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Sur la valeur littéraire de ce conte, les avis diffèrent. L'auteur de l'avertissement publié en tête de la traduction de Mile Patin (édition de 1745) s'exprime comme suit Il n'y a guère de rapport entre les quatre personnes qui ont travaillé à cette Historiette celui qui l'a composée en Arabe, le Juif qui l'a mise en Hébreu, le Luthérien qui l'a traduite en Latin, et la Catholique Romaine qui nous la donne en Français, ne peuvent être suspects l'un de l'autre; et nous pouvons nous fier sur ce récit, comme sur l'original. Ils n'ont tous eu dessein que de se divertir, et de publier une jolie Fable, dont la moralité n'est pas moins excellente, quoiqu'elle s'éloigne de la commune manière d'écrire

Quant à Steinschneider, il la trouve absurde (abgeschmackt); Fürst, tout au contraire, y voit un conte excellent (ein treffliches Mährchen), et le grave Bartolocci, tenant le milieu entre ces deux savants, montre une certaine complaisance: "Historia, seu verius anilis fabula, lectu tamen curiosa

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Au lecteur donc de se faire un jugement personnel en lisant le résumé qui suit et où il rencontrera plus d'un élément des contes des Mille et une nuits: il trouvera peut-être, avec nous, que l'histoire rappelle assez bien la manière du second égyptien.

Le serment.

Un riche marchand, à son lit de mort, fait jurer à son fils, Dihon, de ne jamais aller sur mer, sous peine de voir la fortune passer à des œuvres pies.

1 Serapeum, 9, p. 381.
2 Bib. judaica, 2, p. 289.
3 Bib. rabb., 1, p. 42.

Le fils tient d'abord parole; mais des marchands lui apportent d'outre-mer des richesses qu'y avait son père et, lui persuadant que celui-ci avait l'esprit troublé quand il l'a fait jurer, le décident à s'embarquer avec

eux.

Tempête où tous périssent, sauf Dihon. Il arrive à terre et échappe à un lion en grimpant sur un arbre; là il trouve un hibou; effrayé, il se met sur le dos de la bête, qui, effrayée à son tour, s'envole et l'emporte. Entendant prier dans une synagogue, il se laisse tomber. Le maître qui y enseigne lui représente qu'il est chez des démons qui le dévoreront. En effet, ils sentent la chair humaine; mais sa connaissance de la loi juive lui vaut pardon et faveur, à condition qu'il enseigne : ce qu'il fait trois ans.

Le roi Asmodée, partant un jour pour réduire une ville révoltée, lui remet toutes ses clefs mais lui défend d'entrer dans une certaine maison.

Il y pénètre cependant et y trouve la fille d'Asmodée, dont le père, surnaturellement averti, accourt; mais comme Dihon n'a rien fait de mal et que le vœu secret d'Asmodée est, vu sa science, de le marier à sa fille, il l'accepte pour gendre.

Après des noces fastueuses, la fille fait jurer à Dihon qu'il l'épouse par amour et il doit même dresser acte du serment. Du mariage naît un fils, qui reçoit le nom de Salomon, en mémoire du grand roi hébreu. Mais regrettant la femme et les enfants qu'il a laissés au pays, Dihon obtient enfin de les aller voir un an, jurant et écrivant qu'il reviendra après ce délai. Un démon offre de le porter chez lui en vingt ans, un autre en dix; un autre encore, en un; un dernier, qui est borgne et bossu,

en un jour. Ce dernier est accepté, mais Dihon doit se garder de l'offenser, parce qu'il est enclin à la colère.

De retour dans son pays, Dihon, bien reçu des siens, demande en public au démon pourquoi il est borgne : c'est que, dans une rixe causée par sa colère, un ami l'a éborgné; pourquoi il est bossu? A cette question, pas de réponse et le démon, irrité, s'en va, Dihon lui déclarant qu'il ne retournera jamais.

Mais la fille d'Asmodée attend l'expiration du délai et renvoie le borgne; refus de Dihon de revenir. Dans la pensée que la réponse de Dihon pourrait être causée par la qualité de l'envoyé, on députe successivement deux ambassades composées de gens plus nobles: nouveaux refus, Dihon répétant que sa femme est d'une autre espèce que lui et que son consentement à lui n'a pas été libre.

La femme, alors, prenant avec elle son fils Salomon, veut aller tuer son mari et détruire sa ville.

ils

Elle envoie d'abord son fils; mais sans succès. Elle remet cependant sa cause aux juges dans la synagogue et leur présente ses arguments et ses actes; reconnaissent que le mari doit ou bien rendre la dot ou bien reprendre sa femme sinon, elle pourra le traiter comme elle le voudra.

Apaisée par la justice qu'on lui rend, elle déclare qu'elle va s'en aller, mais que son mari doit, une dernière fois, l'embrasser. Elle saisit cette occasion pour le tuer et demande aux habitants d'accepter son fils Salomon comme roi il est de leur race et elle ne pourrait l'emmener sans raviver de tristes souvenirs.

Les habitants acceptent et la fille d'Asmodée va retrouver son père.

XI.

Conclusions.

Si le lecteur a bien voulu nous suivre jusqu'ici, il aura vu que nous avons essayé de démontrer trois propositions.

D'abord, qu'il y a lieu d'admettre l'existence de deux auteurs égyptiens différents.

Ensuite, que celui que nous appelons le deuxième. auteur et à qui nous attribuons la récension égyptienne des Mille et une nuits semble être un juif converti à l'islamisme.

Enfin, que ce juif est, peut-être, le pseudo-Maïmonide. Le lecteur aura sans doute aussi remarqué que, pour établir ces points, nous avons eu recours à de nombreuses conjectures et à de nombreuses hypothèses. Nous en blâmera-t-il ? Et ne pensera-t-il pas plutôt qu'il est toujours utile qu'un écrivain énonce nettement son opinion, si conjecturale qu'elle soit d'ailleurs, afin de permettre à chacun de puiser dans les souvenirs de sest lectures pour en confirmer ou en combattre chaque détail?

Quoi qu'il en soit, nous devons, dès à présent, prévoir la plus sérieuse objection qu'on pourrait faire à notre troisième conclusion.

Si l'on tient compte de l'époque où a vécu l'auteur du et cette époque doit être anté

conte

Le Serment

rieure à 1518, date de la première édition hébraïque du Serment on trouvera peut-être qu'il est trop ancien pour être l'auteur de la récension égyptienne des Mille et une nuits, puisque les manuscrits de cette récension semblent tous fort modernes '.

Mais cet argument ne serait décisif, semble-t-il, que si l'on était définitivement fixé sur le classement des manuscrits et, surtout, si on connaissait plus exactement tous ceux que récèlent encore les bibliothèques de l'Europe et, avant tout, celles de l'Orient.

Or, de l'avis même de M. Zotenberg, dont le magnifique travail est d'ailleurs si précieux pour les nombreux et intéressants manuscrits qu'il a, le premier, sérieusement examinés, le classement n'est pas définitif encore 2.

Il nous semble donc qu'avant de tirer argument du fait que nous avons rappelé, il y a lieu d'attendre un plus ample informé.

Voir Notice sur quelques manuscrits des Mille et une nuits et la traduction de Galland, par M. H. ZOTENBERG, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, 28, 1, 167-320. 2 Notices, 168.

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