Imágenes de páginas
PDF
EPUB

clergé s'évanouirent rapidement quand il vit le pape distribuer plus que jamais les bénéfices à des étrangers et autoriser le cumul en faveur des personnages curiaux et surtout des cardinaux. Des cris de colère succédèrent à un enthousiasme passager. On a relaté déjà la manière dont s'exprima l'opposition anglaise‘. Le plus souvent elle fut assez énergique pour empêcher les ecclésiastiques de prendre possession des bénéfices non-électifs dont le Saint-Siège les avait pourvus; mais sur un autre point elle fut impuissante à endiguer l'autorité apostolique qui put réserver à son gré les évêchés et qui les conféra, hormis quelques rares exceptions, aux candidats de la royauté.

En Allemagne la Papauté éprouva un échec presque complet dans les provinces soumises à Louis de Bavière. Elle eut beau déclarer nulles les élections capitulaires, nommer de nouveaux évêques, prononcer l'anathème contre les premiers élus; ses candidats ne parvinrent pas à faire reconnaître leur autorité dans les diocèses confiés à leurs soins. L'accès au trône impérial de Charles IV ne changea guère la situation. La plupart du temps les élections eurent lieu malgré les réserves apostoliques et contre elles. Les papes n'eurent d'autre ressource, pour sauver le principe de leur droit souverain, que de casser les élections des chapitres, puis d'élever à l'épiscopat justement les personnes que les chapitres avaient élues. Encore ce succès de pure forme ne leur fut-il pas toujours garanti. Louis de Wettin, par exemple, nommé archevêque de Mayence par Grégoire XI (28 avril 1374) sur la sollicitation de l'Empereur, ne put jamais prendre possession de son siège. Les chanoines soutinrent, les armes à la

1. Voyez supra, p. 273-287, et HALLER, Papsttum und Kirchenreform, t. I,p. 99-101, 107-121.

main, Adolphe de Nassau qu'ils avaient intronisé'. L'opposition à la collation directe par le Saint-Siège des bénéfices non-électifs ne fut pas moins violente. A Wurtzbourg, pour citer un cas typique, l'évêque et le chapitre avaient statué la peine de mort « contre quiconque porterait, publierait ou exécuterait des lettres apostoliques » dans l'étendue du diocèse. Innocent VI ayant conféré au français Jean Guilabert l'archidiaconé de Künzelsau, un canonicat et une prébende dans la cathédrale, trois clercs arrivèrent à Wurtzbourg et se mirent en devoir d'exécuter le mandat pontifical. Tandis qu'ils lisaient dans l'église les bulles de collation, les valets des chanoines les assaillirent, leur arrachèrent les bulles et les conduisirent en prison. Le soir même, les infortunés furent jetés dans le Mein 2.

En France, les évêques de Mende et d'Angers, Guillaume Durant et Guillaume Le Maire, avaient dénoncé aux pères du concile de Vienne les abus inhérents aux réserves apostoliques. Guillaume Le Maire déplorait l'afflux des clercs indignes à la cour romaine où leur vie peu édifiante était ignorée. Le nombre des grâces expectatives qu'on leur octroie, atteint un tel chiffre qu'« aujourd'hui, assure-t-il, les prélats ne peuvent pourvoir les bénéfices de bonnes personnes ni les bonnes personnes de bénéfices 3 ». Guillaume Durant réclame la suppression des provisions apostoliques; sans quoi, ajoute-t-il, « c'est le bouleversement de l'ordre dans l'Église ». Au début de son pontificat, Jean XXII sembla vouloir limiter son droit de réserve. Au roi de France qui le suppliait de l'exercer avec

1. F. VIGENER, Karl IV und der Mainzer Bistumsstreit.

2. KIRSCH, Ein Prozess.

3. Mélanges historiques, t. II, p. 481.

4. De modo, pars IIIa, tit. 27.

LES PAPES D'AVIGNON.

23

333

ampleur, il répondit que la suppression des élections avait fait murmurer contre lui. « L'expérience, avouet-il, m'a prouvé et me prouve que les prélats promus par le Saint-Siège ne se sont montrés et ne se montrent ni reconnaissants envers l'Église, ni ses dévots fils, mais plutôt comme des rejetons dégénérés, stimulant leur propre zèle à y mettre le trouble'. » Les scrupules du pape ne persistèrent pas longtemps. Il poursuivit, au contraire, une politique conquérante avec la ténacité qui lui était propre. Si les chanoines, ignorant la réserve pontificale, procédaient à une élection, Jean XXII cassait d'abord celle-ci, puis conférait l'institution canonique à l'élu. Leur ignorance étaitelle feinte, il écartait ou confirmait leur candidat suivant les circonstances et après avoir annulé l'élection. Ainsi, Jean refusa de reconnaître comme évêque de Dax Raymond-Arnaud de Poylohaut, élu par le chapitre, et nomma à sa place un de ses chapelains Bernard de Liposse (19 janvier 1327)2. Lorsque le candidat choisi par lui ne parvenait pas à prendre possession de son siège, le pape le pourvoyait d'un autre, faisait procéder à une nouvelle élection et confirmait le personnage qui n'avait pu être évincé. Pour triompher plus sûrement des résistances, le Saint-Siège employait encore une méthode habile: il transférait les prélats d'un évêché à un autre devenu vacant et donnait aux églises un nouvel évêque le jour même où il les privait de pasteur. Les élections devenaient par suite impossibles 3.

A l'égard de l'Espagne, de l'Italie, des Pays-Bas, des États Scandinaves et des États Slaves, Jean XXII suivit la même tactique qu'à l'égard de la France. Ses

1. COULON, n. 667 (bulle du 30 juillet 1318).

2. DEGERT, Histoire des évêques de Dax, p. 161-163. 3. CLERGEAC, art. cité, p. 147 et sq.

successeurs en apprécièrent les avantages et l'adoptèrent avec empressement. Elle consacra, du reste, la défaite des chapitres et assura le triomphe de l'omnipotence pontificale, ainsi que le témoigne surabondamment la Hierarchia catholica Medii Aevi, dressée par le P. Eubel d'après les Archives du Vatican. Les évêques eux-mêmes marquèrent leur dépendance visà-vis du pontife romain, en prenant l'habitude de s'intituler, au cours du xive siècle, évêques par la grâce de Dieu et du Siège Apostolique -Dei et Sedis Apostolicæ gratia episcopus N.

Quant aux collations directes des bénéfices nonélectifs par le Saint-Siège, les registres du Vatican sont les meilleurs garants de leur fréquence. Il n'y eut guère qu'en Sicile que les Papes ne purent exercer leur autorité par suite de leurs dissentiments avec la royauté.

CONCLUSION

Depuis longtemps on avait accoutumé de ne juger les papes d'Avignon que d'après les récits malveillants des chroniqueurs contemporains et les écrits tendancieux de Pétrarque, de sainte Catherine de Sienne et de sainte Brigitte de Suède. Ces récits et ces écrits, on les acceptait à peu près sans contrôle, sans critique.

La mise en œuvre des documents d'archives publiés depuis quelque trente ans, encore que très sommaire, permet, ce semble, de réformer en partie le jugement de l'histoire resté jusqu'ici trop uniformément défavorable à la papauté avignonnaise.

Tout d'abord, les papes d'Avignon sont lavés du reproche d'avoir gardé une attitude humiliée à l'égard de la France et d'avoir trop incliné leur politique générale devant les convenances particulières de la royauté française. Dans certaines questions de détail, comme le procès des Templiers, et pour certains papes, tels que Clément V et Benoît XII, ce reproche peut seulement encore sembler mérité. Mais, à ne considérer que l'ensemble, l'action diplomatique des papes d'Avignon s'est exercée avec une réelle indépendance en Orient comme en Occident, et leur poli

« AnteriorContinuar »