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vons nous proposer; et nous devons sans cesse nous demander. Que diroient Homère et Virgile, s'ils lisoient ces vers? que diroit Sophocle, s'il voyoit représenter cette scène? Quoi qu'il en soit, je n'ai point prétendu empêcher qu'on ne parlât contre mes ouvrages; je l'aurois prétendu inutilement : Quid de te alii loquantur ipsi videant, dit Cicéron, sed loquentur tamen1.

Je prie seulement le lecteur de me pardonner cette petite préface, que j'ai faite pour lui rendre raison de ma tragédie. Il n'y a rien de plus naturel que de se défendre quand on se croit injustement attaqué. Je vois que Térence même semble n'avoir fait des prologues que pour se justifier contre les critiques d'un vieux poëte malintentionné, malevoli veteris poetæ, et qui venoit briguer des voix contre lui jusqu'aux heures où l'on représentoit ses comédies.

«< Exclamat, etc2. >>

Occœpta est agi:

On me pouvoit faire une difficulté qu'on ne m'a point faite. Mais ce qui est échappé aux spectateurs pourra être remarqué par les selon lecteurs. C'est que je fais entrer Junie dans les vestales, où, ni auAulu-Gelle, on ne recevoit personne au-dessous de six ans, dessus de dix. Mais le peuple prend ici Junie sous sa protection; et j'ai cru qu'en considération de sa naissance, de sa vertu et de son malheur, il pouvoit la dispenser de l'âge prescrit par les lois, comme il a dispensé de l'âge pour le consulat tant de grands hommes qui avoient mérité ce privilége.

Enfin, je suis très-persuadé qu'on me peut faire bien d'autres critiques, sur lesquelles je n'aurois d'autre parti à prendre que celui d'en profiter à l'avenir. Mais je plains fort le malheur d'un homme qui travaille pour le public. Ceux qui voient le mieux nos défauts sont ceux qui les dissimulent le plus volontiers : ils nous pardonnent les endroits qui leur ont déplu, en faveur de ceux qui leur ont donné du plaisir. Il n'y a rien, au contraire, de plus injuste qu'un ignorant : il croit toujours que l'admiration est le partage des gens qui ne savent rien; il condamne toute une pièce pour une scène qu'il n'approuve pas; il s'attaque même aux endroits les plus éclatans, pour faire croire qu'il a de l'esprit; et pour peu que nous résistions à ses sentimens, il nous traite de présomptueux qui ne veulent croire personne, et ne songe pas

1. « C'est aux autres à voir ce qu'ils diront de toi, mais à coup sûr ils en diront quelque chose. »

2. «A peine a-t-on commencé la pièce, qu'il pousse des exclama

tions. >>

qu'il tire quelquefois plus de vanité d'une critique fort mauvaise que nous n'en tirons d'une assez bonne pièce de théâtre.

<< Homine imperito nunquam quidquam injustius'. »

SECONDE PRÉFACE.

Voici celle de mes tragédies que je puis dire que j'ai le plus travaillée. Cependant j'avoue que le succès ne répondit pas d'abord à mes espérances à peine elle parut sur le théâtre, qu'il s'éleva quantité de critiques qui sembloient la devoir détruire. Je crus moi-même que sa destinée seroit à l'avenir moins heureuse que celle de mes autres tragédies. Mais enfin il est arrivé de cette pièce ce qui arrivera toujours des ouvrages qui auront quelque bonté les critiques se sont évanouies, la pièce est demeurée. C'est maintenant celle des miennes que la cour et le public revoient le plus volontiers. Et si j'ai fait quelque chose de solide, et qui mérite quelque louange, la plupart des connoisseurs demeurent d'accord que c'est ce même Britannicus.

:

A la vérité j'avois travaillé sur des modèles qui m'avoient extrêmement soutenu dans la peinture que je voulois faire de la cour d'Agrippine et de Néron. J'avois copié mes personnages d'après le plus grand peintre de l'antiquité, je veux dire d'après Tacite, et j'étois alors si rempli de la lecture de cet excellent historien. qu'il n'y a presque pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m'ait donné l'idée. J'avois voulu mettre dans ce recueil un extrait des plus beaux endroits que j'ai tàché d'imiter; mais j'ai trouvé que cet extrait tiendroit presque autant de place que la tragédie. Ainsi le lecteur trouvera bon que je le renvoie à cet auteur, qui aussi bien est entre les mains de tout le monde; et je me contenterai de rapporter ici quelques-uns de ses passages sur chacun des personnages que j'introduis sur la scène.

Pour commencer par Néron, il faut se souvenir qu'il est ici, dans les premières années de son règne, qui ont été heureuses, comme l'on sait. Ainsi, il ne m'a pas été permis de le représenter aussi méchant qu'il l'a été depuis. Je ne le représente pas non plus' comme un homme vertueux, car il ne l'a jamais été. Il n'a pas encore tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs; mais il a en lui les semences de tous ces crimes: il commence à vouloir secouer le joug; il les hait les uns et les autres; il leur cache sa haine

4. « Il n'y a rien de plus injuste qu'un ignorant. »

sous de fausses caresses, factus natura velare odium fallacibus blanditiis. En un mot, c'est ici un monstre naissant, mais qui n'ose encore se déclarer, et qui cherche des couleurs à ses méchantes actions: Hactenus Nero flagitiis et sceleribus velamenta quæsivit. Il ne pouvoit souffrir Octavie, princesse d'une bonté et d'une vertu exemplaires, fato quodam, an quia prævalent illicita; metuebaturque ne in stupra feminarum illustrium prorumperet'.

Je lui donne Narcisse pour confident. J'ai suivi en cela Tacite, qui dit que Néron porta impatiemment la mort de Narcisse, parce que cet affranchi avoit une conformité merveilleuse avec les vices du prince encore cachés : Cujus abditis adhuc vitiis mire congruebat. Ce passage prouve deux choses: il prouve et que Néron étoit déjà vicieux, mais qu'il dissimuloit ses vices, et que Narcisse l'entretenoit dans ses mauvaises inclinations.

J'ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette peste de cour; et je l'ai choisi plutôt que Sénèque ; en voici la raison ils étoient tous deux gouverneurs de la jeunesse de Néron, l'un pour les armes, et l'autre pour les lettres; et ils étoient fameux, Burrhus pour son expérience dans les armes et pour la sévérité de ses mœurs, militaribus curis et severitate morum; Sénèque pour son éloquence et le tour agréable de son esprit, Seneca præceptis eloquentiæ et comitate honesta. Burrhus, après sa mort, fut extrêmement regretté à cause de sa vertü : Civitati grande desiderium ejus mansit per memoriam virtutis.

Toute leur peine étoit de résister à l'orgueil et à la férocité d'Agrippine, quæ, cunctis malæ dominationis cupidinibus flagrans, habebat in partibus Pallantem'. Je ne dis que ce mot d'Agrippine, car il y auroit trop de choses à en dire. (C'est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer, et ma tragédie n'est pas moins la disgrâce d'Agrippine que la mort de Britannicus. Cette mort fut un coup de foudre pour elle; et il parut. dit Tacite, par sa frayeur et par sa consternation, qu'elle étoit aussi innocente de cette mort qu'Octavie. Agrippine perdoit en lui sa dernière espérance, et ce crime lui en faisoit craindre un plus grand Sibi supremum auxilium ereptum, et parricidii exemplum intelligebat.

L'âge de Britannicus étoit si connu, qu'il ne m'a pas été permis de le représenter autrement que comme un jeune prince qui avoit

1. «Par une sorte de fatalité, ou parce qu'on préfère toujours les plaisirs illicites; et l'on craignait qu'il n'en vint jusqu'à outrager les femmes les plus illustres. »

2. « Qui, dévorée par toutes les fureurs de l'ambitiou, strument Pallas. »

avait pour

in

beaucoup de cœur, beaucoup d'amour et beaucoup de franchise, qualités ordinaires d'un jeune homme. Il avoit quinze ans, et on dit qu'il avoit beaucoup d'esprit, soit qu'on dise vrai, ou que ses malheurs aient fait croire cela dé luf, sans qu'il ait pu en donner des marques: Neque segnem ei fuisse indolem ferunt; sive verum, seu, periculis commendatus, retinuit famam sine experimento.

Il ne faut pas s'étonner s'il n'a auprès de lui qu'un aussi méchant homme que Narcisse; car il y avoit longtemps qu'on avoit donné ordre qu'il n'y eût auprès de Britannicus que des gens qui n'eussent ni foi ni honneur: Nam ut proximus quisque Britannico neque fas neque fidem pensi haberet olim provisum erat.

Il me reste à parler de Junie. Il ne la faut pas confondre avec une vieille coquette qui s'appeloit Junia Silana. C'est ici une autre Junie, que Tacite appelle Junia Calvina, de la famille d'Auguste, sœur de Silanus, à qui Claudius avoit promis Octavie. Cette Junie étoit jeune, belle, et, comme dit Sénèque, festivissima omnium puellarum. Son frère et elle s'aimoient tendrement; et leurs ennemis, dit Tacite, les accusèrent tous deux d'inceste, quoiqu'ils ne fussent coupables qué d'un peu d'indiscretion. Elle vécut jusqu'au règne de Vespasien.

Je la fais entrer dans les vestales, quoique, selon Aulu-Gelle, on n'y reçût jamais personne au-dessous de six ans, ni au-dessus de dix. Mais le peuple prend ici Junie sous sa protection; et j'ai cru qu'en considération de sa naissance, de sa vertu et de son malheur, il pouvoit la dispenser de l'âge prescrit par les lois, comme il a dispensé de l'âge pour le consulat tant de grands hommes qui avoient mérité ce privilége.

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AGRIPPINE, veuve de Domitius Enobarbus,

père de Néron, et, en secondes noces, veuve Mlle DÉSOEILLET.

de l'empereur Claudius,

JUNIE, amante de Britannicus.

BURRHUS, gouverneur de Néron.

NARCISSE, gouverneur de Britannicus.

ALBINE, confidente d'Agrippine.

GARDES.

Mlle D'ENNEBAUT.

LAFLEUR.
HAUTEROCHE.

La scène est à Rome, dans une chambre du palais de Nérón,

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Quoi! tandis que Néron s'abandonne au sommeil,
Faut-il que vous veniez attendre son réveil ?
Qu'errant dans le palais, sans suite et sans escorte,
La mère de César veille seule à sa porte?
Madame, retournez dans votre appartement.

AGRIPPINE.

Albine, il ne faut pas s'éloigner un moment.
Je veux l'attendre ici : les chagrins qu'il me cause
M'occuperont assez tout le temps qu'il repose.
Tout ce que j'ai prédit n'est que trop assuré :
(Contre Britannicus Néron s'est déclaré.)
L'impatient Néron cesse de se contraindre;
Las de se faire aimer, il veut se faire craindre.
Britannicus le gêne, Albine; et chaque jour
Je sens que je deviens importune à mon tour,

ALBINE.

Quoi! vous à qui Néron doit le jour qu'il respire
Qui l'avez appelé de si loin à l'empire?
Vous qui, déshéritant le fils de Claudius,
Avez nommé César l'heureux Domitius?

Tout lui parle, madame, en faveur d'Agrippine :
Il vous doit son amour.

AGRIPPINE.

Il me le doit, Albine : Tout, s'il est généreux, lui prescrit cette loi; Mais tout, s'il est ingrat, lui parle contre moi.

ALBINE.

S'il est ingrat, madame? Ah! toute sa conduite
Marque dans son devoir une âme trop instruite.
Depuis trois ans entiers, qu'a-t-il dit, qu'a-t-il fait
Qui ne promette à Rome un empereur parfait?
Rome, depuis trois ans, par ses soins gouvernée,
Au temps de ses consuls croit être retournée :
Il la gouverne en père. Enfin Néron naissant
A toutes les vertus d'Auguste vieillissant.

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