Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[ocr errors]

Ils croiront, en effet, mériter qu'on les craigne.
Au joug, depuis longtemps, ils se sont façonnés;
Ils adorent la main qui les tient enchaînés.
Vous les verrez toujours ardens à vous complaire :
Leur prompte servitude a fatigué Tibère.
Moi-même, revêtu d'un pouvoir emprunté
Que je reçus de Claude avec la liberté,

J'ai cent fois, dans le cours de ma gloire passée,
Tenté leur patience, et ne l'ai point lassée.
D'un empoisonnement vous craignez la noirceur?
Faites périr le frère, abandonnez la sœur;)
Rome, sur les autels prodiguant les victimes,
Fussent-ils innocens, leur trouvera des crimes :
Vous verrez mettre au rang des jours infortunės
Ceux où jadis la sœur et le frère sont nés.
NÉRON.

Narcisse, encore un coup, je ne puis l'entreprendre.
J'ai promis à Burrhus, il a fallu me rendre.
Je ne veux point encore, en lui manquant de foi,
Donner à sa vertu des armes contre moi.)
J'oppose à ses raisons un courage inutile:
Je ne l'écoute point avec un cœur tranquille.

NARCISSE.

Burrhus ne pense pas, seigneur, tout ce qu'il dit :
Son adroite vertu ménage son crédit;

Ou plutôt ils n'ont tous qu'une même pensée.
Ils verroient par ce coup leur puissance abaissée ;
Yous seriez libre alors, seigneur, et devant vous
Ces maîtres orgueilleux fléchiroient comme nous.
Quoi donc! ignorez-vous tout ce qu'ils osent dire?
« Néron, s'ils en sont crus, n'est point né pour l'empire;
Il ne dit, il ne fait que ce qu'on lui prescrit :
Burrhus conduit son cœur, Sénèque son esprit.
Pour toute ambition, pour vertu singulière,
Il excelle à conduire un char dans la carrière,
A disputer des prix indignes de ses mains,

A se donner lui-même en spectacle aux Romains,
A venir prodiguer sa voix sur un théâtre,
A réciter des chants qu'il veut qu'on idolâtre,
Tandis que des soldats, de momens en momens
Vont arracher pour lui les applaudissemens'. »

[ocr errors]

1. On attribue à ces vers la gloire d'avoir détourné Louis XIV de danser dans les ballets de la cour. Mais il n'est pas probable que Racine se soit proposé un pareil but en les écrivant ; et il y a une grande diffé16

RACINE I

Ah! ne voulez-vous pas les forcer à se taire?

NÉRON.

Viens, Narcisse: allons voir ce que nous devons faire.

[blocks in formation]

Oui, madame, Néron, qui l'auroit pu penser?
Dans son appartement m'attend pour m'embrasser.
Il y fait de sa cour inviter la jeunesse ;

Il veut que d'un festin la pompe et l'allégresse
Confirment à leurs yeux la foi de nos sermens,
Et réchauffent l'ardeur de nos embrassemens;
Il éteint cet amour, source de tant de haine;
Il vous fait de mon sort arbitre souveraine.
Pour moi, quoique banni du rang de mes aïeux,
Quoique de leur dépouille il se pare
à
mes yeux;
Depuis qu'à mon amour cessant d'être contraire
Il semble me céder la gloire de vous plaire,
Mon cœur, je l'avouerai, lui pardonne en secret,
Et lui laisse le reste avec moins de regret.
Quoi! je ne serai plus séparé de vos charmes !
Quoi! même en ce moment, je puis voir sans alarmes
Ces yeux que n'ont émus ni soupirs ni terreur,
Qui m'ont sacrifié l'empire et l'empereur!

Ah, madame!... Mais quoi! Quelle nouvelle crainte
Tient parmi mes transports votre joie `en contrainte?
D'où vient qu'en m'écoutant vos yeux, vos tristes yeux
Avec de longs regards se tournent vers les cieux?
Qu'est-ce que vous craignez?

Mais je crains.

JUNIE.

Je l'ignore moi-même;

BRITANNICUS.

Vous m'aimez?

rence entre Néron paraissant sur le théâtre en présence des Romains, et Louis XIV dansant un ballet au milieu de ses courtisans.

JUNIE.

Hélas! si je vous aime!

BRITANNICUS.

Néron ne trouble plus notre félicité.

JUNIE.

Mais me répondez-vous de sa sincérité?

BRITANNICUS.

Quoi! vous le soupçonnez d'une haine couverte?

JUNIE.

Néron m'aimoit tantôt, il juroit votre perte;
Il me fuit, il vous cherche; un si grand changement
Peut-il être, seigneur, l'ouvrage d'un moment?

BRITANNICUS.

Cet ouvrage, madame, est un coup d'Agrippine :
Elle a cru que ma perte entraînoit sa ruine.
Grâce aux préventions de son esprit jaloux,
Nos plus grands ennemis ont combattu pour nous.
Je m'en fie aux transports qu'elle m'a fait paroître;
Je m'en fie à Burrhus; j'en crois même son maître :
Je crois qu'à mon exemple, impuissant à trahir,
Il hait à cœur ouvert, ou cesse de haïr.

JUNIE.

Seigneur, ne jugez pas de son cœur par le vôtre :
Sur des pas différens vous marchez l'un et l'autre.
Je ne connois Néron et la cour que d'un jour;
Mais, si je l'ose dire, hélas! dans cette cour
Combien tout ce qu'on dit est loin de ce qu'on pense!
Que la bouche et le cœur sont peu d'intelligence!
Avec combien de joie on y trahit sa foi!

Quel séjour étranger et pour vous et pour moi!

BRITANNICUS.

Mais que son amitié soit véritable ou feinte,

Si vous craignez Néron, lui-même est-il sans crainte?
Non, non, il n'ira point, par un lâche attentat,
Soulever contre lui le peuple et le sénat.

Que dis-je? Il reconnoît sa dernière injustice;
Ses remords ont paru, même aux yeux de Narcisse.
Ah! s'il vous avoit dit, ma princesse, à quel point....

JUNIE.

Mais Narcisse, seigneur, ne vous trahit-il point?

BRITANNICUS.

Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s'en défie?

Et

JUNIE.

que sais-je? Il y va, seigneur, de votre vie : Tout m'est suspect: je crains que tout ne soit séduit;

Je crains Néron; je crains le malheur qui me suit.
D'un noir pressentiment malgré moi prévenue,
Je vous laisse à regret éloigner de ma vue.
Hélas! si cette paix dont vous vous repaissez
Couvroit contre vos jours quelques piéges dressés;
Si Néron, irrité de notre intelligence,

Avoit choisi la nuit pour cacher sa vengeance,
S'il préparoit ses coups tandis que je vous vois;
Et si je vous parlois pour la dernière fois!
Ah, prince!

BRITANNICUS.

Vous pleurez! Ah, ma chère princesse
Et pour moi jusque-là votre cœur s'intéresse!
Quoi, madame! en un jour où, plein de sa grandeur,
Néron croit éblouir vos yeux de sa splendeur,
Dans des lieux où chacun me fuit et le révère,
Aux pompes de sa cour préférer ma misère!
Quoi! dans ce même jour et dans ces mêmes lieux,
Refuser un empire, et pleurer à mes yeux!
Mais, madame, arrêtez ces précieuses larmes :
Mon retour va bientôt dissiper vos alarmes.
Je me rendrois suspect par un plus long séjour :
Adieu. Je vais, le cœur tout plein de mon amour,
Au milieu des transports d'une aveugle jeunesse,
Ne voir, n'entretenir que ma belle princesse.
Adieu.

[blocks in formation]

Prince, que tardez-vous? Partez en diligence.
Néron impatient se plaint de votre absence.
La joie et le plaisir de tous les conviés
Attend, pour éclater, que vous vous embrassiez.
Ne faites point languir une si juste envie;
Allez. Et nous, madame, allons chez Octavie.

BRITANNICUS.

Allez, belle Junie; et, d'un esprit content,
Hâtez-vous d'embrasser ma sœur qui vous attend.

Dès que je le pourrai, je reviens sur vos traces,
Madame; et de vos soins j'irai vous rendre grâces

[blocks in formation]

Madame, ou je me trompe, ou, durant vos adieux,
Quelques pleurs répandus ont obscurci vos yeux.
Puis-je savoir quel trouble a formé ce nuage?
Doutez-vous d'une paix dont je fais mon ouvrage?

JUNIE.

Après tous les ennuis que ce jour m'a coûtés,
Ai-je pu rassurer mes esprits agités ?

Hélas! à peine encor je conçois ce miracle.

Quand même à vos bontés je craindrois quelque obstacle,
Le changement, madame, est commun à la cour;
Et toujours quelque crainte accompagne l'amour.

AGRIPPINE.

suffit, j'ai parlé, tout a changé de face :)

Mes soins à vos soupçons ne laissent point de place.
Je réponds d'une paix jurée entre mes mains;
Néron m'en a donné des gages trop certains.
Ah! si vous aviez vu par combien de caresses
Il m'a renouvelé la foi de ses promesses;
Par quels embrassemens il vient de m'arrêter!
Ses bras, dans nos adieux, ne pouvoient me quitter.
Sa facile bonté, sur son front répandue,

Jusqu'aux moindres secrets est d'abord descendue :
Il s'épanchoit en fils qui vient en liberté
Dans le sein de sa mère oublier sa fierté.
Mais bientôt reprenant un visage sévère,
Tel que d'un empereur qui consulte sa mère,
Sa confidence auguste a mis entre mes mains
Des secrets d'où dépend le destin des humains.
Non, il le faut ici confesser à sa gloire,
Son cœur n'enferme point une malice noire;
Et nos seuls ennemis, altérant sa bonté,
Abusoient contre nous de sa facilité :
Mais enfin à son tour leur puissance décline;
Rome encore une fois va connoître Agrippine;
Déjà de ma faveur on adore le bruit.

Cependant en ces lieux n'attendons pas la nuit :
Passons chez Octavie, et donnons-lui le reste
D'un jour autant heureux que je l'ai cru funeste.
Mais qu'est-ce que j'entends? Quel tumulte confus!

« AnteriorContinuar »