Imágenes de páginas
PDF
EPUB

ainsi que d'un tiroir, les vers métriques qu'ils y ont entassés et qu'ils accommodent suivant la circonstance. Ses poésies naissaient de son inspiration toutes rhythmées, toutes rimées, toutes vêtues, tout armées. Ce n'était pas le chercheur d'esprit qu'on s'imagine, c'est un trouveur et c'est pour lui qu'on aurait pu faire revivre le vieux noin de trouvère

Nous nous souvenons que, dans une fête intime, il s'engagea à ne parler qu'en vers et il n'a pas manqué à ce singulier engagement.

Aubryet possédait, au suprême degré, la faculté de donner à la poésie, objet de son enthousiasme, sa forme par excellence le vers. Aussi éprouvait-il un véritable malaise de vivre dans un temps où les vers étaient tombés dans le plus grand discrédit. Il fallait l'entendre exhaler l'amertume de ses plaintes et les éclats de son indignation pour l'indifférence du public en matière de poésie !

On peut se faire une idée de ce dépit, de cette colère superbe, en lisant dans la Philosophie mondaine les pages qu'il a écrites sur Les Poètes malgré eux.

Avec quel mépris il apostrophe le bon bourgeois qui n'a, pour exprimer ses pensées vulgaires, que les banalités d'une rhétorique surannée !

Avec quelle autorité il reproche aux écrivains de traduire leurs émotions factices, leurs sentiments artificiels, dans un langage convenu, d'envelopper leur poésie de pacotille dans des vers d'occasion.

Nous ne croyons pas utile d'aller chercher dans les recueils où ils les a semées les poésies qui ont le mérite d'appartenir à cette langue immortelle dont Musset a dit :

Elle a cela pour elle

Que les sots d'aucun temps n'en ont pu faire cas,

Qu'elle nous vient de Dieu, qu'elle est limpide et belle,
Que le monde l'entend et ne la comprend pas.

A ceux qui voudraient être édifiés sur le talent poétique d'Aubryet, nous recommandons la lecture de son poème Les Mois républicains qu'il a composé dans les derniers temps de sa vie, alors qu'il était aveugle.

On nous saura gré de citer ici l'un des douze chants de ce délicieux poème.

MESSIDOR

O Messidor ô joie, abondance et lumière !
Mois où Dieu qu'on oublie et qui, lui, se souvient,
Exauce avec amour l'immortelle prière:

<< Seigneur ! accordez-nous le pain quotidien ! »>
La moisson, mer dorée, au lointain se déroule ;
Élle a, comme la mer, son flux et son reflux;
Elle a sa majesté, son repos et son houle,
Et ce bruit qu'on entend quand on ne le voit plus.
De même que la mer, quand elle se retire,
Découvre à nu les fleurs qui naissent sous ses flots,
La moisson, que le vent penche à demi, fait luire
Ses touffes de bleuets et de coquelicots.

Le goëland se joue à la cime des lames,

De même l'alouette effleure le blé mûr;

L'un, vorace, au cri dur, guettant les sombres drames,
L'autre, probe et loyal, au chant rustique et pur.

Sur cet autre Océan tout le ciel se reflète,

Il devient d'un blond mat ou bien d'un blond vermeil,
Suivant que le nuage, en passant y projette

Son ombre, ou bien qu'il est pénétré de soleil.
Balancement sans fin des épis pleins de gloire,
Caresse qui toujours revient sur son adieu,
Champ semblable au tissu qui par ondes se moire
Sous un souffle émané de la bouche de Dieu!
On va faire pour vous, hélas ! vagues superbes,
Ce qu'on fait pour la mer que l'on veut dessécher;
On dérive ses eaux,; on charriera vos gerbes;

Vos tiges, sur le sol, la faulx va les coucher.
Pha se où l'âge nouveau confine à l'ère antique,

A la terre le ciel rend les mêmes honneurs ;
De toute chose sort un éternel cantique,
On évoque, en rêvant, les premiers moissonneurs.

O Messidor! ô joie, abondance et lumière !
Mois où Dieu qu'on oublie et qui, lui, se souvient,
Exauce avec amour l'immortelle prière :

« Seigneur ! accordez-nous le pain quoditien ! »

Je terminerai ici ce travail trop long peut-être, et que je me suis pourtant attaché à abréger.

Pouvais-je, en me restreignant davantage, faire connaître ce publiciste dont le talent s'était manifesté sous des formes si diverses? N'ai-je pas plutôt négligé certaines considérations qui eussent mieux fait ressortir les caractères essentiels de sa personnalité? N'est-ce pas à Aubryet que l'on peut appliquer ce dicton : « A l'œuvre on connaît l'ouvrier? »

En effet, cet écrivain est tout entier dans ses productions. Sa vie, c'était la pensée et le rêve. Il aurait pu dire je pense, je rêve, donc je suis, donc je vis.

Je crois avoir rempli ma tâche avec une impartialité que rendaient difficile mon amitié d'un côté et, de l'autre, mes idées politiques et mes goûts littéraires. Si je n'ai pas été juste, si je n'ai pas été vrai, je puis, du moins, me flatter d'avoir été consciencieux et sincère. Jamais notre cher Aubryet n'a demandé autre chose à ses amis que la sincérité !

L'ART NATIONAL ANCIEN

ET LA

BASILIQUE DE SAINT-QUENTIN

Par M. PIERRE BÉNARD, membre titulaire.

(Conférence faite le 17 Mars 1882, à Saint-Quentin)

MESDAMES, MESSIEURS,

Lorsqu'il y a quinze jours nous écoutions avec un intérêt partagé par tous les auditeurs la conférence si attachante du savant annamite M. Tran-Nguyên-Hanh, un des points qui nous ont le plus vivement frappé et que nous avons retenu, ç'a été le trait des mœurs de son pays relatif à la vénération des ancêtres et au culte de leur mémoire; nous y avons retrouvé un des signes caractéristiques de toute nationalité énergique et vivace. Deux peuples extraordinaires, le peuple Juif et le peuple Romain, ont dû à leur piété envers leurs ancêtres une force et des vertus qui ont fait leur grandeur. Cette piété est le lien le plus étroit de la famille, base de la commune, comme la commune est la base de la nation. Un peuple où le sentiment de la famille et la piété envers les ancêtres s'affaibliraient, serait sur la pente de la décadence; et un peuple où ces sentiments viendraient à s'éteindre, cesserait d'être une nation; ce ne serait plus qu'une agglomération d'individus, une poussière humaine, sans ciment, sans cohésion, sans résistance.

Nous remplissons donc un devoir patriotique lorsque

nous étudions avec vénération les œuvres de nos ancêtres, en ce qu'elles ont de beau et d'excellent, lorsque nous honorons les efforts qu'ils ont faits, dans les temps sombres et durs où ils ont vécu, pour nous préparer les bienfaits d'une civilisation plus clémente, lorsque nous payons de notre reconnaissance envers eux, leurs travaux, leurs peines, leurs douleurs parfois mêlées de sang. Et dans l'examen des immenses et obscurs labeurs auxquels ils se sont livrés, il y a deux grands faits qui consolent et reposent l'esprit ; ce sont au point de vue politique, l'affranchissement de la commune; et au point de vue intellectuel, l'épanouissement des beaux-arts, résumés par ces édifices sans pareils qui sont nos cathédrales du Nord. Le plus grand écrivain de ce siècle, l'auteur de NotreDame de Paris, disait en 1832, dans la préface de la Se édition de ce livre éblouissant:

« Quelque soit l'avenir de l'architecture, de quelque >> façon que nos jeunes architectes résolvent un jour la » question de leur art, en attendant les monuments nou>> veaux, conservons les monuments anciens. Inspirons, » s'il est possible, à la nation l'amour de l'architecture » nationale. C'est là, l'auteur le déclare, un des buts prin>>cipaux de ce livre; c'est là un des buts principaux de » sa vie. »><

C'est qu'en effet, avec l'intuition du génie, à une époque où l'histoire et l'archéologie de l'ancienne France n'avaient pas encore été l'objet des innombrables recherches qui y ont porté une lumière toujours croissante, Victor Hugo avait, le premier, admirablement saisi le caractère national et populaire des grandes cathédrales des XIIIe et XIVe siècles, qui ont surgi dans les villes affranchies par des chartes communales.

Avec quelle sûreté de jugement, avec quel éclat d'expres

« AnteriorContinuar »