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A M. L'ABBÉ HEMMER

Souvenir affectueux.

b

PRÉFACE

De 1305 à 1378, sept papes se succédèrent sur la chaire de saint Pierre et résidèrent, de façon plus ou moins continue, sur les bords du Rhône, en Avignon.

Leur séjour hors de Rome fut-il un fait inouï et, pour tout dire, « un scandale » dans les annales de l'Église? La généralité des auteurs non-français, depuis Platina, semble-t-il, le laissent entendre. Pourtant, tout évêques de Rome qu'ils étaient, un grand nombre de papes furent élus et couronnés ailleurs qu'à Rome, gouvernèrent le monde d'ailleurs que de Rome. Au cours de la dernière moitié du xe siècle, la turbulence de leurs sujets rend impossible le séjour de la Ville Éternelle aux papes et les force d'émigrer, à tel point que leur séjour à Rome devient exceptionnel.

Rien n'est plus suggestif à cet égard que le tracé de l'itinéraire des papes durant tout le demi-siècle qui précède l'installation en Avignon. Après cinq mois et quelques jours de séjour à Rome, où il se trouve aussi peu libre que possible et entravé dans son autorité par les familles nobles, Benoît XI (13031304) part pour Pérouse, où il meurt. Au rapport de Ferreto Ferreti de Vicence, il songeait à s'établir

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d'une manière indéfinie en Lombardie . Avant lui Boniface VIII (1294-1303) est bien moins souvent au Latran qu'à Anagni, Orvieto, Velletri. Célestin V (1294), ce pieux ermite, ne vit pas Rome : élu à Pérouse, couronné à Aquila, il va à Solmona, à Capoue, à Naples, d'où est datée sa renonciation. Nicolas IV (1288-1292), élu à Rome, réside parfois à Sainte-Marie Majeure; mais il habite ordinairement Rieti et Orvieto. Honorius IV (1285-1287), après son élection à Pérouse, se plaît à Sainte-Sabine; ce n'est qu'au fort des chaleurs de l'été qu'il se réfugie à Tivoli, à Palombara. Martin IV (1281-1285), un français, élu à Viterbe, ubi tunc residebat romana curia, ne sort point de la Toscane, ni de l'Ombrie. Nicolas III (1277–1280), élu lui aussi à Viterbe, est couronné par extraordinaire à Rome; il se partage entre cette ville, Sutri, Vetralla et Viterbe. Jean XXI (1276-1277) ne quitta pas Viterbe, où il avait été élu et où il mourut, enseveli sous les murs de son palais. Innocent V et Hadrien V ne font que passer sur le trône pontifical au cours des six premiers mois de l'année 1276. Après avoir séjourné deux mois à Rome, Grégoire X (12711276) se rend à Orvieto, puis en France, où il réunit à Lyon le XIV concile œcuménique. S'il reprend le chemin de l'Italie, c'est à petites étapes, avec des arrêts multipliés dans « la douce terre de Provence ». Il passe à Orange, à Beaucaire, à Valence, revient à Vienne pour regagner l'Italie par la Suisse et meurt à Arezzo. Le français Clément IV (1265-1268) ne signe pas un seul acte de Rome; il va à Pérouse, Assise, Orvieto, Montefiascone, Viterbe. Urbain IV (12611264), un français encore, n'a que trois résidences : Viterbe, Montefiascone, Orvieto; il meurt en litière,

1. MURATORI, t. IX, col. 1012.

sur la route d'Orvieto à Pérouse. Élu et couronné à Naples, Alexandre IV (1254-1261) affectionne Anagni, Viterbe; au début et au terme de son pontificat, il demeure quelques mois au Latran et expire à Viterbe. Innocent IV (1243-1254), enfin, élu et consacré à Anagni, ne passe à Rome que de courts moments; il est obligé de fuir devant Frédéric II et de se réfugier à Lyon de 1244 à 1251; quand il rentre en Italie, c'est pour s'installer dans la tranquille Ombrie, puis à Naples, où il meurt 1.

Depuis un demi-siècle les papes désertaient Rome. Leur établissement hors de ses murs, au XIVe siècle, ne constitue donc pas une révolution inouïe dans l'histoire; il a été amené, préparé, par une longue suite de circonstances et d'événements. Ce qui est vraiment extraordinaire et sans précédent, c'est le séjour prolongé loin de l'Italie. Aussi, les Italiens, privés des avantages considérables que leur valait la présence de la papauté, n'ont pas manqué, sur les traces de Pétrarque 2 et de sainte Catherine de Sienne3, d'accumuler les blâmes et les plaintes. Ughelli, pour ne citer qu'un des plus connus, va jusqu'à prétendre que la translation du Saint-Siège en Avignon fut plus funeste à son pays que toutes les invasions barbares". La science allemande lui a fait écho. Gregorovius affirme que les papes avignonais furent les « esclaves >> des rois de France, Hase les traite « d'évêques de

1. POTTHAST, Regesta pontificum romanorum, Berlin, 1874-1875, passim, et les registres des papes du xe siècle publiés par l'Ecole Française de Rome.

2. Voyez surtout les Epistolæ sine titulo V, VIII, X, XII-XV, XVII-XIX, les livres VII et IX des Rerum senilium, les sonnets La falsa Babilonia et Fontana di dolor', les invectives contre Avignon dans ses œuvres éd. de Bâle, p. 852 et 1081.

3. Lettere ridotte a migliore lezione e in ordine nuovo dispote, éd. TOMMASEO, Florence, 1860.

4. Italia Sacra, Venise, 1717, t. I, p. 71.

5. Storia della Città di Roma, éd. Roma, 1901, t. III, p. 203-204.

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