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DE MITHRIDATE.

Il n'y a guère de noin plus connu que celui de Mithridate: sa vie et sa mort font une partie considérable de l'histoire romaine; et, sans compter les victoires qu'il a remportées, on peut dire que ses seules défaites ont fait presque toute la gloire de trois des plus grands capitaines de la république, c'est à savoir, de Sylla, de Lucullus, et de Pompée. Ainsi je ne pense pas qu'il soit besoin de citer ici mes auteurs: car, excepté quelques événements que j'ai un peu rapprochés par le droit que donne la poésie, tout le monde reconnaîtra aisément que j'ai suivi l'histoire avec beaucoup de fidélité. En effet, il n'y a guère d'actions éclatantes dans la vie de Mithridate qui n'aient trouvé place dans ma tragédie. J'y ai inséré tout ce qui pouvait mettre en jour les mœurs et les sentiments de ce prince, je veux dire sa haine violente contre les Romains, son grand courage, sa finesse, sa dissimulation, et enfin cette jalousie qui lui était si naturelle, et qui a tant de fois coûté la vie à ses maîtresses.

La seule chose qui pourrait n'être pas aussi connue que le reste, c'est le dessein que je lui fais prendre de passer dans l'Italie. Comme ce dessein m'a fourni une des scènes qui ont le plus réussi dans ma tragédie, je crois que le plaisir du lecteur pourra redoubler, quand il verra que presque tous les historiens ont dit ce que je fais dire ici à Mithridate.

Florus, Plutarque, et Dion Cassius, nomment les pays par où il devait passer. Appien d'Alexandrie entre plus dans le détail; et, après avoir marqué les facilités et les secours que Mithridate espérait trouver dans sa marche, il ajoute que ce projet fut le prétexte dont Pharnace se servit pour faire révolter toute l'armée, et que les soldats, effrayés de l'entreprise de son père, la regardèrent comme le désespoir d'un prince qui ne cherchait qu'à périr avec éclat. Ainsi elle fut en partie cause de sa mort, qui est l'action de ma tragédie.

J'ai encore lié ce dessein de plus près à mon sujet; je m'en suis servi pour faire connaître à Mithridate les secrets sentiments de ses deux fils. On ne peut prendre trop de précaution pour ne rien mettre sur le théâtre qui ne soit très-nécessaire; et les plus belles scènes sont en danger d'ennuyer, du moment qu'on peut les séparer de l'action, et qu'elles l'interrompent, au lieu de la conduire vers sa fin.

Voici la réflexion que fait Dion Cassius sur ce dessein de Mithridate : Cet homine, dit-il, était véritablement né pour entreprendre de grandes choses. Comme il avaît souvent éprouvé la bonne et la mauvaise fortune, Il ne croyait rien au-dessus de ses espérances et de son audace, et mesurait ses desseins bien plus à la grandeur de son courage qu'au mauvais état de ses affaires; bien résolu, si son entreprise ne réussissait point, de faire une fin digne d'un grand roi, et de s'ensevelir lui-même sous les ruines de son empire, plutôt que de vivre dans l'obscurité et dans la bassesse.

J'ai choisi Monime entre les femmes que Mithridate a aimées. Il paraît que c'est celle de toutes qui a été la plus vertueuse, et qu'il a aimée le plus tendrement. Plutarque semble avoir pris plaisir à décrire le malheur et les sentiments de cette princesse. C'est lui qui m'a donné

l'idée de Monime; et c'est en partie sur la peinture qu'il en a faite que j'ai fondé un caractère que je puis dire qui n'a point déplu. Le lecteur trouvera bon que je rapporte ses paroles telles qu'Amyot les a tradnites; car elles ont une grâce dans, le vieux style de ce traducteur, que je ne crois point pouvoir égaler dans notre langue moderne.

« Cette-ci estoit fort renommée entre les Grecs, pour ce que, quelques « sollicitations que lui sceust faire le roi en estant amoureux, jamais nc « voulut entendre à toutes ses poursuites jusqu'à ce qu'il y enst accord << de mariage passé entre eux, et qu'il lui eust envoyé le diadesine ou ban«deau royal, et appellée royne. La pauvre dame, depuis que ce roi << l'eut espousée, avoit vescu en grande desplaisance, ne faisant conti<< nuellement autre chose que de plorer la malheureuse beauté de son «< corps, laquelle, au lieu de lui donner un mari, lui avoit donné un « maistre, et, au lieu de compaignie conjugale, et que doibt avoir une << dame d'honneur, lui avoit baillé une garde et garnison d'hommes bar«< bares qui la tenoient comme prisonnière loin du doulx pays de la << Grece, en lieu où elle n'avoit qu'un songe et une ombre de biens; et << au contraire avoit réellement perdu les véritables, dont elle jouissoit au - pays de sa naissance. Et quand l'eunuque fut arrivé devers elle, et lui << eut faict commandement de par le roi qu'elle eust à mourir, adonc elle << s'arracha d'alentour de la teste son bandeau royal, et se le nouant << alentour du col, s'en pendit. Mais le bandeau ne fut pas assez fort, et << se rompit incontinent. Et lors elle se prit à dire : O maudit et mal«< heureux tissu, ne me serviras-tu point au moins à ce triste service? «En disant ces paroles, elle le jeta contre terre, crachant dessus, et << tendit la gorge à l'eunuque. »

Xipharès était fils de Mithridate et d'une de ses femmes qui se nommait Stratonice. Elle livra aux Romains une place de grande importance, où étaient les trésors de Mithridate, pour mettre son fils Xipharès dans les bonnes grâces de Pompée. Il y a des historiens qui prétendent que Mithridate fit mourir ce jeune prince pour se venger de la perfidie de sa mère.

Je ne dis rien de Pharnace; car qui ne sait pas que ce fut lui qui souleva contre Mithridate ce qui lui restait de troupes, et qui força ce prince à se vouloir empoisonner, et à se passer son épée au travers du corps pour ne pas tomber entre les mains de ses ennemis? C'est ce même Pharnace qui fut vaincu depuis par Jules César, et qui fut tué ensuite dans une autre bataille.

TRAGÉDIE. (1673.)

ACTEURS.

MITHRIDATE, rol de Pont et de quantité d'autres royaumes,
MONIME, accordée avec Mithridate, et déjà déclarée reine.
PHARNACE,

XIPHARES, fils de Mithridate, mais de différentes mères.

ARBATE, confident de Mithridate, et gouverneur de la place de

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La scène est à Nymphiée, port de mer sur le Bosphore Cimmérien, dans la Chersonèse Taurique.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

XIPHARÈS, ARBATE.

XIPHARÈS.

On nous faisait, Arbate, un fidèle rapport :
Rome en effet triomphe, et Mithridate est mort.
Les Romains vers l'Euphrate ont attaqué mon père,
Et trompé dans la nuit sa prudence ordinaire.
Après un long combat, tout son camp dispersé
Dans la foule des morts, en fuyant, l'a laissé;
Et j'ai su qu'un soldat dans les mains de Pompée
Avec son diadème a remis son épée.

Ainsi ce roi, qui seul a durant quarante ans
Lassé tout ce que Rome eut de chefs importants,
Et qui, dans l'Orient balançant la fortune,
Vengeait de tous les rois la querelle commune,
Meurt, et laisse après lui, pour venger son trépas,
Deux fils infortunés qui ne s'accordent pas.

ARBATE.

Vous, seigneur! Quoi! l'ardeur de régner en sa place

Rend déjà Xipharès ennemi de Pharnace?

XIPHARÈS.

Non, je ne prétends point, cher Arbate, à ce prix
D'un malheureux empire acheter le débris.

Je sais en lui des ans respecter l'avantage;
Et, content des États marqués pour mon partage,
Je verrai sans regret tomber entre ses mains

Tout ce que lui promet l'amitié des Romains.

ARBATE.

L'amitié des Romains! le fils de Mithridate,
Seigneur! Est-il bien vrai?

XIPHARÈS.

N'en doute point, Arbate.
Pharnace, dès longtemps tout Romain dans le cœur,
Attend tout maintenant de Rome et du vainqueur :
Et moi, plus que jamais à mon père fidèle,
Je conserve aux Romains une haine immortelle.
Cependant et ma haine et ses prétentions
Sont les moindres sujets de nos divisions.

ARBATE.

Et quel autre intérêt contre lui vous anime?
XIPHARÈS.

Je m'en vais t'étonner. Cette belle Monime
Qui du roi notre père attira tous les vœux,
Dont Pharnace, après lui, se déclare amoureux...

Eh bien, seigneur?

ARBATE.

XIPHARÈS.

Je l'aime, et ne veux plus m'en taire, Puisqu'enfin pour rival je n'ai plus que mon frère. Tu ne t'attendais pas, sans doute, à ce discours : Mais ce n'est point, Arbate, un secret de deux jours; Cet amour s'est longtemps accru dans le silence. Que n'en puis-je à tes yeux marquer la violence, Et mes premiers soupirs, et mes derniers ennuis! Mais, en l'état funeste où nous sommes réduits, Ce n'est guère le temps d'occuper ma mémoire A rappeler le cours d'une amoureuse histoire. Qu'il te suffise donc, pour me justifier, Que je vis, que j'aimai la reine le premier; Que mon père ignorait jusqu'au nom de Monitne,

Quand je conçus pour elle un amour légitime.
Il la vit: mais, au lieu d'offrir à ses beautés
Un hymen et des vœux dignes d'être écoutés,
Il crut que, sans prétendre une plus haute gloire,
Elle lui céderait une indigne victoire.

Tu sais par quels efforts il tenta sa vertu ;
Et que, lassé d'avoir vainement combattu,
Absent, mais toujours plein de son amour extrême,
Il lui fit par tes mains porter son diadème.

Juge de mes douleurs, quand des bruits trop certains
M'annoncèrent du roi l'amour et les desseins;
Quand je sus qu'à son lit Monime réservée
Avait pris avec toi le chemin de Nymphée !

Hélas! ce fut encor dans ce temps odieux

Qu'aux offres des Romains ma mère ouvrit les yeux :
Ou pour venger sa foi par cet hymen trompée,
Ou ménageant pour moi la faveur de Pompée,
Elle trahit mon père, et rendit aux Romains
La place et les trésors confiés en ses mains.
Quel devins-je au récit du crime de ma mère!
Je ne regardai plus mon rival dans mon père;
J'oubliai mon amour par le sien traversé :
Je n'eus devant les yeux que mon père offensé.
J'attaquai les Romains; et ma mère éperdue
Me vit, en reprenant cette place rendue,

A mille coups mortels contre eux me dévouer,
Et chercher, en mourant, à la désavouer.
L'Euxin, depuis ce temps, fut libre, et l'est encore;
Et des rives de Pont aux rives du Bosphore
Tout reconnut mon père : et ses heureux vaisseaux
N'eurent plus d'ennemis que les vents et les eaux.
Je voulais faire plus : je prétendais, Arbate,
Moi-même à son secours m'avancer vers l'Euphrate.
Je fus soudain frappé du bruit de son trépas.
Au milieu de mes pleurs, je ne le cèle pas,
Monime, qu'en tes mains mon père avait laissée,
Avec tous ses attraits revint en ma pensée.

Que dis-je? en ce malheur je tremblai pour ses jours;
Je redoutai du roi les cruelles amours :

Tu sais combien de fois ses jalouses tendresses
Ont pris soin d'assurer la mort de ses maîtresses.

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