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Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit?
Venez, a vos fureurs Oreste s'abandonne
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione .
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer,
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer

PYLADE

Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse; Ménageons les momens que ce transport nous laisse Sauvons-le. Nos efforts deviendroient impuissans S'il reprenoit ici sa rage avec ses sens.

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COMÉDIE.

1668.

PRÉFACE.

Quand je lus les Guêpes d'Aristophane, je ne songeois guère que j'en dusse faire les Plaideurs. J'avoue qu'elles me divertirent beaucoup, et j'y trouvai quantité de plaisanteries qui me tentèrent d'en faire part au public; mais c'étoit en les mettant dans la bouche des Italiens, à qui je les avois destinées, comme une chose qui leur appartenoit de plein droit. Le juge qui saute par les fenêtres, le chien criminel, et les larmes de sa famille, me sembloient autant d'incidens dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet acteur interrompit mon dessein, et fit naître l'envie à quelques-uns de mes amis de voir sur notre théâtre un échantillon d'Aristophane. Je ne me rendis pas à la première proposition qu'ils m'en firent je leur dis que quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon inclination ne me porteroit pas à le prendre pour modèle si j'avois à faire une comédie; et que j'aimerois beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre et de Térence, que la liberté de Plaute et d'Aristophane. On me répondit que ce n'étoit pas une comédie qu'on me demandoit, et qu'on youloit seulement voir si les bons mots d'Aristophane auroient quelque grâce dans notre langue. Ainsi, moitié en m'encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l'œuvre, mes amis me firent commencer une pièce qui ne tarda guère à être achevée.

Cependant la plupart du monde ne se soucie point de l'intention ni de la diligence des auteurs. On examina d'abord mon amusement comme on auroit fait une tragédie. Ceux mêmes qui s'y étoient le plus divertis eurent peur de n'avoir pas ri dans les règles, et trouvèrent mauvais que je n'eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire. Quelques autres s'imaginèrent qu'il étoit

1. Tiberio Fiurelli, créateur du personnage de Scaramouche, et qui le jour sur le théâtre italien de Paris jusqu'à la plus extrême vieillesse.

bienséant à eux de s'y ennuyer, et que les matières de palais ne pouvoient pas être un sujet de divertissement pour des gens de cour. La pièce fut bientôt après jouée à Versailles. On ne fit point de scrupule de s'y réjouir: et ceux qui avoient cru se déshonorer de rire à Paris, furent peut-être obligés de rire à Versailles, pour se faire honneur.

Ils auroient tort, à la vérité, s'ils me reprochoient d'avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C'est une langue qui m'est plus étrangère qu'à personne; et je n'ai employé que quelques mots barbares que je puis avoir appris dans le cours d'un procès que ni mes juges ni moi n'avons jamais bien entendu.

Si j'appréhende quelque chose, c'est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge; mais enfin je traduis Aristophane, et l'on doit se souvenir qu'il avoit affaire à des spectateurs assez difficiles. Les Athéniens savoient apparemment ce que c'étoit que le sel attique; et ils étoient bien sûrs, quand ils avoient ri d'une chose, qu'ils n'avoient pas ri d'une sottise.

Pour moi, je trouve qu'Aristophane a eu raison de pousser les choses au delà du vraisemblable. Les juges de l'Aréopage n'auroient pas peut-être trouvé bon qu'il eût marqué au naturel leur avidité de gagner, les bons tours de leurs secrétaires, et les forfanteries de leurs avocats. Il étoit à propos d'outrer un peu les personnages pour les empêcher de se reconnoître Le public ne laissoit pas de discerner le vrai au travers du ridicule; et je m'assure qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux orateurs autour d'un chien accusé, que si l'on avoit mis sur la sellette un véritable criminel, et qu'on eût intéressé les spectateurs à la vie d'un homme.

Quoi qu'il en soit, je puis dire que notre siècle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le sien; et que si le but de ma comédie étoit de faire rire, jamais comédie n'a mieux attrapé son but. Ce n'est pas que j'attende un grand honneur d'avoir assez longtemps réjoui le monde; mais je me sais quelque gré de l'avoir fait sans qu'il m'en ait coûté une seule de ces sales équivoques et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d'où quelques auteurs plus modestes l'avoient tiré.

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La scène est dans une ville de Basse-Normandie.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

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PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès.

Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service;
Il m'avoit fait venir d'Amiens pour être suisse.
Tous ces Normands vouloient se divertir de nous ·
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.
Tout Picard que j'étois, j'étois un bon apôtre,
Et je faisois claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parloient chapeau bas;
Monsieur de Petit-Jean, ah! gros comme le bras!
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi, j'étois un franc portier de comédie;
On avoit beau heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entroit pas chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de suisse; et ma porte étoit close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendois quelque chose :
Nous comptions quelquefois. On me donnoit le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin;
Mais je n'y perdois rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurois sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage : il avoit le cœur trop au métier ;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier

Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire,
Il s'y seroit couché sans manger et sans boire.
Je lui disois parfois : « Monsieur Perrin-Dandin,
Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.
Qui veut voyager loin ménage sa monture;

Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal grẻ,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire;
Il disoit qu'un plaideur dont l'affaire alloit mal
Avoit graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allégre.
Pour moi, je ne dors plus aussi je deviens maigre;
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais, veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi, pour cette nuit il faut que je m'en donne!
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons.

(Il se couche par terre.)

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Il a déjà bien peur de me voir enrhumé.

L'INTIMÉ.

Que diable! si matin que fais-tu dans la rue?

PETIT-JEAN.

Est-ce qu'il faut toujours faire le pied de grue,
Garder toujours un homme, et l'entendre crier ?
Quelle gueule! Pour moi, je crois qu'il est sorcier.
L'INTIME.

Bon!

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