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Harvard College Library

NOV 14 1912
Gift of
Prof. A. C. Coolidge

SÉANCE PUBLIQUE

DU 29

MOVEMBRE 1882

Discours de M. Emmanuel LEMAIRE, président

MESSIEURS,

Si une longue existence suffit à prouver l'importance et l'utilité d'une société, notre Compagnie, vieille aujourd'hui de cinquante-sept années, peut à bon droit revendiquer une place fort honorable parmi les associations littéraires. Mais cette longévité, qui semble être le privilège des académies, est une recommandation bien insuffisante auprès du public, car celui-ci reproche, souvent avec raison, aux Sociétés comme la nôtre leur effacement volontaire qu'il peine à s'expliquer. Ce serait assurément donner un fort mauvais conseil aux membres des sociétés savantes que de les engager à se jeter dans la lutte ardente des partis et des intérêts d'où l'on sort bien rarement grandi, presque toujours meurtri, sinon abaissé, mais il est un autre champ ouvert à leur activité, et il semble que jamais le associations littéraires et scientifiques n'ont été appelées à exercer dans notre pays une influence plus utile et plus salutaire. Dans notre France moderne vouée tout entière aux affaires commerciales et industrielles, il serait regrettable qu'en dehors de Paris, centre d'une immense activité

intellectuelle, il ne se trouvât point, dans les villes d'un certain ordre, des réunions d'esprits cultivés pour conserver, comme un précieux dépôt, le souvenir reconnaissant des gloires de la province et le culte des études désintéressées. Il serait regrettable également qu'en un temps où les plus humbles aspirent à posséder les rudiments de l'instruction, ceux qui ont reçu une éducation distinguée vinssent à se montrer indifférents au culte des lettres. Bien plus! ne serait-il pas douloureux pour notre amour propre national d'entendre l'étranger constater avec dédain que les progrès de la richesse publique coïncident chez nous avec l'abandon des fortes études, symptôme non équivoque de la décadence intellectuelle? Il y a près d'un demi-siècle, l'un des plus illustres de nos ministres de l'Instruction publique, M. Guizot, écrivait dans une circulaire aux sociétés savantes des départements : « Au moment où l'instruction » populaire se répand de toutes parts, et où les efforts » dont elle est l'objet doivent amener, dans les classes » nombreuses qui sont vouées au travail manuel, un grand » et vif mouvement, il importe beaucoup que les classes » aisées, qui se livrent au travail intellectuel, ne se laissen » pas aller à l'indifférence et à l'apathie. Plus l'instruction » élémentaire deviendra générale et active, plus il est » nécessaire que les hautes études, les grands travaux >> scientifiques soient également en progrès. Si le mouve» ment d'esprit allait croissant dans les masses pendant » que l'inertie règnerait dans les classes élevées de la » société, il en résulterait tôt ou tard une dangereuse >> perturbation.... »

C'est ce trouble social qu'il importe de conjurer, et bien que ce danger ne soit pas encore menaçant, vous estimerez avec M. Guizot que les associations littéraires et scientifiques peuvent être l'un des moyens préventifs les

que

plus puissants et les plus efficaces. Certes, les moyens d'instruction ne manquent pas dans notre société actuelle : les journaux, les romans, sont lus avidement par une foule nombreuse et ardente de curiosité. Mais, si la presse périodique rend d'incontestables services à l'instruction nationale, ce n'est pas la lecture d'oeuvres forcément hâtives et, il faut bien le dire, trop souvent inspirées par l'esprit de parti, qui peuvent donner le véritable savoir : c'est le livre, c'est-à-dire l'œuvre intellectuelle longuement préparée et exécutée avec soin que nous voudrions voir dans les mains de tous. Malheureusement, il semble qu'on s'en éloigne de plus en plus et bien des fois, Messieurs, vous avez pu constater avec douleur les productions les plus solides de nos meilleurs écrivains trouvaient peu de lecteurs. C'est qu'en effet, le véritable livre de science, instrument nécessaire de toute haute culture de l'esprit, se présente rarement avec les dehors enchanteurs, les couleurs attrayantes des œuvres d'imagination pure il faut, pour le lire, pour se l'assimiler, un certain courage, j'oserai dire un certain entraînement de l'intelligence que l'on n'obtient qu'après de longs et patients efforts. Eh bien! Messieurs, ce courage, je crois que, grâce à l'émulation qui y règne, les associations savantes peuvent le donner à leurs membres. Combien parmi eux, entrés dans une société sans l'intention arrêtée de travailler et de produire, et dans le but seulement de trouver un agréable passe-temps, se sont mis tout à coup à l'œuvre, parce qu'ils ont senti s'éveiller en eux le désir d'apporter leur pierre au vaste édifice de la science humaine ! Il faut en faire l'aveu, nous qui formons une des plus modestes de ces compagnies littéraires, nous n'aurions jamais, pour la plupart, pris la plume du littérateur ou de l'historien, si notre règlement intérieur, et

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surtout cette émulation amicale dont nous parlions tout à l'heure, ne nous avaient obligés à apporter au recueil de nos Annales la contribution au moins annuelle que nous lui devons. Ainsi se trouve démontrée l'utilité des associations comme la nôtre, et nous voudrions faire passer la conviction qui nous anime dans l'esprit d'un grand nombre de nos concitoyens que leur savoir, leurs loisirs ou la nature même de leurs professions devraient amener au milieu de nous et qui se tiennent à l'écart d'une société qui serait heureuse de les accueillir.

Parmi les tâches souvent ingrates, mais toujours utiles qui incombent aux sociétés savantes des départements et qui rendent leur existence nécessaire, il faut placer la mise au jour des documents inédits pour servir à l'histoire des provinces ou des villes de l'ancienne France. C'est la réunion de ces matériaux, c'est la publication de ces histoires particulières qui, un jour, peut-être, permettront à un historien de génie de tracer l'histoire définitive de notre glorieux pays. Ce sont là, suivant l'expression de notre éminent compatriote, M. Henri Martin, de « labo>> rieuses et lentes entreprises qui ne sont pas toujours » suffisamment appréciées d'une génération vive et impa»tiente. Cependant, c'est l'honneur de notre siècle d'en avoir compris l'importance, moins frivole et plus ami de la vérité que le siècle précédent où « l'intérêt du public » ne se prenait aux sciences historiques que sur le terrain >> limitrophe où elles touchent à la politique et à la >> philosophie. » Dans cet ordre de travaux, notre Société Académique ne veut pas faillir à sa tâche; l'an dernier, elle a fait paraître le Livre rouge de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin, important apport à l'histoire du gouvernement intérieur des villes au moyen-âge; cette année, elle a mis sous presse le premier volume d'une œuvre consi

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