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J'ai senti son beau corps tout froid entre mes bras,
Et j'ai cru que mon âme alloit suivre ses pas.
Heureuse mille fois, si ma douleur mortelle

Dans la nuit du tombeau m'eût plongée avec elle !

(Elle s'en va.)

SCENE VI.

CREON, ATTALE, GARDES.

CRÉON.

Ainsi donc vous fuyez un amant odieux,

Et vous-même, cruelle, éteignez vos beaux yeux!
Vous fermez pour jamais ces beaux yeux que j'adore;
Et, pour ne me point voir, vous les fermez encore !
Quoique Hémon vous fût cher, vous courez au trépas
Bien plus pour m'éviter que pour suivre ses pas!
Mais dussiez-vous encor m'être aussi rigoureuse,
Ma présence aux enfers vous fût-elle odieuse,
Dût après le trépas vivre votre courroux,
Inhumaine, je vais y descendre après vous.
Vous y verrez toujours l'objet de votre haine,
Et toujours mes soupirs vous rediront ma peine,
Ou pour vous adoucir, ou pour vous tourmenter;
Et vous ne pourrez plus mourir pour m'éviter.

Mourons donc....

ATTALE, lui arrachant son épée.
Ah, seigneur! quelle cruelle envie!
CRÉON.

Ah! c'est m'assassiner que me sauver la vie!
Amour, rage, transports, venez à mon secours,
Venez, et terminez mes détestables jours!
De ces cruels amis trompez tous les obstacles!
Toi, justifie, ô ciel, la foi de tes oracles!
Je suis le dernier sang du malheureux Laïus;
Perdez-moi, dieux cruels, ou vous serez déçus.
Reprenez, reprenez cet empire funeste;
Vous m'ôtez Antigone, ôtez-moi tout le reste :
Le trône et vos présents excitent mon courroux;
Un coup de foudre est tout ce que je veux de vous.
Ne le refusez pas à mes voeux, à mes crimes;
Ajoutez mon supplice à tant d'autres victimes.
Mais en vain je vous presse, et mes propres forfaits
Me font déjà sentir tous les maux que j'ai faits.
Polynice, Étéocle, Iocaste, Antigone,

Mes fils, que j'ai perdus pour m'élever au trône,
Tant d'autres malheureux dont j'ai causé les maux

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Font déjà dans mon cœur l'office des bourreaux
Arrêtez.... Mon trépas va venger votre perte;
La foudre va tomber, la terre est entr'ouverte ;
Je ressens à la fois mille tourmens divers,
Et je m'en vais chercher du repos aux enfers.

(Il tombe entre les mains des gardes.)

FIN DE LA THÉBAÏDE.

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Voici une seconde entreprise qui n'est pas moins hardie que la première. Je ne me contente pas d'avoir mis à la tête de mon ouvrage le nom d'Alexandre, j'y ajoute encore celui de Votre Majesté; c'est-à-dire que j'assemble tout ce que le siècle présent et les siècles passés nous peuvent fournir de plus grand. Mais, Sire, j'espère que Votre Majesté ne condamnera pas cette seconde hardiesse, comme elle n'a pas désapprouvé la première. Quelques efforts que l'on eût faits pour lui défigurer mon héros, il n'a pas plus tôt paru devant elle, qu'elle l'a reconnu pour Alexandre. Et à qui s'en rapportera-t-on, qu'à un roi dont la gloire est répandue aussi loin que celle de ce conquérant, et devant qui l'on peut dire que << tous les peuples du monde se taisent, » comme l'Écriture l'a dit d'Alexandre? Je sais bien que ce silence est un silence d'étonnement et d'admiration; que, jusques ici, la force de vos armes ne leur a pas tant imposé que celle de vos vertus. Mais, Sire, votre réputation n'en est pas moins éclatante, pour n'être point établie sur les embrasemens et sur les ruines; et déjà Votre Majesté est arrivée au comble de la gloire par un chemin plus nouveau et plus difficile que celui par où Alexandre y est monté. Il n'est pas extraordinaire de voir un jeune homme gagner des batailles, de le voir mettre le feu par toute la terre. Il n'est pas impossible que la jeunesse et la fortune l'emportent victorieux jusqu'au fond des Indes. L'histoire est pleine de jeunes conquérans; et l'on sait avec quelle ardeur Votre Majesté elle-même a cherché les occasions de se signaler dans un âge où Alexandre ne faisoit encore que pleurer sur les victoires de son père. Mais elle me permettra de lui dire que devant elle, on n'a point vu de roi qui, à l'âge d'Alexandre, ait fait paraître la conduite d'Auguste; qui, sans s'éloigner presque du centre de son royaume,

1. Devant, pour : Avant.

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ait répandu sa lumière jusqu'au bout du monde, et qui ait commencé sa carrière par où les plus grands princes ont tâché d'achever la leur. On a disputé chez les anciens si la fortune n'avoit point eu plus de part que la vertu dans les conquêtes d'Alexandre, Mais quelle part la fortune peut-elle prétendre aux actions d'un roi qui ne doit qu'à ses seuls conseils l'état florissant de son royaume, et qui n'a besoin que de lui-même pour se rendre redoutable à toute l'Europe? Mais, Sire, je ne songe pas qu'en voulant louer Votre Majesté, je m'engage dans une carrière trop vaste et trop difficile il faut auparavant m'essayer encore sur quelques autres héros de l'antiquité, et je prévois qu'à mesure que je prendrai de nouvelles forces, Votre Majesté se couvrira elle-m elle-même d'une gloire toute nouvelle; que nous la reverrons peut-être, à la tête d'une armée, achever la comparaison qu'on peut faire d'elle et d'Alexandre, et ajouter le titre de conquérant à celui du plus sage roi de la terre. Ce sera alors que vos sujets devront consacrer toutes leurs veilles au récit de tant de grandes actions, et ne pas souffrir que Votre Majesté ait lieu de se plaindre, comme Alexandre, qu'elle n'a eu personne de son temps qui pût laisser à la postérité la mémoire de ses vertus. Je n'espère pas être assez heureux pour me distinguer par le mérite de mes ouvrages, mais je sais bien que je me signalerai au moins par le zèle et la profonde vénération avec laquelle je suis,.

SIRE,

DE VOTRE MAJESTE,

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apomp toloq og sip sa Le très-humble, très-obéissant, 301 90 95 419 191

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et très-fidèle serviteur et sujet,

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PREMIÈRE PRÉFACE.

Je ne rapporterai point ici ce que l'histoire dit de Porus, il faudroit copier tout le huitième livre de Quinte-Curce et je m'engagerai moins encore à faire une exacte apologie de tous les endroits qu'on a voulu combattre dans ma pièce. Je n'ai pas prétendu donner au public un ouvrage parfait je me fais trop justice pour avoir osé me flatter de cette espérance. Avec quelque succès qu'on ait représenté mon Alexandre, et quoique les premières personnes de la terre et les Alexandres de notre siècle se soient hautement déclarés pour lui je ne me laisse point éblou par ces illustres approbations. Je veux croire qu'ils ont voulu RACINE I

encourager un jeune homme et m'exciter à faire encore mieux dans la suite; mais j'avoue que, quelque défiance que j'eusse de moi-même, je n'ai pu m'empêcher de concevoir quelque opinion de ma tragédie, quand j'ai vu la peine que se sont donnée certaines gens pour la décrier. On ne fait point tant de brigues contre un ouvrage qu'on n'estime pas; on se contente de ne plus le voir quand on l'a vu une fois, et on le laisse tomber de luimême, sans daigner seulement contribuer à sa chute. Cependant j'ai eu le plaisir de voir plus de six fois de suite à ma pièce le visage de ces censeurs; ils n'ont pas craint de s'exposer si souvent à entendre une chose qui leur déplaisoit; ils ont prodigué libéralement leur temps et leurs peines pour la venir critiquer, sans compter les chagrins que leur ont peut-être coûtés les applaudissemens que leur présence n'a pas empêché le public de me donner.

Je ne représente point à ces critiques le goût de l'antiquité : je vois bien qu'ils le connoissent médiocrement. Mais de quoi se plaignent-ils, si toutes mes scènes sont bien remplies, si elles sont bien liées nécessairement les unes aux autres, si tous mes acteurs ne viennent point sur le théâtre que l'on ne sache la raison qui les y fait venir; et si, avec peu d'incidens et peu de matière, j'ai été assez heureux pour faire une pièce qui les a peut-être attachés malgré eux depuis le commencement jusqu'à la fin? Mais ce qui me console, c'est de voir mes censeurs s'accorder si mal ensemble les uns disent que Taxile n'est point assez honnête homme; les autres, qu'il ne mérite point sa perte ; les uns soutiennent qu'Alexandre n'est point assez amoureux; les autres, qu'il ne vient sur le théâtre que pour parler d'amour. Ainsi je n'ai pas besoin que mes amis se mettent en peine de me justifier, je n'ai qu'à renvoyer mes ennemis à mes ennemis; je me repose sur eux de la défense d'une pièce qu'ils attaquent en si mauvaise intelligence, et avec des sentimens si opposés '.

SECONDE PRÉFACE.

Il n'y a guère de tragédie où l'histoire soit plus fidèlement suivie que dans celle-ci. Le sujet en est tiré de plusieurs auteurs, mais surtout du huitième livre de Quinte-Curce. C'est là qu'on peut voir tout ce qu'Alexandre fit lorsqu'il entra dans les

4. Racine écrivit cette préface dans un moment de dépit, et la supprima dans la suite.

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