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OF

CALIFORNIA

LA THÉBAÏDE,

OU

LES FRÈRES ENNEMIS.

TRAGÉDIE'.

1664.

A MONSEIGNEUR

LE DUC DE SAINT-AIGNAN",

PAIR DE FRANCE.

MONSEIGNEUR,

je vous présente un ouvrage qui n'a peut-être rien de considérable que l'honneur de vous avoir plu. Mais véritablement cet honneur est quelque chose de si grand pour moi, que, quand ma

1. OEdipe avait tué son père Laïus, sans le connaître, et était devenu l'époux de Jocaste, sa mère. Pour se punir de ces crimes involontaires, il s'arracha lui-même les yeux, et quittant la ville de Thèbes, dont il était roi, accompagné de sa fille Antigone, il fut mourir à Colonne, près d'Athènes. Cependant ses deux fils, Étéocle et Polynice, se disputaient son trône, Polynice, chassé par son frère, se retira près d'Adraste, roi d'Argos, qui lui donna sa fille et le ramena sous les murs de Thèbes, à la tête d'une armée commandée, avec lui et Polynice, par enq antres rois. De là le nom de guerre des sept chefs. On place cette guerre vers 230. Tous les chefs périrent, à l'exception d'Adraste.

Etéocle et Polynice se tuèrent en combat singulier. Créon, leur oncle, devenu roi par leur mort, défendit de leur donner la sépulture. Antigone, pieuse envers ses frères comme elle l'avait été envers son père, lui désobéit. Le tyran la fit mourir. Il fut lui-même vaincu et tué par Thésée.

Outre les tragédies dont parle Racine dans sa préface, la mort d'Étéocle et de Polynice est aussi le sujet de la Thebaide de Stace.

Molière avait composé dans sa jeunesse une tragédie de la Thébaïde qui a péri tout entière. On croit qu'il indiqua ce sujet à Racine, et lui donna même des conseils.

2. Beauvilliers, duc de Saint-Aignan, membre de l'Académie française.

RACINE I

pièce ne m'auroit produit que cet avantage, je pourrois dire que son succès auroit passé mes espérances. Et que pouvois-je espérer de plus glorieux que l'approbation d'une personne qui sait donner aux choses un juste prix, et qui est lui-même l'admiration de tout le monde? Aussi, Monseigneur, si la Thebaide a reçu quelques applaudissemens, c'est sans doute qu'on n'a pas osé démentir le jugement que vous avez donné en sa faveur; et il semble que vous lui ayez communiqué ce don de plaire qui accompagne toutes vos actions. J'espère qu'étant dépouillée des ornemens du théâtre, vous ne laisserez pas de la regarder encore favorablement. Si cela est, quelques ennemis qu'elle puisse avoir, je n'appréhende rien pour elle, puisqu'elle sera assurée d'un protecteur que le nombre des ennemis n'a pas accoutumé d'ébranler. On sait, Monseigneur, que, si vous avez une parfaite connoissance des belles choses, vous n'entreprenez pas les grandes avec un courage moins élevé, et que vous avez réuni en vous ces deux excellentes qualités qui ont fait séparément tant de grands hommes. Mais je dois craindre que mes louanges ne vous soient aussi importunes que les vôtres m'ont été avantageuses: aussi bien, je ne vous dirois que des choses qui sont connues de tout le monde, et que vous seul voulez ignorer. Il suffit que vous me permettiez de vous dire, avec un profond respect, que je suis,

MONSEIGNEUR,

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,

RACINE.

PRÉFACE.

Le lecteur me permettra de lui demander un peu plus d'indul gence pour cette pièce que pour les autres qui la suivent; j'étois fort jeune quand je la fis. Quelques vers que j'avois faits alors tombèrent par hasard entre les mains de quelques personnes d'esprit; elles m'excitèrent à faire une tragédie, et me proposèrent le sujet de la Thebaïde. Ce sujet avoit été autrefois traité par Rotrou, sous le nom d'Antigone; mais il faisoit mourir les deux frères dès le commencement de son troisième acte. Lé reste étoit en quelque sorte le commencement d'une autre tragédie, où l'on entroit dans des intérêts tout nouveaux; et il avoit réuni en une seule pièce deux actions différentes, dont l'une sert de matière aux Phéniciennes d'Euripide, et l'autre à l'Antigone de Sophocle.

Je compris que cette duplicité d'action avoit pu nuire à sa pièce, qui d'ailleurs étoit remplie de quantité de beaux endroits. Je dressai à peu près mon plan sur les Phéniciennes d'Euripide; car, pour la Thebaide qui est dans Sénèque, je suis un peu de l'opinion d'Heinsius, et je tiens, comme lui, que non-seulement ce n'est point une tragédie de Sénèque, mais que c'est plutôt l'ouvrage d'un déclamateur, qui ne savoit ce que c'étoit que tragédie.

La catastrophe de ma pièce est peut-être un peu trop sanglante; en effet, il n'y paroît presque pas un acteur qui ne meure à la fin : mais aussi c'est la Thébaïde, c'est-à-dire le sujet le plus tragique de l'antiquité.

L'amour, qui a d'ordinaire tant de part dans les tragédies, n'en a presque point ici; et je doute que je lui en donnasse davantage si c'étoit à recommencer; car il faudroit, ou que l'un des deux frères fût amoureux, ou tous les deux ensemble. Et quelle apparence de leur donner d'autres intérêts que ceux de cette fameuse haine qui les occupoit tout entiers? Ou bien il faut jeter l'amour sur un des seconds personnages, comme j'ai fait; et alors cette passion, qui devient comme étrangère au sujet, ne peut produire que de médiocres effets. En un mot, je suis persuadé qué les tendresses ou les jalousies des amants ne sauroient trouver que fort peu de place parmi les incestes, les parricides, et toutes les autres horreurs qui composent l'histoire d'Edipe et de sa malheureuse famille.

PERSONNAGES ET ACTEURS.

ÉTÉOCLE, roi de Thèbes.
POLYNICE, frère d'Étéocle.

JOCASTE, mère de ces deux princes et d'Anti

gone.

ANTIGONE, sœur d'Étéocle et de Polynice.
CREON, oncle des princes et de la princesse.
HÉMON, fils de Créon, amant d'Antigone.
OLYMPÉ, confidente de Jocaste.

ATTALE, confident de Créon.

UN SOLDAT de l'armée de Polynice.
GARDES.

MOLIÈRE.
LA GRANGE

MADELEINE BÉJART.

Mlle DE BRIE.

LA THORILLIÈRE.
HUBERT.

La scène est à Thèbes, dans une salle du palais.

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Ils sont sortis, Olympe? Ah, mortelles douleurs!
Qu'un moment de repos me va coûter de pleurs !
Mes yeux depuis six mois étoient ouverts aux larmes,
Et le sommeil les ferme en de telles alarmes !
Puisse plutôt la mort les fermer pour jamais,
Et m'empêcher de voir le plus noir des forfaits!
Mais en sont-ils aux mains?

OLYMPE.

Du haut de la muraille Je les ai vus déjà tous rangés en bataille; J'ai vu déjà le fer briller de toutes parts; Et pour vous avertir j'ai quitté les remparts. J'ai vu, le fer en main, Etéocle lui-même; Il marche des premiers; et, d'une ardeur extrême, Il montre aux plus hardis à braver le danger.

JOCASTE.

N'en doutons plus, Olympe, ils se vont égorger.
Que l'on coure avertir et hâter la princesse;
Je l'attends. Juste ciel! soutenez ma foiblesse.
Il faut courir, Olympe, après ces inhumains;
Il les faut séparer, ou mourir par leurs mains.
Nous voici donc, hélas! à ce jour détestable
Dont la seule frayeur me rendoit misérable.
Ni prières ni pleurs ne m'ont de rien servi,
Et le courroux du sort vouloit être assouvi
O toi, soleil, ô toi qui rends le jour au monde,
Que ne l'as-tu laissé dans une nuit profonde!
A de si noirs forfaits prêtes-tu tes rayons,
Et peux-tu sans horreur voir ce que nous voyons?
Mais ces monstres, hélas! ne t'épouvantent guères
La race de Laïus les a rendus vulgaires;

Tu peux voir sans frayeur les crimes de mes fils,
Après ceux que le père et la mère ont commis.
Tu ne t'étonnes pas si mes fils sont perfides,
S'ils sont tous deux méchans, et s'ils sont parricides:
Tu sais qu'ils sont sortis d'un sang incestueux,
Et tu t'étonnerois s'ils étoient vertueux.

SCÈNE II.

-

JOCASTE, ANTIGONE, OLYMPE.

JOCASTE.

Ma fille, avez-vous su l'excès de nos misères?

ANTIGONE.

Oui, madame, on m'a dit la fureur de mes frères.

JOCASTE.

Allons, chère Antigone, et courons de ce pas
Arrêter, s'il se peut, leurs parricides bras.
Allons leur faire voir ce qu'ils ont de plus tendre;
Voyons si contre nous ils pourront se défendre,
Ou s'ils oseront bien, dans leur noire fureur,
Répandre notre sang pour attaquer le leur.

ANTIGONE.

Madame, c'en est fait, voici le roi lui-même

SCÈNE III. JOCASTE, ÉTÉOCLE, ANTIGONE, OLYMPE

JOCASTE.

Olympe, soutiens-moi; ma douleur est extrême.

ÉTÉOCLE.

Madame, qu'avez-vous? et quel trouble....

JOCASTE.

Ah! mon fils!

Quelles traces de sang vois-je sur vos habits?

Est-ce du sang d'un frère? ou n'est-ce point du vôtre?

ÉTÉOCLE.

Non, madame, ce n'est ni de l'un ni de l'autre.

Dans son camp jusqu'ici Polynice arrêté,

Pour combattre, à mes yeux ne s'est point présenté.
D'Argiens seulement une troupe hardie

M'a voulu de nos murs disputer la sortie :
J'ai fait mordre la poudre à ces audacieux,
Et leur sang est celui qui paroît à vos yeux.

JOCASTE.

Mais que prétendiez-vous? et quelle ardeur soudaine
Vous a fait tout à coup descendre dans la plaine?
ÉTÉOCLE.

Madame, il étoit temps que j'en usasse ainsi,
Et je perdois ma gloire à demeurer ici.

Le peuple à qui la faim se faisoit déjà craindre,
De mon peu de vigueur commençoit à se plaindre,
Me reprochant déjà qu'il m'avoit couronné,
Et que j'occupois mal le rang qu'il m'a donné.
Il le faut satisfaire; et, quoi qu'il en arrive,

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