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ARBATE.

Il vit, chargé de gloire, accablé de douleurs.
De sa mort en ces lieux la nouvelle semée
Ne vous a pas vous seule et sans cause alarmée ;
Les Romains, qui partout l'appuyaient par des cris,
Ont par ce bruit fatal glacé tous les esprits.

Le roi, trompé lui-même, en a versé des larmes,
Et, désormais certain du malheur de ses armes,
Par un rebelle fils de toutes parts pressé,
Sans espoir de secours, tout près d'être forcé,
Et voyant, pour surcroît de douleur et de haine,
Parmi ses étendards porter l'aigle romaine,
Il n'a plus aspiré qu'à s'ouvrir des chemins
Pour éviter l'affront de tomber dans leurs mains.
D'abord il a tenté les atteintes mortelles

Des poisons que lui-même a crus les plus fidèles;
Il les a trouvés tous sans force et sans vertu.

"

« Vain secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu!
<< Contre tous les poisons soigneux de me défendre,
<< J'ai perdu tout le fruit que j'en pouvais attendre.
Essayons maintenant des secours plus certains,
« Et cherchons un trépas plus funeste aux Romains
Il parle; et, défiant leurs nombreuses cohortes,
Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes.
A l'aspect de ce front dont la noble fureur
Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur,
Vous les eussiez vus tous, retournant en arrière,
Laisser entre eux et nous une large carrière;
Et déjà quelques uns couraient épouvantés
Jusque dans les vaisseaux qui les ont apportés.
Mais, le dirai-je? oh ciel! rassurés par Pharnace,
Et la honte en leurs cœurs réveillant leur audace
Ils reprennent courage, ils attaquent le roi,
Qu'un reste de soldats défendait avec moi.
Qui pourrait exprimer par quels faits incroyables,
Quels coups, accompagnés de regards effroyables,
Son bras, se signalant pour la dernière fois,
A de ce grand héros terminé les exploits?
Enfin, las et couvert de sang et de poussière,
Il s'était fait de morts une noble barrière.
Un autre bataillon s'est avancé vers nous :

Les Romains pour le joindre ont suspendu leurs coups;
Ils voulaient tous ensemble accabler Mithridate.
Mais lui: « C'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate;
« Le sang et la fureur m'emportent trop avant.
« Ne livrons pas surtout Mithridate vivant. »
Aussitôt dans son sein il plonge son épée.

Mais la mort fuit encor sa grande âme trompée.
Ce héros dans mes bras est tombé tout sanglant,
Faible, et qui s'irritait contre un trépas si lent;
Et, se plaignant à moi de ce reste de vie,
Il soulevait encor sa main appesantie,
Et, marquant à mon bras la place de son cœur,
Semblait d'un coup plus sûr implorer la faveur.
Tandis que, possédé de ma douleur extrême,
Je songe bien plutôt à me percer moi-même,
De grands cris ont soudain attiré mes regards;
J'ai vu, qui l'aurait cru? j'ai vu de toutes parts
Vaincus et renversés les Romains et Pharnace,
Fuyant vers leurs vaisseaux, abandonner la place;
Et le vainqueur, vers nous s'avançant de plus près,
A mes yeux éperdus a montré Xipharès.

MONIME.

Juste ciel!

ARBATE.

Xipharès toujours resté fidèle,
Et qu'au fort du combat une troupe rebelle,
Par ordre de son frère, avait enveloppé,
Mais qui, d'entre leurs bras à la fin échappé,
Forçant les plus mutins, et regagnant le reste,
Heureux et plein de joie en ce moment funeste,
A travers mille morts, ardent, victorieux,
S'était fait vers son père un chemin glorieux.
Jugez de quelle horreur cette joie est suivie :
Son bras aux pieds du roi l'allait jeter sans vie;
Mais on court, on s'oppose à son emportement.
Le roi m'a regardé dans ce triste moment,

Et m'a dit, d'une voix qu'il poussait avec peine :

"

S'il en est temps encor, cours, et sauve la reine.

Ces mots m'ont fait trembler pour vous, pour Xipharès :
J'ai craint, j'ai soupçonné quelques ordres secrets.
Tout lassé que j'étais, ma frayeur et mon zèle

M'ont donné pour courir une force nouvelle;

Et, malgré nos malheurs, je me tiens trop heureux
D'avoir paré le coup qui vous perdait tous deux.

MONIME.

Ah! que, de tant d'horreurs justement étonnée,
Je plains de ce grand roi la triste destinée !
Hélas! et plût aux dieux qu'à son sort inhumain
Moi-même j'eusse pu ne point prêter la main,
Et que, simple témoin du malheur qui l'accable,
Je le pusse pleurer sans en être coupable!

Il vient. Quel nouveau trouble excite en mes esprits
Le sang du père, oh ciel ! et les larmes du fils!

SCÈNE V.

MITHRIDATE, MONIME, XIPHARÈS, ARBATE, ARCAS; GARDES qui soutiennent Mithridate.

MONIME.

Ah! que vois-je, seigneur, et quel sort est le vôtre !

MITHRIDATE.

Cessez et retenez vos larmes l'un et l'autre ;

(montrant Xipharès.)

Mon sort de sa tendresse et de votre amitié
Veut d'autres sentiments que ceux de la pitié;
Et ma gloire, plutôt digne d'être admirée,
Ne doit point par des pleurs être déshonorée.
J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu :
La mort dans ce projet m'a seule interrompu.
Ennemi des Romains et de la tyrannie,
Je n'ai point de leur joug subi l'ignominie;
Et j'ose me flatter qu'entre les noms fameux
Qu'une pareille haine a signalés contre eux,
Nul ne leur a plus fait acheter la victoire,
Ni de jours malheureux plus rempli leur histoire.
Le ciel n'a pas voulu qu'achevant mon dessein,
Rome en cendre me vît expirer dans son sein:
Mais au moins quelque joie en mourant me console;
J'expire environné d'ennemis que j'immole;
Dans leur sang odieux j'ai pu tremper mes mains;
Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.
A mon fils Xipharès je dois cette fortune;

Il épargne à ma mort leur présence importune.
Que ne puis-je payer ce service important
De tout ce que mon trône eut de plus éclatant!
Mais vous me tenez lieu d'empire, de couronne;
Vous seule me restez: souffrez que je vous donne,
Madame; et tous ces vœux que j'exigeais de vous,
Mon cœur pour Xipharès vous les demande tous.

MONIME,

Vivez, seigneur, vivez pour le bonheur du monde,
Et pour sa liberté, qui sur vous seul se fonde;
Vivez pour triompher d'un ennemi vaincu,

Pour venger...

MITHRIDATE.

C'en est fait, madame, et j'ai vécu.
Mon fils, songez à vous: gardez-vous de prétendre
Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre.
Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités,
Viendront ici sur vous fondre de tous côtés.

Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite
A rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte.
Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés,

Suffisent à ma cendre et l'honorent assez.

Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie.

Allez,

réservez-vous...

XIPHARÈS.

Moi, seigneur, que je fuie?

Que Pharnace impuni, les Romains triomphants,

N'éprouvent pas bientôt...

MITHRIDATE.

Non, je vous le défends.

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse :
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.
Mais je sens affaiblir ma force et mes esprits.
Je sens que je me meurs... Approchez-vous, mon fils;
Dans cet embrassement dont la douceur me flatte,
Venez, et recevez l'âme de Mithridate.

Il expire.

MONIME.

XIPHARÈS.

A madame! unissons nos douleurs, Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs.

D'IPHIGÉNIE

Il n'y a rien de plus célèbre dans les poètes que le sacrifice d'Iphigénie mais ils ne s'accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans AGAMEMNON, Sophocle dans ÉLECTRE, et, après eux, Lucrèce, Horace, et beaucoup d'autres, veulent qu'on ait en effet répandu le sang d'lphigénie, fille d'Agamemnon, et qu'elle soit morte en Aulide. Il ne faut que lire Lucrèce au commencement de son premier livre :

Aulide quo pacto Triviaï virginis aram
Iphianassaï turparunt sanguine fœde
Ductores Danaum, etc.

Et Clytemnestre dit dans Eschyle qu'Agamemnon son mari, qui vient d'expirer, rencontrera dans les enfers Iphigénie sa fille, qu'il a autrefois Immolée.

D'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette jeune princesse, l'avait enlevée et portée dans la Tauride au moment qu'on l'allait sacrifier, et que la déesse avait fait trouver en sa place ou une biche, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et Ovide l'a mise au nombre des métamorphoses.

Il y a une troisième opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux autres, sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stésichorus, l'un des plus anciens poëtes lyriques, ont écrit qu'il était bien vrai qu'une princessc de ce nom avait été sacrifiée, mais que cette Iphigénie était une fille qu'Hélène avait eue de Thésée. Hélène, disent ces auteurs, ne l'avait osé avouer pour sa fille, parce qu'elle n'osait déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias (Corinth. pag. 123) rapporte et le témoignage et les noms des poètes qui ont été de ce sentiment; et il ajoute que c'était la créance commune de tout le pays d'Argos.

Homère enfin, le père des poëtes, a si peu prétendu qu'Iphigénie, fille d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie, que, dans le neuvième livre de l'Iliade, c'est-à-dire près de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'il a, dit-il, laissée à Mycènes, dans sa maison.

J'ai rapporté tous ces avis si différents, et surtout le passage de Pausanias, parce que c'est à cet auteur que je dois l'heureux personnage d'Ériphile, sans lequel je n'aurais jamais osé entreprendre cette tragédie. Quelle apparence que j'eusse souillé la scène par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il fallait représenter Iphigénie? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédie par le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorphose qui pouvait bien trouver quelque créance du temps d'Euripide, mais qui serait trop absurde et trop incroyable parmi nous ?

Je puis dire donc que j'ai été très-heureux de trouver dans les anciens cette autre Iphigénie, que j'ai pu représenter telle qu'il m'a plu, et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punic, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la pièce est

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