Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Même contre Alexandre, et même contre vous

Je sais de quelle ardeur vous brûlez l'un pour l'autre,
Mais c'est trop oublier mon repos pour le vôtre;
Et sans m'inquiéter du succès de vos feux,

Il faut que tout périsse, ou que je sois heureux.
CLEOFILE.

Allez donc, retournez sur le champ de bataille;
Ne laissez point languir l'ardeur qui vous travaille.
A quoi s'arrête ici ce courage inconstant?

Courez on est aux mains, et Porus vous attend.

TAXILE.

Quoi! Porus n'est point mort! Porus vient de paroître
CLÉOFILE.

C'est lui. De si grands coups le font trop reconnoître.
Il l'avoit bien prévu le bruit de son trépas
D'un vainqueur trop crédule a retenu le bras.
Il vient surprendre ici leur valeur endormie,
Troubler une victoire encor mal affermie;
Il vient, n'en doutez point, en amant furieux,
Enlever sa maîtresse, ou périr à ses yeux.
Que dis-je! Votre camp, séduit par cette ingrate,
Prêt à suivre Porus, en murmures éclate.
Allez vous-même, allez, en généreux amant,
Au secours d'un rival aimé si tendrement.

Adieu.

SCÈNE V.

TAXILE.

Quoi! la fortune, obstinée à me nuire,
Ressuscite un rival armé pour me détruire!
Cet amant reverra les yeux qui l'ont pleuré,
Qui, tout mort qu'il étoit, me l'avoient préféré!
Ah! c'en est trop. Voyons ce que le sort m'apprête
A qui doit demeurer cette noble conquête.
Allons. N'attendons pas, dans un lâche courroux,
Qu'un si grand différend se termine sans nous.

ACTE CINQUIÈME.

SCENE I. ALEXANDRE, CLÉOFILE

ALEXANDRE.

Quoi! vous craignez Porus même après sa défaite!
Ma victoire à vos yeux sembloit-elle imparfaite?
Non, non c'est un captif qui n'a pu m'échapper,
Que mes ordres partout ont fait envelopper.

Loin de le craindre encor, ne songez qu'à le plaindre.
CLÉOFILE.

Et c'est en cet état que Porus est à craindre.
Quelque brave qu'il fût, le bruit de sa valeur
M'inquiétoit bien moins que ne fait son malheur.
Tant qu'on l'a vu suivi d'une puissante armée,
Ses forces, ses exploits, ne m'ont point alarmée;
Mais, seigneur, c'est un roi malheureux et soumis,
Et dès lors je le compte au rang de vos amis.

ALEXANDRE.

C'est un rang où Porus n'a plus droit de prétendre :
Il a trop recherché la haine d'Alexandre.

Il sait bien qu'à regret je m'y suis résolu;
Mais enfin je le hais autant qu'il l'a voulu.

Je dois même un exemple au reste de la terre :
Je dois venger sur lui tous les maux de la guerre,
Le punir des malheurs qu'il a pu prévenir,
Et de m'avoir forcé moi-même à le punir.
Vaincu deux fois, haï de ma belle princesse....
CLÉOFILE.

Je ne hais point Porus, seigneur, je le confesse;
Et s'il m'étoit permis d'écouter aujourd'hui
La voix de ses malheurs qui me parle pour lui,
Je vous dirois qu'il fut le plus grand de nos princes;
Que son bras fut longtemps l'appui de nos provinces;
Qu'il a voulu peut-être, en marchant contre vous,
Qu'on le crût digne au moins de tomber sous vos coups;
Et qu'un même combat signalant l'un et l'autre,
Son nom volât partout à la suite du vôtre.
Mais si je le défends, des soins sí généreux
Retombent sur mon frère et détruisent ses vœux.
Tant que Porus vivrà, que faut-il qu'il devienne?

Sa perte est infaillible, et peut-être la mienne.
Oui, oui, si son amour ne peut rien obtenir,
Il m'en rendra coupable, et m'en voudra punir.
Et maintenant encor que votre cœur s'apprête
A voler de nouveau de conquête en conquête,
Quand je verrai le Gange entre mon frère et vous,
Qui retiendra, seigneur, son injuste courroux?
Mon âme, loin de vous, languira solitaire.
Hélas! s'il condamnoit mes soupirs à se taire,
Que deviendroit alors ce cœur infortuné?
Où sera le vainqueur à qui je l'ai donné?

ALEXANDRE.

Ah! c'en est trop, madame; et si ce cœur se donne,
Je saurai le garder, quoi que Taxile ordonne,
Bien mieux que tant d'Etats qu'on m'a vu conquérir,
Et que je n'ai gardés que pour vous les offrir.
Encore une victoire, et je reviens, madame,
Borner toute ma gloire à régner sur votre âme,
Vous obéir moi-même, et mettre entre vos mains
Le destin d'Alexandre et celui des humains.
Le Mallien m'attend, prêt à me rendre hommage'.
Si près de l'Océan, que faut-il davantage,

Que d'aller me montrer à ce fier élément,

Comme vainqueur du monde, et comme votre amant? Alors....

CLÉOFILE.

Mais quoi, seigneur, toujours guerre sur guerre! Cherchez-vous des sujets au delà de la terre? Voulez-vous pour témoins de vos faits éclatans, Des pays inconnus même à leurs habitans? Qu'espérez-vous combattre en des climats si rudes? Ils vous opposeront de vastes solitudes, Des déserts que le ciel refuse d'éclairer, Où la nature semble elle-même expirer. Et peut-être le sort, dont la secrète envie N'a pu cacher le cours d'une si belle vie, Vous attend dans ces lieux, et veut que dans l'oubli Votre tombeau du moins demeure enseveli. Pensez-vous y traîner les restes d'une armée Vingt fois, renouvelée et vingt fois consumée? Vos soldats, dont la vue excite la pitié, D'eux-mêmes en cent lieux ont laissé la moitié, Et leurs gémissemens vous font assez connoître....

4. Les Malliens, peuple de l'Inde au delà du Gange,

ALEXANDRE.

Ils marcheront, madame, et je n'ai qu'à paroître :
Ces cœurs qui dans un camp, d'un vain loisir déçus,
Comptent en murmurant les coups qu'ils ont reçus,
Revivront pour me suivre, et, blâmant leurs murmures,
Brigueront à mes yeux de nouvelles blessures.
Cependant de Taxile appuyons les soupirs :
Son rival ne peut plus traverser ses désirs.

Je vous l'ai dit, madame, et j'ose encor vous dire....

[blocks in formation]

Hé bien, Porus respire.

Le ciel semble, madame, écouter vos souhaits;
Il vous le rend....

AXIANE.

Hélas! il me l'ôte à jamais!
Aucun reste d'espoir ne peut flatter ma peine;
Sa mort étoit douteuse, elle devient certaine :
il y court; et peut-être il ne s'y vient offrir
Que pour me voir encore, et pour me secourir.
Mais que feroit-il seul contre toute une armée?
En vain ses grands efforts l'ont d'abord alarmée;
En vain quelques guerriers qu'anime son grand cœur,
Ont ramené l'effroi dans le camp du vainqueur :
Il faut bien qu'il succombe, et qu'enfin son courage
Tombe sur tant de morts qui ferment son passage.
Encor, si je pouvois, en sortant de ces lieux,
Lui montrer Axiane, et mourir à ses yeux!
Mais Taxile m'enferme; et cependant le traître
Du sang de ce héros est allé se repaître;
Dans les bras de la mort il le va regarder,
Si toutefois encore il ose l'aborder.

ALEXANDRE.

Non, madame, mes soins ont assuré sa vie :
Son retour va bientôt contenter votre envie.
Vous le verrez.

AXIANE.

Vos soins s'étendroient jusqu'à lui!
Le bras qui l'accabloit deviendroit son appui!
J'attendrois son salut de la main d'Alexandre!
Mais quel miracle enfin n'en dois-je point attendre ?

Je m'en souviens, seigneur, vous me l'avez promis,
Qu'Alexandre vainqueur n'avoit plus d'ennemis.
Du plutôt ce guerrier ne fut jamais le vôtre :
La gloire également vous arma l'un et l'autre.
Contre un si grand courage il voulut s'éprouver;
Et vous ne l'attaquiez qu'afin de le sauver.

ALEXANDRE.

Ses mépris redoublés qui bravent ma colère
Mériteroient sans doute un vainqueur plus sévère;
Son orgueil en tombant semble s'être affermi;
Mais je veux bien cesser d'être son ennemi;
J'en dépouille, madame, et la haine et le titre.
De mes ressentimens je fais Taxile arbitre :
Seul il peut, à son choix, le perdre ou l'épargner;
Et c'est lui seul enfin que vous devez gagner.

AXIANE.

Moi, j'irois à ses pieds mendier un asile!
Et vous me renvoyez aux bontés de Taxile!
Vous voulez que Porus cherche un appui si bas!
Ah, seigneur! votre haine a juré son trépas.
Non, vous ne le cherchiez qu'afin de le détruire.
Qu'une âme généreuse est facile à séduire!
Déjà mon cœur crédule, oubliant son courroux,
Admiroit des vertus qui ne sont point en vous.
Armez-vous donc, seigneur, d'une valeur cruelle;
Ensanglantez la fin d'une course si belle:
Après tant d'ennemis qu'on vous vit relever,
Perdez le seul enfin que vous deviez sauver.

ALEXANDRE.

Hé bien! aimez Porus sans détourner sa perte';
Refusez la faveur qui vous étoit offerte;
Soupçonnez ma pitié d'un sentiment jaloux;
Mais enfin, s'il périt, n'en accusez que vous.
Le voici. Je veux bien le consulter lui-même :
Que Porus de son sort soit l'arbitre suprême.

SCÈNE III. — PORUS, ALEXANDRE, AXIANE, CLÉOFILE. ÉPHESTION, GARDES D'ALEXANDRE.

ALEXANDRE.

Hé bien, de votre orgueil, Porus, voilà le fruit!

Où sont ces beaux succès qui vous avoient séduit?

1. C'est-à-dire : Eh bien! perdez Porus en l'aimant, vous qui pouviez le sauver en aimant Taxile.

« AnteriorContinuar »