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le latin, à côté de ces vers, un AL. qui signifie que c'est Alceste qui parle; et, à côté des vers suivants, un AD. qui signifie que c'est Admète qui répond. Là-dessus il leur est venu dans l'esprit la plus étrange pensée du monde : ils ont mis dans la bouche d'Admète les paroles qu'Alceste dit à Admète, et celles qu'elle se fait dire par Ca. ron. Ainsi ils supposent qu'Admète, quoiqu'il soit en parfaite santé pense voir déjà Caron qui le vient prendre et, au lieu que, dans ce passage d'Euripide, Caron impatient presse Alceste de le venir trouver; selon ces messieurs, c'est Admète effrayé qui est l'impatient, et qui presse Alceste d'expirer, de peur que Caron ne le prenne. « Il « l'exhorte (ce sont leurs termes) à avoir courage, à ne pas faire une « lâcheté, et à mourir de bonne grâce; il interrompt les adieux d'Alceste <<< pour lui dire de se dépêcher de mourir. » Peu s'en faut, à les entendre, qu'il ne la fasse mourir lui-même.

Ce sentiment leur a paru fort vilain. Et ils ont raison: il n'y a personne qui n'en fût très-scandalisé. Mais comment l'ont-ils pu attribuer à Euripide? En vérité, quand toutes les autres éditions où cet AL. n'a point été oublié ne donneraient pas un démenti au malheureux imprimeur qui les a trompés, la suite de ces quatre vers, et tous les discours qu'Admète tient dans la même scène, étaient plus que suffisants pour les empêcher de tomber dans une erreur si déraisonnable. Car Admète, bien éloigné de presser Alceste de mourir, s'écrie « que toutes les morts « ensemble lui seraient moins cruelles que de la voir dans l'état où il «la voit : il la conjure de l'entrainer avec elle; il ne peut plus vivre si elle meurt : il vit en elle; il ne respire que pour elle ».

Ils ne sont pas plus heureux dans les autres objections. Ils disent, par exemple, qu'Euripide a fait deux époux surannés d'Admète et d'Alceste; que l'un est un vieux mari, et l'autre une princesse déjà sur l'âge. Euripide a pris soin de leur répondre en un seul vers, où il fait dire par le chœur qu'Alceste toute jeune, et dans la première fleur de son âge, expire pour son jeune époux.

Ils reprochent encore à Alceste qu'elle a deux grands enfants à marier. Comment n'ont-ils point lu le contraire en cent endroits, et surtout dans ce beau récit où l'on dépeint Alceste mourante au milieu de ses deux petits enfants qui la tirent, en pleurant, par la robe, et qu'elle prend sur ses bras l'un après l'autre pour les baiser?

Tout le reste de leurs critiques est à peu près de la force de celles-ci. Mais je crois qu'en voilà assez pour la défense de mon auteur. Je conscille à ces messieurs de ne plus décider si légèrement sur les ouvrages des anciens. Un homme tel qu'Euripide méritait au moins qu'ils l'examinassent, puisqu'ils avaient envie de le condamner. Ils devaient se souvenir de ces sages paroles de Quintilien: « Il faut être extrêmement circons«pect et très-retenu à prononcer sur les ouvrages de ces grands hommes, << de peur qu'il ne nous arrive, comme à plusieurs, de condamner ce « que nous n'entendons pas. Et, s'il faut tomber dans quelques excès, « encore vaut-il mieux pécher en admirant tout dans leurs écrits, « qu'en y blamant beaucoup de choses (1). »

(1) Modeste tamen et circumspecto judicio de tantis viris pronunciandum est, ne, quod plerisque accidit, damnent quæ non intelligunt, Ac si necesse est in alteram errare partem, omnia eorum legentibus placere, quam multa displicere, maluerrm.

COMÉDIE (1668).

ACTEURS.

AGAMEMNON.

ACHILLE.

ULYSSE.

CLYTEMNESTRE, femme d'Agamemnon.
IPHIGÉNIE, fille d'Agamemnon.

ERIPHILE, fille d'Hélène et de Thésée.
ARCAS,

EURYBATE, domestiques d Agamemnon.

ÆGINE, femme de la suite de Clytemnestre.
DORIS, confidente d'Ériphile.

GARDES.

La scène est en Aulide, dans la tente d'Agamemnon.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

AGAMEMNON, ARCAS.

AGAMEMNON.

Oui, c'est Agamemnon, c'est ton roi qui t'éveille.
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.

ARCAS.

C'est vous même, seigneur ! Quel important besoin
Vous a fait devancer l'aurore de si loin?

A peine un faible jour vous éclaire et me guide,
Vos yeux seuls et les miens sont ouverts dans l'Aulide.
Avez-vous dans les airs entendu quelque bruit?
Les vents nous auraient-ils exaucés cette nuit?
Mais tout dort, et l'armée, et les vents, et Neptune.

AGAMEMNON.

Heureux qui, satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l'état obscur où les dieux l'ont caché?

ARCAS.

Et depuis quand, seigneur, tenez-vous ce langage?
Comblé de tant d'honneurs, par quel secret outrage
Les dieux, à vos désirs toujours si complaisants,
Vous font-ils méconnaître et haïr leurs présents?
Roi, père, époux heureux, fils du puissant Atrée,
Vous possédez des Grecs la plus riche contrée :
Du sang de Jupiter issu de tous côtés,

L'hymen vous lie encore aux dieux dont vous sortez;
Le jeune Achille enfin, vanté par tant d'oracles,
Achille, à qui le ciel promet tant de miracles,
Recherche votre fille, et d'un hymen si beau
Veut dans Troie embrasée allumer le flambeau.
Quelle gloire, seigneur, quels triomphes égalent
Le spectacle pompeux que ces bords vous étalent,
Tous ces mille vaisseaux qui, chargés de vingt rois,
N'attendent que les vents pour partir sous vos lois?
Ce long calme, il est vrai, retarde vos conquêtes;
Ces vents, depuis trois mois enchaînés sur nos têtes,
D'Ilion trop longtemps vous ferment le chemin :
Mais, parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin;
Tandis que vous vivrez, le sort, qui toujours change,
Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.
Bientôt... Mais quels malheurs dans ce billet tracés
Vous arrachent, seigneur, les pleurs que vous versez?
Votre Oreste au berceau va-t-il finir sa vie?
Pleurez-vous Clytemnestre, ou bien Iphigénie?
Qu'est-ce qu'on vous écrit? daignez m'en avertir.

AGAMEMNON.

Non, tu ne mourras point, je n'y puis consentir.

Seigneur...

ARCAS.

AGAMEMNON.

Tu vois mon trouble; apprends ce qui le cause,

Et juge s'il est temps, ami, que je repose.

Tu te souviens du jour qu'en Aulide assemblés
Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés.
Nous partions; et déjà, par mille cris de joie,
Nous menacions de loin les rivages de Troie.
Un prodige étonnant fit taire ce transport :
Le vent qui nous flattait nous laissa dans le port.

Il fallut s'arrêter; et la rame inutile
Fatigua vainement une mer immobile.
Ce miracle inouï me fit tourner les yeux
Vers la divinité qu'on adore en ces lieux :
Suivi de Ménélas, de Nestor et d'Ulysse,
J'offris sur ses autels un secret sacrifice.
Quelle fut sa réponse! et quel devins-je, Arcas,
Quand j'entendis ces mots prononcés par Calchas :

Vous armez contre Troie une puissance vaine,
Si, dans un sacrifice auguste et solennel,

Une fille du sang d'Hélène

De Diane en ces lieux n'ensanglante l'autel.
Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,
Sacrifiez Iphigénie.

Votre fille!

ARCAS.

AGAMEMNON.

Surpris, comme tu peux penser, Je sentis dans mon corps tout mon sang se glacer. Je demeurai sans voix, et n'en repris l'usage Que par mille sanglots qui se firent passage. Je condamnai les dieux, et, sans plus rien ouïr, Fis vœu, sur leurs autels, de leur désobéir. Que n'en croyais-je alors ma tendresse alarmée ! Je voulais sur-le-champ congédier l'armée. Ulysse, en apparence approuvant mes discours, De ce premier torrent laissa passer le cours ; Mais bientôt, rappelant sa cruelle industrie, Il me représenta l'honneur et la patrie, Tout ce peuple, ces rois, à mes ordres soumis, Et l'empire d'Asie à la Grèce promis; De quel front, immolant tout l'État à ma fille, Roi sans gloire, j'irais vieillir dans ma famille. Moi-même, je l'avoue avec quelque pudeur, Charmé de mon pouvoir, et plein de ma grandeur, Ces noms de roi des rois et de chef de la Grèce Chatouillaient de mon cœur l'orgueilleuse faiblesse. Pour comble de malheurs, des dieux, toutes les nuits Dès qu'un léger sommeil suspendait mes ennuis, Vengeant de leurs autels le sanglant privilége,

Me venaient reprocher ma pitié sacrilége,
Et, présentant la foudre à mon esprit confus,
Le bras déjà levé, menaçaient mes refus.
Je me rendis, Arcas; et, vaincu par Ulysse,
De ma fille, en pleurant, j'ordonnai le supplice.
Mais des bras d'une mère il fallait l'arracher.
Quel funeste artifice il me fallut chercher!
D'Achille, qui l'aimait, j'empruntai le langage :
J'écrivis en Argos, pour hâter ce voyage,
Que ce guerrier, pressé de partir avec nous,
Voulait revoir ma fille, et partir son époux.

ARCAS.

Et ne craignez-vous point l'impatient Achille?
Avez-vous prétendu que, muet et tranquille,
Ce héros, qu'armera l'amour et la raison,
Vous laisse pour ce meurtre abuser de son nom?
Verra-t-il à ses yeux son amante immolée?

AGAMEMNON.

Achille était absent, et son père Pélée,
D'un voisin ennemi redoutant les efforts,
L'avait, tu t'en souviens, rappelé de ces bords;
Et cette guerre, Arcas, selon toute apparence,
Aurait dû plus longtemps prolonger son absence.
Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent?
Achille va combattre, et triomphe en courant;
Et ce vainqueur, suivant de près sa renommée,
Hier avec la nuit arriva dans l'armée.

Mais des nœuds plus puissants me retiennent le bras :
Ma fille, qui s'approche, et court à son trépas,

Qui, loin de soupçonner un arrêt si sévère,
Peut-être s'applaudit des bontés de son père,

:

Ma fille... Ce nom seul, dont les droits sont si saints,
Sa jeunesse, mon sang, n'est pas ce que je plains :
Je plains mille vertus, une amour mutuelle,
Sa piété pour moi, ma tendresse pour elle,

Un respect qu'en son cœur rien ne peut balancer,
Et que j'avais promis de mieux récompenser.
Non, je ne croirai point, ô ciel, que ta justice
Approuve la fureur de ce noir sacrifice :
Tes oracles, sans doute, ont voulu m'éprouver;
Et tu me punirais si j'osais l'achever.

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