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Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres :
Lui seul invariable, et fondé sur la foi,

Ne cherche, ne regarde, et n'écoute que toi,
Et, bravant du démon l'impuissant artifice,
De la religion soutient tout l'édifice.

Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd'hui
Ce bras, ce même bras qui combattait pour lui,
Lorsque des nations à sa perte animées

Le Rhin vit tant de fois disperser les armées.
Des mêmes ennemis je reconnais l'orgueil;
Ils viennent se briser contre le même écueil :
Déjà, rompant partout leurs plus fermes barrières,
Du débris de leurs forts il couvre ses frontières.
Tu lui donnes un fils prompt à le seconder,
Qui sait combattre, plaire, obéir, commander;
Un fils qui, comme lui suivi de la victoire,
Semble à gagner son cœur borner toute sa gloire;
Un fils à tous ses vœux avec amour soumis,
L'éternel désespoir de tous ses ennemis :
Pareil à ces esprits que ta justice envoie,
Quand son roi lui dit : Pars! il s'élance avec joie,
Du tonnerre vengeur s'en va tout embraser,

Et, tranquille, à ses pieds revient le déposer.

Mais, tandis qu'un grand roi venge ainsi mes injures, Vous qui goûtez ici des délices si pures,

S'il permet à son cœur un moment de repos,
A vos jeux innocents appelez ce héros;
Retracez-lui d'Esther l'histoire glorieuse
Et sur l'impiété la foi victorieuse.

Et vous qui vous plaisez aux folles passions
Qu'allument dans vos cœurs les vaines fictions,
Profanes amateurs de spectacles frivoles,
Dont l'oreille s'ennuie au son de mes paroles,
Fuyez de mes plaisirs la sainte austérité :
Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité.

COMÉDIE (1668).

ACTEURS.

ASSUÉRUS, roi de Perse.

ESTHER, reine de Perse.

MARDOCHÉE, oncle d'Esther.
AMAN, favori d'Assuérus.

ZARÈS, femme d'Aman.

HYDASPE, officier du palais intérieur d'Assuerus.
ASAPH, autre officier d'Assuérus.

ÉLISE, confidente d'Esther.

THAMAR, Israélite de la suite d'Esther.

GARDES du roi Assuérus.

CHOEUR de jeunes filles Israélites.

La scène est à Suse, dans le palais d'Assuerus.

ACTE PREMIER.

Le théâtre représente l'appartement d'Esther.

SCÈNE I.

ESTHER, ELISE.

ESTHER.

Est-ce toi, chère Élise? ô jour trois fois heureux!
Que béni soit le ciel qui te rend à mes vœux !
Toi qui, de Benjamin comme moi descendue,
Fus de mes premiers ans la compagne assidue,
Et qui, d'un même joug souffrant l'oppression,
M'aidais à soupirer les malheurs de Sion!
Combien ce temps encore est cher à ma mémoire!
Depuis plus de six mois que je te fais chercher,
Quel climat, quel désert a donc pu te cacher?
ÉLISE.

Au bruit de votre mort justement éplorée,
Du reste des humains je vivais séparée,
Et de mes tristes jours n'attendais que la fin,

Quand tout à coup, madame, un prophète divin : « C'est pleurer trop longtemps une mort qui t'abuse, « Lève-toi, m'a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse : << Là tu verras d'Esther la pompe et les honneurs, «Et sur le trône assis le sujet de tes pleurs. «Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmées,

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Sion; le jour approche, où le dieu des armées
«Va de son bras puissant faire éclater l'appui ;
Et le cri de son peuple est monté jusqu'à lui.
Il dit : et moi, de joie et d'horreur pénétrée,
Je cours. De ce palais j'ai su trouver l'entrée.
O spectacle! ô triomphe admirable à mes yeux,
Digne en effet du bras qui sauva nos aïeux !
Le fier Assuérus couronne sa captive,

Et le Persan superbe est aux pieds d'une Juive!
Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement
Le ciel a-t-il conduit ce grand événement?

ESTHER.

Peut-être on t'a conté la fameuse disgrâce
De l'altière Vasthi, dont j'occupe la place,
Lorsque le roi, contre elle enflammé de dépit,
La chassa de son trône ainsi que de son lit.
Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
Vasthi régna longtemps sur son âme offensée.
Dans ses nombreux États il fallut donc chercher
Quelque nouvel objet qui l'en pût détacher.
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent :
Les filles de l'Égypte à Suse comparurent;
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
On m'élevait alors, solitaire et cachée,
Sous les yeux vigilants du sage Mardochée :
Tu sais combien je dois à ses heureux secours.
La mort m'avait ravi les auteurs de mes jours:
Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
Du triste état des Juifs jour et nuit agité,

Il me tira du sein de mon obscurité;

Et, sur mes faibles mains fondant leur délivrance,
Il me fit d'un empire accepter l'espérance.
A ses desseins secrets, tremblante, j'obéis;

:

Je vins mais je cachai ma race et mon pays.
Qui pourrait cependant t'exprimer les cabales
Que formait en ces lieux ce peuple de rivales,
Qui toutes, disputant un si grand intérêt,
Des yeux d'Assuérus attendaient leur arrêt?
Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages :
L'une d'un sang fameux vantait les avantages;
L'autre, pour se parer de superbes atours,

Des plus adroites mains empruntait le secours :
Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice,
De mes larmes au ciel j'offrais le sacrifice.

Enfin on m'annonça l'ordre d'Assuérus.
Devant ce fier monarque, Élise, je parus.

Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes;
Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
Tandis qu'en ses projets l'orgueilleux est trompé.
De mes faibles attraits le roi parut frappé :

Il m'observa longtemps dans un sombre silence;
Et le ciel, qui pour moi fit pencher la balance,
Dans ce temps-là, sans doute agissait sur son cœur.
Enfin, avec des yeux où régnait la douceur :
Soyez reine, dit-il; et, dès ce moment même,
De sa main sur mon front posa son diadème.
Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,
Il combla de présents tous les grands de sa cour;
Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.
Hélas! durant ces jours de joie et de festins,
Quelle était en secret ma honte et mes chagrins!
Esther, disais-je, Esther dans la pourpre est assise;
La moitié de la terre à son sceptre est soumise :
Et de Jérusalem l'herbe cache les murs!
Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
Voit de son temple saint les pierres dispersées !
Et du Dieu d'Israël les fêtes sont cessées!

ÉLISE.

N'avez-vous point au roi confié vos ennuis?

ESTHER.

Le roi, jusqu'à ce jour, ignore qui je suis.
Celui par qui le ciel règle ma destinée

Sur ce secret encor tient ma langue enchaînée.

ÉLISE.

Mardochée? Eh! peut-il approcher de ces lieux?

ESTHER.

Son amitié pour moi le rend ingénieux.
Absent, je le consulte; et ses réponses sages
Pour venir jusqu'à moi trouvent mille passages :
Un père a moins de soin du salut de son fils.
Déjà même, déjà, par ses secrets avis,
J'ai découvert au roi les sanglantes pratiques
Que formaient contre lui deux ingrats domestiques.
Cependant mon amour pour notre nation

A rempli ce palais de filles de Sion :

Jeunes et tendres fleurs, par le sort agitées,
Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
Dans un lieu séparé de profanes témoins,

Je mets à les former mon étude et mes soins;

Et c'est là que, fuyant l'orgueil du diadème,

Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même, Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier,

Et goûter le plaisir de me faire oublier.

Mais à tous les Persans je cache leurs familles,
Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles,
Compagnes autrefois de ma captivité,

De l'antique Jacob jeune postérité.

SCÈNE II.

ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.

UNE ISRAELITE, chantant derrière le théâtre.
Ma sœur, quelle voix nous appelle?

UNE AUTRE.

J'en reconnais les agréable sons :

C'est la reine.

TOUTES DEUX.

Courons, mes sœurs, obéissons.

La reine nous appelle :
Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

TOUT LE CHOEUR, entrant sur la scène par plusieurs endroits

différents.

La reine nous appelle :

Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

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