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Je rapporte ces autorités, parce que je me suis très-scrupuleusement attaché à suivre la fable. J'ai même suivi l'histoire de Thésée telle qu'elle est dans Plutarque.

C'est dans cet historien que j'ai trouvé que ce qui avait donné occasion de croire que Thésée fût descendu dans les enfers pour enlever Proserpine était un voyage que ce prince avait fait en Épire vers la source de l'Achéron, chez un roi dont Pirithous voulait enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier, après avoir fait mourir Pirithoüs. Ainsi j'ai tâché de conserver la vraisemblance de l'histoire, sans rien perdre des ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la poésie. Et le bruit de la mort de Thésée, fondé sur ce voyage fabuleux, donne lieu à l'hèdre de faire une déclaration d'amour qui devient une des principales causes de son malheur, et qu'elle n'aurait jamais osé faire tant qu'elle aurait cru que son mari était vivant.

Au reste, je n'ose encore assurer que cette pièce soit en effet la meilleure de mes tragédies; je laisse et aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Ce que je puis assurer, c'est que je n'en ai point fait où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies: la seule pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même : les faiblesses de l'amour y passent pour de vraies faiblesses: les passions n'y sont présentées aux yeux que pour montrer tout le désordre dont elles sont cause; et le vice y est peint partout avec des couleurs qui en font connaître et haïr la difformité. C'est là proprement le but que tout homme qui travaille pour le public doit se proposer; et c'est ce que les premiers poëtes tragiques avaient en vue sur toute chose. Leur théâtre était une école où la vertu n'était pas inoins bien enseignée que dans les écoles des philosophes. Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poëme dramatique; et Socrate, le plus sage des philosophes, ne dedaignait pas de mettre la main aux tragédies d'Euripide. Il serait à souhaiter que nos ouvrages fussent aussi solides et aussi pleins d'utiles instructions que ceux de ces poëtes : ce serait peut-être un moyen de réconcilier la tragédie avec quantité de personnes célèbres par leur piété et par leur doctrine, qui l'ont condamnée dans ces derniers temps, et qui en jugeraient sans doute plus favorablement, si les auteurs songcaient autant à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir, et s'ils suivaient en cela la véritable intention de la tragédie.

TRAGÉDIE (1677.)

ACTEURS.

THÉSÉE, fils d'Égée, roi d'Athènes.

PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphae.
HIPPOLYTE, fils de Thésée, et d'Antiope reine, des Amazones.
ARICIE, princesse du sang royal d'Athènes.

OENONE, nourrice et confidente de Phèdre.
THÉRAMÈNE, gouverneur d'Hippolyte.

ISMÈNE, confidente d'Aricic.

PANORE, femme de la suite de Phèdre.

GARDES.

La scène est à Trézène, ville du l'éloponnèse.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

HIPPOLYTE, THÉRAMÈNE.

HIPPOLYTE.

Le dessein en est pris, je pars, cher Théramène,
Et quitte le séjour de l'aimable Trézène.
Dans le doute mortel dont je suis agité,
Je commence à rougir de mon oisiveté :
Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
J'ignore le destin d'une tête si chère,

J'ignore jusqu'aux lieux qui le peuvent cacher.

THÉRAMÈNE.

Et dans quels lieux, seigneur, l'allez-vous donc chercher?

Déjà, pour satisfaire à votre juste crainte,

J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe;
J'ai demandé Thésée aux peuples de ces bords
Où l'on voit l'Achéron se perdre chez les morts;
J'ai visité l'Élide, et, laissant le Ténare,
Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare.

Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
Croyez-vous découvrir la trace de ses pas?

Qui sait même, qui sait si le roi votre père
Veut que de son absence on sache le mystère ?
Et si, lorsqu'avec vous nous tremblons pour ses jours,
Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
Ce héros n'attend point qu'une amante abusée...

HIPPOLYTE

Cher Théramène, arrête; et respecte Thésée.
De ses jeunes erreurs désormais revenu,
Par un indigne obstacle il n'est point retenu;
Et, fixant de ses vœux l'inconstance fatale,
Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
Enfin, en le cherchant je suivrai mon devoir,
Et je fuirai ces lieux, que je n'ose plus voir.
THÉRAMÈNE.

Hé! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présence
De ces paisibles lieux si chers à votre enfance,

Et dont je vous ai vu préférer le séjour

Au tumulte pompeux d'Athène et de la cour?

Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?

HIPPOLYTE.

Cet heureux temps n'est plus. Tout a changé de face,
Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
La fille de Minos et de Pasiphaé.

THÉRAMÈNE.

J'entends: de vos douleurs la cause m'est connue.
Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,
Que votre exil d'abord signala son crédit.
Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,
On s'est évanouie, ou s'est bien relâchée.
Et d'ailleurs quels périls vous peut faire courir
Une femme mourante, et qui cherche à mourir ?
Phèdre atteinte d'un mal qu'elle s'obstine à taire,
Lasse enfin d'elle-même et du jour qui l'éclaire,
Peut-elle contre vous former quelques desseins?

HIPPOLYTE.

Sa vaine inimitié n'est pas ce que je crains.
Hippolyte en partant fuit une autre ennemic :
Je fuis, je l'avouerai, cette jeune Aricie,

Reste d'un sang fatal conjuré contre nous.

THÉRAMÈNE.

Quoi! vous-même, seigneur, la persécutez-vous? Jamais l'aimable sœur des cruels Pallantides Trempa-t-elle aux complots de ses frères perfides? Et devez-vous haïr ses innocents appas?

HIPPOLYTE.

Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.

THÉRAMÈNE.

Seigneur, m'est-il permis d'expliquer votre fuite? Pourriez-vous n'être plus ce superbe Hippolyte, Implacable ennemi des amoureuses lois

Et d'un joug que Thésée a subi tant de fois? Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée, Voudrait-elle à la fin justifier Thésée?

Et, vous mettant au rang du reste des mortels, Vous a-t-elle forcé d'encenser ses autels?

Aimeriez-vous, seigneur?

HIPPOLYTE.

Ami, qu'oses-tu dire?

Toi qui connais mon cœur depuis que je respire,
Des sentiments d'un cœur si fier, si dédaigneux,
Peux-tu me demander le désaveu honteux ?
C'est peu qu'avec son lait une mère amazone
M'ait fait sucer encor cet orgueil qui t'étonne;
Dans un åge plus mûr moi-même parvenu,
Je me suis applandi quand je me suis connu.
Attaché près de moi par un zèle sincère,
Tu me contais alors l'histoire de mon père.
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
S'échauffait au récit de ses nobles exploits;
Quand tu me dépeignais ce héros intrépide
Consolant les mortels de l'absence d'Alcide,
Les monstres étouffés, et les brigands punis,
Procruste, Cercyon, et Scyron, et Sinnis,
Et les os dispersés du géant d'Épidaure,
Et la Crète fumant du sang du Minotaure :
Mais quand tu récitais des faits moins glorieux,
Sa foi partout offerte et reçue en cent lieux,
Hélène à ses parents dans Sparte dérobée,
Salamine témoin des pleurs de Péribée,

Tant d'autres, dont les noms lui sont même échappés,
Trop crédules esprits que sa flamme a trompés!
Ariane aux rochers contant ses injustices,
Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices;
Tu sais comme, à regret écoutant ce discours,
Je te pressais souvent d'en abréger le cours
Heureux si j'avais pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d'une si belle histoire!
Et moi-même, à mon tour, je me verrais lié!
Et les dieux jusque-là m'auraient humilié!

Dans mes lâches soupirs d'autant plus méprisable,
Qu'un long amas d'honneurs rend Thésée excusable;
Qu'aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui
Ne m'ont acquis le droit de faillir comme lui!
Quand même ma fierté pourrait s'être adoucie,
Aurais-je pour vainqueur dû choisir Aricie?
Ne souviendrait-il plus à mes sens égarés
De l'obstacle éternel qui nous a séparés ?
Mon père la réprouve; et, par des lois sévères,
Il défend de donner des neveux à ses frères.
D'une tige coupable il craint un rejeton.
Il veut avec leur sœur ensevelir leur nom;
Et que, jusqu'au tombeau soumise à sa tutelle,
Jamais les feux d'hymen ne s'allument pour elle.
Dois-je épouser ses droits contre un père irrité?
Donnerai-je l'exemple à la témérité ?

Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée...
THÉRAMÈNE.

Ah seigneur! si votre heure est une fois marquée,
Le ciel de nos raisons ne sait point s'informer.
Thésée ouvre yos yeux en voulant les fermer;
Et sa haine, irritant une flamme rebelle,
Prête à son ennemie une grâce nouvelle.
Enfin, d'un chaste amour pourquoi vous effrayer?
S'il a quelque douceur, n'osez-vous l'essayer?
En croirez-vous toujours un farouche scrupule?
Craint-on de s'égarer sur les traces d'Hercule?
Quels courages Vénus n'a-t-elle pas domptés?
Vous-même où seriez-vous, vous qui la combattez,
Si toujours Antiope, à ses lois opposée,
D'une pudique ardeur n'eût brûlé pour Thésée?

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