Où sont ces deux amants? Pour couronner ma joie, Ah, seigneur ! PYLADE. ORESTE. Quoi! Pyrrhus, je te rencontre encore! Trouverai-je partout un rival que j'abhorre? Percé de tant de coups, comment t'es-tu sauvé? Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé. Mais que vois-je? A mes yeux Hermione l'embrasse! Elle vient l'arracher au coup qui le menace! Dieux! quels affreux regards elle jette sur moi! Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi! Eh bien! filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes? A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit? Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit? Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne. Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione: L'ingrate mieux que vous saura me déchirer; Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer. PYLADE. Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse; Ménageons les moments que ce transport nous laisse. Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants S'il reprenait ici sa rage avec ses sens. DES PLAIDEURS. Quand je lus les Guêpes d'Aristophane, je ne songeais guère que j'en dusse faire les Plaideurs. J'avoue qu'elles me divertirent beaucoup, et j'y trouvai quantité de plaisanteries qui me tentèrent d'en faire part au public; mais c'était en les mettant dans la bouche des Italiens, à qui je les avais destinées, comme une chose qui leur appartenait de plein droit. Le juge qui saute par les fenêtres, le chien criminel, et les larmes de sa famille, me semblaient autant d'incidents dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet acteur interrompit mon dessein, et fit naître l'envie à quelques-uns de mes amis de voir sur notre théâtre un échantillon d'Aristophane. Je ne me rendis pas à la première proposition qu'ils m'en firent : je leur dis que, quelque esprit que je trouvasse dans cet auteur, mon inclination ne me porterait pas à le prendre pour modèle, si j'avais à faire une comédie; et que j'aimerais beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre et de Térence, que la liberté de Plaute et d'Aristophane. On me répondit que ce n'était pas une comédie qu'on me demandait, et qu'on voulait seulement voir si les bon mots d'Aristophane auraient quelque grâce dans notre langue. Ainsi, moitié en m'encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l'œuvre, mes amis me firent commencer une pièce qui ne tarda guère à être achevée. Cependant la plupart du monde ne se soucie point de l'intention ni de la diligence des auteurs. On examina d'abord mon amusement comme on aurait fait une tragédie. Ceux même qui s'y étaient le plus divertis eurent peur de n'avoir pas ri dans les règles, et trouvèrent mauvais que je n'eusse pas songé plus sérieusement à les faire rire. Quelques autres s'imaginèrent qu'il était bienséant à eux de s'y ennuyer, et que les matières de palais ne pouvaient pas être un sujet de divertissement pour les gens de cour. La pièce fut bientôt après jouée à Versailles. On ne fit point de scrupule de s'y réjouir; et ceux qui avaient cru se déshonorer de rire à Paris furent peut-être obligés de rire à Versailles pour se faire honneur. Ils auraient tort à la vérité s'ils me reprochaient d'avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C'est une langue qui m'est plus étrangère qu'à personne; et je n'ai employé que quelques mots barbares que je puis avoir appris dans le cours d'un procès que ni mes juges ni mui n'avons jamais bien entendu. Si j'appréhende quelque chose, c'est que des personnes un peu sérieuses ne traitent de badineries le procès du chien et les extravagances du juge. Mais enfin je traduis Aristophane; et l'on doit se souvenir qu'il avait affaire à des spectateurs assez difficiles: les Athéniens savaient apparemment ce que c'était que le sel attique ; et ils étaient bien sûrs, quand ils avaient ri d'une chose, qu'ils n'avaient pas ri d'une sottise. Pour moi, je trouve qu'Aristophane a eu raison de pousser les choses au delà du vraisemblable. Les juges de l'Aréopage n'auraient pas peutêtre trouvé bon qu'il eût marqué au naturel leur avidité de gagner, les bons tours de leurs secrétaires, et les forfanteries de leurs avocats. Il était à propos d'outrer un peu les personnages, pour les empêcher de se reconnaitre; le public ne laissait pas de discerner le vrai au travers du ridicule et je m'assure qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux orateurs autour d'un chien accusé, que si l'on avait mis sur la sellette un véritable criminel, et qu'on eût intéressé les spectateurs à la vie d'un homme. Quoi qu'il en soit, je puis dire que notre siècle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le sien, et que si le but de ma comédie était de faire rire, jamais comédie n'a mieux attrapé son but. Ce n'est pas que j'attende un grand honneur d'avoir assez longtemps réjoui le monde ; mais je me sais quelque gré de l'avoir fait sans qu'il m'en ait coûté une seule de ces sales équivoques et de ces malhonnêtes plaisanteries qui coûtent maintenant si peu à la plupart de nos écrivains, et qui font retomber le théâtre dans la turpitude d'où quelques auteurs plus modestes l'avaient tiré. COMÉDIE (1668). ACTEURS. DANDIN, juge. LÉANDRE, fils de Dandin. CHICANEAU, bourgeois. ISABELLE, fille de Chicaneau. LA COMTESSE. PETIT-JEAN, portier. L'INTIMÉ, secrétaire. LE SOUFFLEUR. La scène est dans une ville de Basse-Normandie. ACTE PREMIER. SCÈNE I. PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès. Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera. Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse. De fournir la maison de chandelle et de foin: Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé. Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré (Il se couche par terre. ) SCÈNE II. L'INTIMÉ, PETIT-JEAN. L'INTIMÉ. Hé, Petit-Jean! Petit-Jean! |