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Seigneur, j'irai remplir le nombre des vestales.
Ne lui disputez plus mes vœux infortunés;
Souffrez que les dieux seuls en soient importunés.
NÉRON.

L'entreprise, madame, est étrange et soudaine.
Dans son appartement, gardes, qu'on la remène
Gardez Britannicus dans celui de sa sœur.

BRITANNICUS.

C'est ainsi que Néron sait disputer un cœur!

JUNIE.

Prince, sans l'irriter, cédons à cet orage Junil

NÉRON.

Gardes, obéissez sans tarder davantage.

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SCENE IX. NÉRON, BURRHUS.

Que vois-je? O ciel!

BURRHUS.

NÉRON, sans voir Burrhus.

Ainsi leurs feux sont redoublés ;

Je reconnois la main qui les a rassemblés.
Agrippine ne s'est présentée à ma vue,

Ne s'est dans ses discours si longtemps étendue,
Que pour faire jouer ce ressort odieux.

(Apercevant Burrhus.)

Qu'on sache si ma mère est encore en ces lieux.
Burrhus, dans ce palais je veux qu'on la retienne,
Et qu'au lieu de sa garde on lui donne la mienne.

BURRHUS.

Quoi, seigneur, sans l'ouïr? Une mère!

NÉRON.

Arrêtez :

J'ignore quel projet, Burrhus, vous méditez;
Mais, depuis quelques jours, tout ce que je désire
Trouve en vous un censeur prêt à me contredire.
Répondez-m'en, vous dis-je; ou, sur votre refus,
D'autres me répondront et d'elle et de Burrhus.

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Oui, madame, à loisir vous pourrez vous défendre :
César lui-même ici consent de vous entendre.

Si son ordre au palais vous a fait retenir,
C'est peut-être à dessein de vous entretenir.
Quoi qu'il en soit, si j'ose expliquer ma pensée,
Ne vous souvenez plus qu'il vous ait offensée;
Préparez-vous plutôt à lui tendre les bras,
Défendez-vous, madame, et ne l'accusez pas.
Vous voyez, c'est lui seul que la cour envisage.
Quoiqu'il soit votre fils, et même votre ouvrage,
Il est votre empereur. Vous êtes, comme nous,
Sujette à ce pouvoir qu'il a reçu de vous.

Selon qu'il vous menace, ou bien qu'il vous caresse,
La cour autour de vous ou s'écarte ou s'empresse.
C'est son appui qu'on cherche en cherchant votre appui.
Mais voici l'empereur.

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Approchez-vous, Néron, et prenez votre place.
On veut sur vos soupçons que je vous satisfasse
J'ignore de quel crime on a pu me noircir:
De tous ceux que j'ai faits je vais vous éclaircir.
Vous régnez vous savez combien votre naissance
Entre l'empire et vous avoit mis de distance.
Les droits de mes aïeux, que Rome a consacrés
Etoient même sans moi d'inutiles degrés.
Quand de Britannicus la mère condamnée
Laissa de Claudius disputer l'hyménée,
Parmi tant de beautés qui briguèrent son choix,
Qui de ses affranchis mendièrent les voix,
Je souhaitai son lit, dans la seule pensée
De vous laisser au trône où je serois placée

Je fléchis mon orgueil; j'allai prier Pallas.
Son maître, chaque jour caressé dans mes bras,
Prit insensiblement dans les yeux de sa nièce
L'amour où je voulois amener sa tendresse.
Mais ce lien du sang qui nous joignoit tous deux
Ecartoit Claudius d'un lit incestueux :

Il n'osoit épouser la fille de son frère.

Le sénat fut séduit une loi moins sévère

Mit Claude dans mon lit, et Rome à mes genoux.
C'étoit beaucoup pour moi, ce n'étoit rien pour vous.
Je vous fis sur mes pas entrer dans sa famille;
Je vous nommai son gendre, et vous donnai sa fille :
Silanus, qui l'aimoit, s'en vit abandonné,

Et marqua de son sang ce jour infortuné.

Ce n'étoit rien encore. Eussiez-vous pu prétendre
Qu'un jour Claude à son fils pût préférer son gendre?
De ce même Pallas j'implorai le secours :
Claude vous adopta, vaincu par ses discours,
Vous appela Néron; et du pouvoir suprême

Voulut, avant le temps, vous faire part lui-même.
C'est alors que chacun, rappelant le passé,
Découvrit mon dessein déjà trop avancé;
Que de Britannicus la disgrâce future
Des amis de son père excita le murmure.
Mes promesses aux uns éblouirent les yeux;
L'exil me délivra des plus séditieux;

Claude même, lassé de ma plainte éternelle
Éloigna de son fils tous ceux de qui le zèle,
Engagé dès longtemps à suivre son destin,
Pouvoit du trône encor lui rouvrir le chemin.
Jè fis plus je choisis moi-même dans ma suite
Ceux à qui je voulois qu'on livrât sa conduite:
J'eus soin de vous nommer, par un contraire choix,
Des gouverneurs que Rome honoroit de sa voix;
Je fus sourde à la brigue, et crus la renommée;
J'appelai de l'exil, je tirai de l'armée,
Et ce même Sénèque, et ce même Burrhus,
Qui depuis.... Rome alors estimoit leurs vertus.
De Claude en même temps épuisant les richesses,
Ma main, sous votre nom répandoit ses largesses.
Les spectacles, les dons, invincibles appas,

Vous attiroient les cœurs du peuple et des soldats,
Qui d'ailleurs, réveillant leur tendresse première,
Favorisoient en vous Germanicus mon père.
Cependant Claudius penchoit vers son déclin.

Ses yeux, longtemps fermés, s'ouvrirent à la fin :
Il connut son erreur. Occupé de sa crainte,
Il laissa pour son fils échapper quelque plainte,
Et voulut, mais trop tard, assembler ses amis.
Ses gardes, son palais, son lit, m'étoient soumis.
Je lui laissai sans fruit consumer sa tendresse;
De ses derniers soupirs je me rendis maîtresse :
Mes soins, en apparence, épargnant ses douleurs,
De son fils en mourant lui cachèrent les pleurs.
Il mourut. Mille bruits en courent à ma honte.
J'arrêtai de sa mort la nouvelle trop prompte:
Et tandis que Burrhus alloit secrètement

De l'armée en vos mains exiger le serment :

Que vous marchiez au camp, conduit sous mes auspices
Dans Rome les autels fumoient de sacrifices;
Par mes ordres trompeurs tout le peuple excité
Du prince déjà mort demandoit la santé.
Enfin, des légions l'entière obéissance

Ayant de votre empire affermi la puissance,
On vit Claude; et le peuple, étonné de son sort,
Apprit en même temps votre règne et sa mort.
C'est le sincère aveu que je voulois vous faire :
Voilà tous mes forfaits. En voici le salaire :
Du fruit de tant de soins à peine jouissant
En avez-vous six mois paru reconnoissant,
Que, lassé d'un respect qui vous gênoit peut-être,
Vous avez affecté de ne me plus connoître.
J'ai vu Burrhus, Sénèque, aigrissant vos soupçons,
De l'infidélité vous tracer des leçons,

Ravis d'être vaincus dans leur propre science.
J'ai vu favorisés de votre confiance
Othon, Sénécion, jeunes voluptueux,
Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux;
Et lorsque, vos mépris excitant mes murmures,
Je vous ai demandé raison de tant d'injures,
(Seul recours d'un ingrat qui se voit confondu)
Par de nouveaux affronts vous m'avez répondu.
Aujourd'hui je promets Junie à votre frère;
Ils se flattent tous deux du choix de votre mère :
Que faites-vous? Junie enlevée à la cour,
Devient en une nuit l'objet de votre amour;
Je vois de votre cœur Octavie effacée,
Prête à sortir du lit où je l'avois placée;
Je vois Pallas banni, votre frère arrêté;
Vous attentez enfin jusqu'à ma liberté :

Burrhus ose sur moi porter ses mains hardies.
Et lorsque, convaincu de tant de perfidies,
Vous deviez ne me voir que pour les expier,
C'est vous qui m'ordonnez de me justifier.)

NÉRON.

Je me souviens toujours que je vous dois l'empire;
Et, sans vous fatiguer du soin de le redire,
Votre bonté, madame, avec tranquillité
Pouvoit se reposer sur ma fidélité.

Aussi bien ces soupçons, ces plaintes assidues,
Ont faire croire à tous ceux qui les ont entendues
Que jadis, j'ose ici vous le dire entre nous,

Vous n'aviez, sous mon nom, travaillé que pour vous.
Tant d'honneurs, disoient-ils, et tant de déférences,
Sont-ce de ses bienfaits de foibles récompenses?
Quel crime a donc commis ce fils tant condamné?
Est-ce pour obéir qu'elle l'a couronné?

N'est-il de son pouvoir que le dépositaire? »
Non que, si jusque-là j'avois pu vous complaire,
Je n'eusse pris plaisir, madame, à vous céder
Ce pouvoir que vos cris sembloient redemander;
Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse,
Vous entendiez les bruits qu'excitoit ma foiblesse
Le sénat chaque jour et le peuple, irrités
De s'ouïr par ma voix dicter vos volontés,
Publioient qu'en mourant Claude avec sa puissance
M'avoit encor laissé sa simple obéissance.

Vous avez vu cent fois nos soldats en courroux
Porter en murmurant leurs aigles devant vous;
Honteux de rabaisser par cet indigne usage
Les héros dont encore elles portent l'image.
Toute autre se seroit rendue à leurs discours;

Mais, si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours.
Avec Britannicus contre moi réunie,

Vous le fortifiez du parti de Junie;

Et la main de Pallas trame tous ces complots.
Et, lorsque malgré moi j'assure mon repos,
On vous voit de colère et de haine animée :
Vous voulez présenter mon rival à l'armée;
Déjà jusques au camp le bruit en a couru.

AGRIPPINE.

Moi, le faire empereur? Ingrat! l'avez-vous cru?
Quel seroit mon dessein? qu'aurois-je pu prétendre?
Quels honneurs dans sa cour, quel rang pourrois-je attendre?
Ah! si sous votre empire on ne m'épargne pas

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