

ÉTÉOCLE.

Hé quoi! même Créon pour la paix se déclare?
CRÉON.

Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,
Vous voyez les malheurs où le ciel m'a plongé :
Mon fils est mort, seigneur.

ÉTÉOCLE.

Il faut qu'il soit vengé.
CRÉON.

Sur qui me vengerais-je en ce malheur extrême ?

ÉTÉOCLE.

Vos ennemis, Créon, sont ceux de Thèbes même :
Vengez-la, vengez-vous.

CRÉON.

Ah! dans ses ennemis

Je trouve votre frère, et je trouve mon fils :

Dois-je verser mon sang, ou répandre le vôtre?
Et dois-je perdre un fils pour en venger un autre?
Seigneur, mon sang m'est cher, le vôtre m'est sacré :
Serai-je sacrilége, ou bien dénaturé?

Souillerai-je ma main d'un sang que je révère?
Serai-je parricide, afin d'être bon père?
Un si cruel secours ne me peut soulager;
Et ce serait me perdre au lieu de me venger.
Tout le soulagement où ma douleur aspire,

C'est qu'au moins mes malheurs servent à votre empire.
Je me consolerai, si ce fils que je plains

Assure par sa mort le repos des Thébains.
Le ciel promet la paix au sang de Ménécée;
Achevez-la, seigneur, mon fils l'a commencée :
Accordez-lui ce prix qu'il en a prétendu :

Et que son sang en vain ne soit pas répandu.

JOCASTE.

Non, puisqu'à nos malheurs vous devenez sensible,
Au sang de Ménécée il n'est rien d'impossible.

Que Thèbes se rassure après ce grand effort;
Puisqu'il change votre âme, il changera son sort.
La paix dès ce moment n'est plus désespérée :
Puisque Créon la veut, je la tiens assurée.
Bientôt ces cœurs de fer se verront adoucis:

Le vainqueur de Créon peut bien vaincre mes fils.
(à Étéocle.)

Qu'un si grand changement vous désarme et vous touche : Quittez, mon fils, quittez cette haine farouche;

Soulagez une mère, et consolez Créon;

Rendez-moi Polynice, et lui rendez Hémon.

ÉTÉOCLE.

Mais enfin c'est vouloir que je m'impose un maître.
Vous ne l'ignorez pas, Polynice veut l'être;
Il demande surtout le pouvoir souverain,

Et ne veut revenir que le sceptre à la main.

SCÈNE V.

JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, CRÉON, ATTALE, ATTALE, à Étéocle.

Polynice, seigneur, demande une entrevue;

C'est ce que d'un héraut nous apprend la venue.
Il vous offre, seigneur, ou de venir ici,

Ou d'attendre en son camp.

CRÉON.

Peut-être qu'adouci

Il songe à terminer une guerre si lente,
Et son ambition n'est plus si violente :
Par ce dernier combat il apprend aujourd'hui
Que vous êtes au moins aussi puissant que lui.
Les Grecs même sont las de servir sa colère;
Et j'ai su, depuis peu, que le roi son beau-père,
Préférant à la guerre un solide repos,

Se réserve Mycène, et le fait roi d'Argos.
Tout courageux qu'il est, sans doute il ne souhaite
Que de faire en effet une honnête retraite.

Puisqu'il s'offre à vous voir, croyez qu'il veut la paix.
Ce jour la doit conclure, ou la rompre à jamais.
Tâchez dans ce dessein de l'affermir vous-même
Et lui promettez tout, hormis le diadème.

ÉTÉOCLE.

Hormis le diadème il ne demande rien.

JOCASTE.

Mais voyez-le du moins.

CRÉON.

Oui, puisqu'il le veut bien :

Vous ferez plus tout seul que nous ne saurions faire;
Et le sang reprendra son empire ordinaire.

Allons donc le chercher.

ÉTÉOCLE.

JOCASTE.

Mon fils, au nom des dieux,

Attendez-le plutôt, voyez-le dans ces lieux.

ÉTÉOCLE.

Eh bien, madame, eh bien, qu'il vienne, et qu'on lui donne Toutes les sûretés qu'il faut pour sa personne.

Allons.

ANTIGONE.

Ah! si ce jour rend la paix aux Thébains,
Créon, l'ouvrage de vos mains.

Elle sera,

SCENE VI.

CRÉON, ATTALE.

CRÉON.

L'intérêt des Thébains n'est pas ce qui vous touche,
Dédaigneuse princesse; et cette âme farouche,
Qui semble me flatter après tant de mépris,
Songe moins à la paix qu'au retour de mon fils.
Mais nous verrons bientôt si la fière Antigone
Aussi bien que mon cœur dédaignera le trône;
Nous verrons, quand les dieux m'auront fait votre roi,
Si ce fils bienheureux l'emportera sur moi.

ATTALE.

Eh! qui n'admirerait un changement si rare?
Créon même, Créon pour la paix se déclare!

CRÉON.

Tu crois donc que la paix est l'objet de mes soins?

ATTALE.

Oui, je le crois, seigneur, quand j'y pensais le moins:

Et, voyant qu'en effet ce beau soin vous anime,
J'admire à tout moment cet effort magnanime
Qui vous fait mettre enfin votre haine au tombeau.
Ménécée, en mourant, n'a rien fait de plus beau.
Et qui peut immoler sa haine à sa patrie

Lui pourrait bien aussi sacrifier sa vie.
CRÉON.

Ah! sans doute, qui peut, d'un généreux effort,
Aimer son ennemi, peut bien aimer la mort.
Quoi! je négligerais le soin de ma vengeance,
Et de mon ennemi je prendrais la défense!
De la mort de mon fils Polynice est l'auteur,
Et moi je deviendrais son lâche protecteur!
Quand je renoncerais à cette haine extrême,
Pourrais-je bien cesser d'aimer le diadème?
Non, non; tu me verras d'une constante ardeur
Haïr mes ennemis, et chérir ma grandeur.
Le trône fit toujours mes ardeurs les plus chères :
Je rougis d'obéir où régnèrent mes pères :
Je brûle de me voir au rang de mes aïeux,
Et je l'envisageai dès que j'ouvris les yeux.
Surtout depuis deux ans ce noble soin m'inspire,
Je ne fais point de pas qui ne tende à l'empire
Des princes mes neveux j'entretiens la fureur,
Et mon ambition autorise la leur.
D'Étéocle d'abord j'appuyai l'injustice;
Je lui fis refuser le trône à Polynice.

Tu sais que je pensais dès lors à m'y placer;
Et je l'y mis, Attale, afin de l'en chasser.

ATTALE.

Mais, seigneur, si la guerre eut pour vous tant de charmes,
D'où vient que de leurs mains vous arrachez les armes?
Et, puisque leur discorde est l'objet de vos vœux,
Pourquoi, par vos conseils, vont-ils se voir tous deux ?
CRÉON.

Plus qu'à mes ennemis la guerre m'est mortelle,
Et le courroux du ciel me la rend trop cruelle:
Il s'arme contre moi de mon propre dessein;
Il se sert de mon bras pour me percer le sein.
La guerre s'allumait, lorsque, pour mon supplice,
Hémon m'abandonna pour servir Polynice ;

Les deux frères par moi devinrent ennemis;
Et je devins, Attale, ennemi de mon fils.
Enfin, ce même jour, je fais rompre la trêve,
J'excite le soldat, tout le camp se soulève,
On se bat; et voilà qu'un fils désespéré
Meurt, et rompt un combat que j'ai tant préparé.
Mais il me reste un fils; et je sens que je l'aime
Tout rebelle qu'il est, et tout mon rival même :
Sans le perdre, je veux perdre mes ennemis.

Il m'en coûterait trop, s'il m'en coûtait deux fils.
Des deux princes, d'ailleurs, la haine est trop puissante :
Ne crois pas qu'à la paix jamais elle consente.
Moi-même je saurai si bien l'envenimer,
Qu'ils périront tous deux plutôt que de s'aimer.
Les autres ennemis n'ont que de courtes haines;
Mais quand de la nature on a brisé les chaînes,
Cher Attale, il n'est rien qui puisse réunir
Ceux que des nœuds si forts n'ont pas su retenir :
L'on hait avec excès lorsque l'on hait un frère.
Mais leur éloignement ralentit leur colère :
Quelque haine qu'on ait contre un fier ennemi,
Quand il est loin de nous, on la perd à demi.
Ne t'étonne donc plus si je veux qu'ils se voient :
Je veux qu'en se voyant leurs fureurs se déploient;
Que rappelant leur haine, au lieu de la chasser,
Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embrasser.

ATTALE.

Vous n'avez plus, seigneur, à craindre que vous-même : On porte ses remords avec le diadème.

CRÉON.

Quand on est sur le trône on a bien d'autres soins,
Et les remords sont ceux qui nous pèsent le moins.
Du plaisir de régner une âme possédée

De tout le temps passé détourne son idée;
Et de tout autre objet un esprit éloigné

Croit n'avoir point vécu tant qu'il n'a point régné.
Mais allons. Le remords n'est pas ce qui me touche,
Et je n'ai plus un cœur que le crime effarouche:
Tous les premiers forfaits coûtent quelques efforts;
Mais, Attale, on commet les seconds sans remords.

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