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soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.

Je crus que je pourrois rencontrer toutes ces parties dans mon sujet; mais ce qui m'en plut davantage, c'est que je le trouvai extrêmement simple. Il y avoit longtemps que je voulois essayer si je pourrois faire une tragédie avec cette simplicité d'action qui a été si fort du goût des anciens; car c'est un des premiers préceptes qu'ils nous ont laissés : « Que ce que vous ferez, dit Horace, soit toujours simple et ne soit qu'un. » Ils ont admiré l'Ajax de Sophocle, qui n'est autre chose qu'Ajax qui se tue de regret, à cause de la fureur où il étoit tombé après le refus qu'on lui avoit fait des armes d'Achille. Ils ont admiré le Philoctète, dont tout le sujet est Ulysse qui vient pour surprendre les flèches d'Hercule. L'OEdipe même, quoique tout plein de reconnoissances, est moins chargé de matière que la plus simple tragédie de nos jours. Nous voyons enfin que les partisans de Térence, qui l'élèvent avec raison au-dessus de tous les poëtes comiques, pour l'élégance de sa diction et pour la vraisemblance de ses mœurs, ne laissent pas de confesser que Plaute a un grand avantage sur lui par la simplicité qui est dans la plupart des sujets de Plaute. Et c'est sans doute cette simplicité merveilleuse qui a attiré à ce dernier toutes les louanges que les anciens lui ont données. Combien Menandre étoit-il encore plus simple, puisque Térence est obligé de prendre deux comédies de ce poëte pour en faire une des siennes!

Et il ne faut point croire que cette règle ne soit fondée que sur la fantaisie de ceux qui l'ont faite : il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu'il arrive en un jour une multitude de choses qui pourroient à peine arriver en plusieurs semaines? Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d'invention. Ils ne songent pas qu'au contraire toute l'invention consiste à faire quelque chose de rien, et que tout ce grand nombre d'incidens a toujours été le refuge des poëtes qui ne sentoient dans leur génie ni assez d'abondance ni assez de force pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentimens, et de l'élégance de l'expression. Je suis bien éloigné de croire que toutes ces choses se rencontrent dans mon ouvrage; mais aussi je ne puis croire que le public me sache mauvais gré de lui avoir donné une tragédie qui a été honorée de tant de larmes, et dont la trentième représentation a été aussi suivie que la première.

Ce n'est pas que quelques personnes ne m'aient reproché cette même simplicité que j'avois recherchée avec tant de soir. Ils ont cru qu'une tragédie qui étoit si peu chargée d'intrigues ne pouvoit être selon les règles du théâtre. Je m'informai s'ils se plai

Le peuple cependant, que ce spectacle étonne
Vole de toutes parts, se presse, l'environne,
S'attendrit à ses pleurs, et, plaignant son ennui
D'une commune voix la prend sous son appui;
Ils la mènent au temple, où depuis tant d'années
Au culte des autels nos vierges destinées
Gardent fidèlement le dépôt précieux

Du feu toujours ardent qui brûle pour nos dieux.
César les voit partir sans oser les distraire.
Narcisse, plus hardi, s'empresse pour lui plaire;
Il vole vers Junie, et, sans s'épouvanter,
D'une profane main commence à l'arrêter.
De mille coups mortels son audace est punie;
Son infidèle sang rejaillit sur Junie.

César, de tant d'objets en même temps frappé,
Le laisse entre les mains qui l'ont enveloppé.
Il rentre. Chacun fuit son silence farouche;
Le seul nom de Junie échappe de sa bouche.
Il marche sans dessein; ses yeux mal assurés
N'osent lever au ciel leurs regards égarés;
Et l'on craint, si la nuit jointe à la solitude
Vient de son désespoir aigrir l'inquiétude,

Si vous l'abandonnez plus longtemps sans secours,
Que sa douleur bientôt n'attente sur ses jours.
Le temps presse: courez. Il ne faut qu'un caprice;
Il se perdroit, madame.

AGRIPPINE.

Il se feroit justice.

Mais, Burrhus, allons voir jusqu'où vont ses transports:
Voyons quel changement produiront ses remords;
S'il voudra désormais suivre d'autres maximes.

BURRHUS.

Plût aux dieux que ce fût le dernier de ses crimes !

FIN DE BRITANNICUS.

TRAGÉDIE'.

1670.

A MONSEIGNEUR COLBERT,

SECRÉTAIRE D'État, contrôleur général des FINANCES, SURINTENDANT DES BATIMENS, GRAND TRÉSORIER DES ORDRES DU roi, MARQUIS DE SEIGNELAY, ETC.

MONSEIGNEUR,

Quelque juste défiance que j'aie de moi-même et de mes ouvrages, j'ose espérer que vous ne condamnerez pas la liberté que je prends de vous dédier cette tragédie. Vous ne l'avez pas jugée tout à fait indigne de votre approbation. Mais ce qui fait son plus grand mérite auprès de vous, c'est, Monseigneur, que vous avez été témoin du bonheur qu'elle a eu de ne pas déplaire à Sa Majesté.

L'on sait que les moindres choses vous deviennent considérables, pour peu qu'elles puissent servir ou à sa gloire ou à son plaisir; et c'est ce qui fait qu'au milieu de tant d'importantes occupations, où le zèle de votre prince et le bien public vous tiennent continuellement attaché, vous ne dédaignez pas quelquefois de descendre jusqu'à nous, pour nous demander compte de notre loisir.

J'aurois ici une belle occasion de m'étendre sur vos louanges, si vous me permettiez de vous louer. Et que ne dirois-je point de tant de rares qualités qui vous ont attiré l'admiration de toute la France; de cette pénétration à laquelle rien n'échappe; de cet esprit vaste qui embrasse, qui exécute tout à la fois tant de

1. Madame (Henriette d'Angleterre) fit proposer à la fois à Cornei te et à Racine le sujet de Bérénice. Ils travaillèrent à l'insu l'un de l'autɔ̃nt La Bérénice de Racine, représentée à l'Hôtel de Bourgogne, eut tre représentations. Celle de Corneille fut jouée au Palais-Royal par la tr de Molière et tomba.

Dou

plai

grandes choses; de cette âme que rien n'étonne, que rien ne fatigue!

Mais, Monseigneur, il faut être plus retenu à vous parler de vous-même; et je craindrois de m'exposer, par un éloge importun, à vous faire repentir de l'attention favorable dont vous m'avez honoré; il vaut mieux que je songe à la mériter par quelques nouveaux ouvrages: aussi bien c'est le plus agréable remercîment qu'on vous puisse faire. Je suis avec un profond respect, MONSEIGNEUR

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,

RACINE.

PRÉFACE.

Titus, reginam Berenicem.... cui etiam nuptias pollicitus ferebatur.... statim ab urbe dimisit invitus invitam 1.

C'est-à-dire que « Titus, qui aimoit passionnément Bérénice, et qui même, à ce qu'on croyoit, lui avoit promis de l'épouser, la renvoya de Rome, malgré lui et malgré elle, dès les premiers jours de son empire. » Cette action est très-fameuse dans l'histoire; et je l'ai trouvée très-propre pour le théâtre, par la violence des passions qu'elle y pouvoit exciter. En effet, nous n'avons rien de plus touchant dans tous les poëtes, que la séparation d'Enée et de Didon, dans Virgile. Et qui doute que ce qui a pu fournir assez de matière pour tout un chant d'un poëme héroïque, où l'action dure plusieurs jours, ne puisse suffire pour le sujet d'une tragédie, dont la durée ne doit être que de quelques heures? Il est vrai que je n'ai point poussé Bérénice jusqu'à se tuer, comme Didon, parce que Bérénice n'ayant pas ici avec Titus les derniers engagemens que Didon avoit avec Énée, elle n'est pas obligée comme elle de renoncer à la vie. A cela près, le dernier adieu qu'elle dit à Titus, et l'effort qu'elle se fait pour s'en séparer, n'est pas le moins tragique de la pièce; et j'ose dire qu'il renouvelle assez bien dans le cœur des spectateurs l'émotion que este y avoit pu exciter. Ce n'est point une nécessité qu'il y ait du ng et des morts dans une tragédie : il suffit que l'action en soit ande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y

Suétone. chap. vii.

le

soient excitées, et que tout s'y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie.

Je crus que je pourrois rencontrer toutes ces parties dans mon sujet; mais ce qui m'en plut davantage, c'est que je le trouvai extrêmement simple. Il y avoit longtemps que je voulois essayer si je pourrois faire une tragédie avec cette simplicité d'action qui a été si fort du goût des anciens; car c'est un des premiers préceptes qu'ils nous ont laissés : « Que ce que vous ferez, dit Horace, soit toujours simple et ne soit qu'un. » Ils ont admiré l'Ajax de Sophocle, qui n'est autre chose qu'Ajax qui se tue de regret, à cause de la fureur où il étoit tombé après le refus qu'on lui avoit fait des armes d'Achille. Ils ont admiré le Philoctète, dont tout le sujet est Ulysse qui vient pour surprendre les flèches d'Hercule. L'OEdipe même, quoique tout plein de reconnoissances, est moins chargé de matière que la plus simple tragédie de nos jours. Nous voyons enfin que les partisans de Térence, qui l'élèvent avec raison au-dessus de tous les poëtes comiques, pour l'élégance de sa diction et pour la vraisemblance de ses mœurs, ne laissent pas de confesser que Plaute a un grand avantage sur lui par la simplicité qui est dans la plupart des sujets de Plaute. Et c'est sans doute cette simplicité merveilleuse qui a attiré à ce dernier toutes les louanges que les anciens lui ont données. Combien Ménandre étoit-il encore plus simple, puisque Térence est obligé de prendre deux comédies de ce poëte pour en faire une des siennes!

Et il ne faut point croire que cette règle ne soit fondée que sur la fantaisie de ceux qui l'ont faite : il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu'il arrive en un jour une multitude de choses qui pourroient à peine arriver en plusieurs semaines? Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d'invention. Ils ne songent pas qu'au contraire toute l'invention consiste à faire quelque chose de rien, et que tout ce grand nombre d'incidens a toujours été le refuge des poëtes qui ne sentoient dans leur génie ni assez d'abondance ni assez de force pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentimens, et de l'élégance de l'expression. Je suis bien éloigné de croire que toutes ces choses se rencontrent dans mon ouvrage; mais aussi je ne puis croire que le public me sache mauvais gré de lui avoir donné une tragédie qui a été honorée de tant de larmes, et dont la trentième représentation a été aussi suivie que la première.

Ce n'est pas que quelques personnes ne m'aient reproché cette même simplicité que j'avois recherchée avec tant de soir. Ils ont cru qu'une tragédie qui étoit si peu chargée d'intrigues ne pouvoit être selon les règles du théâtre. Je m'informai s'ils se plai

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