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Messieurs, l'un des mémoires qui, cette année, vous ont été envoyés contient, sous l'épigraphe: Soyons fiers de nos grands hommes, la biographie d'Étienne de Vignoles, célèbre sous le nom de Lahire.

C'est assurément l'une des figures les plus originales du XVe siècle, que celle de ce terrible chef de bandes, moitié soldat, moitié pillard, qui fut l'un des plus solides champions du roi Charles VII contre l'insurrection anglaise, de ce gascon dont les réparties sont demeurées célèbres, de ce fidèle compagnon de Jeanne Darc, l'un de ceux, malheureusement trop rares, qui crurent à la noble fille et acceptèrent sans difficulté son ascendant.

Lahire appartient à notre pays à deux titres distincts: d'abord sa famille est originaire du Soissonnais; en outre, il fut fait en 1429 bailli de Vermandois sa biographie pouvait donc tenter un de nos concurrents. Mais il faut reconnaître qu'un tel travail présentait des difficultés réelles. Il était indispensable, avant même de l'aborder, d'être parfaitement au fait du temps où l'on se plaçait, des institutions, des mœurs, du langage même du moyenâge; il fallait, pour faire revivre cette grande figure, la prendre sur le vif dans les documents originaux de la première moitié du XVe siècle, dans ces œuvres si diverses qui se nomment la Chronique de la Pucelle, le Journal du siège d'Orléans, le Journal du Bourgeois de Paris, les chroniques de Monstrelet, d'Olivier de la Marche, de Perceval de Cagni. Peut-être même devait-on fouiller les archives, principalement celles des villes de l'ancien Ver-. mandois, et rechercher s'il ne se rencontrerait point quelque document signalant en notre bailliage le passage de La Hire.

L'auteur pouvait d'ailleurs s'inspirer de travaux excellents, récemment publiés, tels que l'histoire de Bertrand Dugues

clin, de M. Siméon Luce; l'histoire de Rodrigue de Villandrando, contemporain de La Hire, l'un de ceux qui comme lui ont été flétris du nom d'escorcheurs (M. Quicherat); l'histoire des institutions militaires de la France avant les armées permanentes, de M. Boutaric.

La première observation à faire au mémoire présenté concerne le style. Bien rares sont les pages où l'auteur ne se soit laissé aller à des déclamations fastidieuses. Ce n'est point là le ton de l'histoire, le style simple et sévère dont l'historien ne se doit point départir. L'auteur tombe en des accès fréquents de lyrisme, qui parfois prêtent à rire. «< Dressons,» s'écrie-t-il, comme conclusion de son travail, «< dressons des statues à La Hire! » Vous aurez à vous demander, Messieurs, s'il convient à la Société Académique d'en prendre l'initiative.

Hélas! ce n'est point seulement par la forme que pêche le mémoire dont s'agit, et l'on doit convenir que, même à l'heure actuelle, la biographie de La Hire est à faire, et que l'auteur n'avait aucune des connaissances nécessaires pour mener à bien un semblable travail.

Et d'abord, le caractère de La Hire, avec les qualités et les défauts ordinaires en ce siècle de fer, lui échappe absolument. Il en fait un héros de bravoure et de loyauté, un Bayard, un Duguesclin, qu'il juge en se plaçant à un point de vue tout moderne. Rapporte-t-on de son héros quelque atrocité, quelque escorcherie, l'auteur n'y peut croire c'est pour lui pure calomnie. Comment penser que le compagnon de Jeanne d'Arc, que l'homme qui, devant la Pucelle, n'osait plus renier que son bâton, ait pu commettre de semblables forfaits. « Est-ce que le roi et ici nous citons textuellement le mémoire, pour vous en faire saisir, Messieurs, et le style et la valeur critique à la fois -est-ce que le roi l'eût gratifié de tant de faveurs?

Est-ce qu'il eût conservé dans l'histoire et dans la tradition un souvenir aussi populaire ? Est-ce qu'on eût donné son nom à l'un des quatre valets de nos jeux de cartes, précisément au valet de cœur, comme pour montrer de génération en génération combien il a aimé la France ? »

Les institutions sont aussi étrangères à notre auteur que les mœurs mêmes du Moyen-Age: c'est ainsi que la charge de grand-bailli de Vermandois est présentée comme une sinécure que La Hire accepte (nous citons textuellement) parce qu'elle n'engage en rien sa responsabilité. Ailleurs, vous verrez La Hire élevé au grade d'écuyer.

Notre mémoire présente-t-il du moins trace de recherches sérieuses? Non pas même, et pas un seul des documents que nous signalions tout-à-l'heure ne paraît avoir été consulté. L'auteur semble s'être contenté du travail, facile il est vrai, mais sans fruit dont nous parlions au début de ce rapport: il a fouillé successivement et M. Henri Martin et Michelet, et Anquetil, et M. Duruy, jusqu'au dictionnaire de Bouillet; il a trouvé les passages où le nom de La Hire était inscrit; il a recousu chronologiquement tant bien que mal, plutôt mal que bien, les divers extraits qu'il a réunis. Nous ne voulons point l'accuser de s'être borné à transcrire littéralement les livres qu'il a consultés. Non: il a seulement paraphrasé, aussi élégamment qu'il lui était possible, soit M. Henri Martin, soit tout autre historien. Pourtant, la paraphrase suit parfois le texte avec une exactitude regrettable. Vous en jugerez, Messieurs, par le passage suivant: il s'agit des évènements qui suivirent le combat de Rouvray-SaintDenis, plus connu sous le nom de journée des Harengs.

Voici le texte de M. Henri Martin, et en regard le texte de notre auteur:

Les habitants et la garnison reprochaient au comte de Clermont son inaction ignominieuse à Rouvray.

Le conseil des chefs ne retentissait que de plaintes et de que relles.

Le comte de Clermont annonça qu'il voulait aller à Chinon devers le roi, pour refaire son armée et préparer sa revanche.

Les Anglais les laissèrent passer, considérant cette retraite comme l'abandon d'Orléans.

Quant au lâche comte de Clermont, on pense bien qu'il ne fu pas reçu comme un libérateur par les Orléanais exaspérés qui lui reprochèrent vivement au contraire son inaction au combat de Rouvray. Pendant plusieurs jours ce ne fut dans la cité que des plaintes et des querelles à son sujet.

Accablé de reproches mérités, il annonça bientôt aux assiégés qu'il allait retourner à Chinon pour y refaire son armée et préparer une revanche éclatante.

Les assiégeants les laissèrent librement passer, croyant que toutes les troupes abandonnaient la place.

Ajouterai-je, Messieurs, qu'au point de vue de la vérité même des faits rapportés en ce mémoire, des erreurs parfois considérables ont été commises: on y rencontre, par exemple, la mention de la prise d'Ivry, quand il est constant que les troupes françaises furent forcées de lever le siége de cette place; l'indication du siège d'Honfleur au lieu du siége d'Harfleur. Les dates mêmes sont souvent erronées : il nous serait facile de vous en citer maint exemple.

C'en est assez, Messieurs, pour que vous compreniez sans peine qu'à son grand regret, votre Commission ne peut vous proposer, pour l'auteur de la biographie de La Hire, aucune récompense.

J'ai heureusement, Messieurs, à vous présenter un autre mémoire, d'une valeur incontestablement supérieure: la vie de saint Médard, évêque de Noyon et Tournay. C'est

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presque un sujet d'actualité, car je ne crois pas que depuis longtemps ce personnage ait, plus que cette année, fait sentir l'humide influence qu'on lui attribue encore de nos jours. C'est en outre une biographie bien locale. On sait que saint Médard naquit au milieu du Ve siècle, dans le Vermandois, près de Noyon, à Salency s'il faut en croire la tradition, qu'il étudia près de l'évêque de Saint-Quentin (alors Augusta Viromanduorum), que plus tard, évêque à son tour, il transporta à Noyon le siège épiscopal jusque là fixé en notre ville. Dans son extrême vieillesse, il joignit à l'évêché de Noyon celui de Tournay; mais il n'apparaît point, c'est du moins notre avis, qu'il ait longtemps cessé de résider en notre pays.

Les documents relatifs à saint Médard ne sont ni bien considérables, ni surtout bien sûrs. Deux biographies, la plus ancienne en vers, la seconde en prose, lui ont été consacrées par Fortunat à la fin du VIe siècle ; d'autres sont plus récentes, des IX, XIe et XIIIe siècles, paraît-il. Ces dernières, faites, on le voit, bien après la mort de saint Médard, ne sont guère que des amplifications et n'ont presque aucune valeur historique. Quant à l'œuvre de Fortunat, composée par un auteur presque contemporain de l'évêque de Noyon, elle peut être considérée comme plus sérieuse; mais il ne faut point oublier cependant que Fortunat est un poète.

L'auteur de notre mémoire a suffisamment tiré parti des documents que nous venons d'indiquer ; il les a étudiés avec soin, a coordonné les renseignements qu'il y a découverts, a fait en un mot œuvre d'historien. Il a même fait preuve de sens critique en réfutant certaines opinions au moins hasardées, telles que celle qui fait de saint Médard et de saint Gildard deux frères jumeaux, consacrés évêques le même jour et le même jour décédés cette autre,

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