Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Les chrétiens, d'ailleurs, n'allaient pas seuls audevant de leurs anciens adversaires. Les hommes de l'Orient venaient, à leur tour, chez nous ; et quiconque eût observé l'aspect de Montpellier, du XII° au XVe siècle, eût appliqué à notre ville avec une certaine justesse ce qu'a dit de Pise le moine Donizo :

Qui pergit Pisas, videt illic monstra marina.

Hæc urbs Paganis, Turchis, Libycis quoque Parthis
Sordida; Chaldæi sua lustrant littora tetri2.

Montpellier devait avoir la physionomie bigarrée qu'offre de nos jours Marseille, avec ses étrangers de

[ocr errors]

un évêque de Maguelone et notre Étude historique sur les comtes de Maguelone, de Substantion et de Melgucil. Ce n'est pas le seul prélat dont l'histoire ait eu à enregistrer des écarts en ce sens. Le cardinal Talleyrand de Périgord ne résista pas, lui non plus, dans le siècle suivant, aux séductions des entreprises commerciales. Son testament, publié par Du Chesne au Tome II de l'Histoire des cardinaux français, nous le montre léguant à son neveu toute une provision de poivre, qu'il avait fait venir d'Orient à Montpellier, et dix mille florins d'or, que lui devait un marchand de la même ville.

C'est au passage de l'un deux, vraisemblablement,. que se rapporte le dirhem récemment exhumé sur la plage de Maguelone, et que conserve dans sa collection M. le docteur Piron, sousbibliothécaire de la Faculté de médecine de Montpellier. M. le commandant Puiggari y a lu le nom du sultan mamelouk du Caire El-Melek-el-Mansour, et le millésime 763 de l'hégire, correspondant à notre année 1361 de J.-C.

2 Vita Mathildis comitissæ, lib. I, cap. 20, ap. Murat, Rer. italic. script., V, 364.

tous pays, aussi remarquables par la variété de leur langage que par celle de leur costume. C'était comme une sorte d'asile, ouvert, sinon à toutes les religions, du moins à toutes les races. L'Orient et l'Occident semblaient s'y donner la main, dans la quiétude d'une mutuelle fraternité.

Ces relations se maintinrent long-temps, et il ne tint pas à Jacques Cœur qu'elles n'aient toujours duré. Qui ne connaît la constance de ses efforts pour les perpétuer et les étendre?

Jacques Cœur, avec son immense sagacité et son merveilleux coup-d'œil, crut entrevoir dans le ralentissement qu'éprouvait le commerce de Marseille, par suite des guerres de la maison d'Anjou pour ressaisir le royaume de Naples, l'occasion favorable d'accroître l'importance du négoce de Montpellier; et il résolut d'y fixer le centre de ses opérations. Leur succès dépassa son espoir sa fortune grandit tellement, qu'elle mit bientôt l'habile spéculateur en état d'armer et d'entretenir dix ou douze navires, qui trafiquaient, sans discontinuer, en Égypte et au Levant. Jacques Cœur se plaisait, selon certaine tradition, à les contempler du haut de la plate-forme de sa maison de Montpellier, allant et venant sur la mer. Il arriva, de progrès en progrès, à faire seul, dit-on, pendant vingt ans, plus d'affaires que les plus célèbres commerçants d'Italie. Mais ce surcroît de prospérité tenait à la vie d'un homme; et encore n'atteignit-il pas les limites

de l'existence de son auteur. On sait quelle fut la fin malheureuse du magnifique argentier de Charles VII. Montpellier perdit beaucoup à cette catastrophe: elle inaugura pour nous une décadence, que devait compléter en 1481 l'acquisition de Marseille par Louis XI. Au moyen âge, le commerce du Levant constituait une source inappréciable de richesse; et c'est ce qui explique la persistance des Génois à vouloir, comme nous le remarquions dans le chapitre précédent, interdire aux marchands de Montpellier la navigation vers les pays orientaux. Tous les commerces se rattachaient à celui-là; il était, selon le langage des représentants de Barcelone à Alphonse V, le principe et l'âme de tout le négoce.

Ne soyons donc pas surpris de l'amoindrissement que dut causer à Montpellier l'interruption de ce commerce, lors de la ruine de Jacques Cœur ; et ne nous étonnons pas davantage de la supériorité que le périodique développement de ces relations d'outre-mer valut à Marseille. Le temps approche où la fille de l'antique Phocée, par une sorte de privilége en rapport avec son origine, revendiquera parmi les villes de France la possession exclusive du commerce du Levant.

VI.

COMMERCE DE MONTPELLIER AVEC L'ESPAGNE.

COMMERCE

AVEC LES DIVERS POINTS DE LA FRANCE ET AVEC LE NORD DE L'EUROPE.

Une ville qui entretenait des relations si actives avec l'Italie et avec l'Orient, ne pouvait négliger d'en avoir aussi avec l'Espagne, surtout quand les liens politiques, indépendamment du voisinage, l'y conviaient. Montpellier eut pour souverains, durant près d'un siècle et demi, les rois d'Aragon et de Majorque; et, avant comme après, des rapports incessants, quoique moins directs, unirent les deux pays. L'héritière de Maguelone, nous l'avons établi ailleurs, a obéi dès le XIIe siècle à l'influence espagnole; et celle-ci, on ne saurait le nier, a long-temps survécu aux causes qui en motivaient le maintien. Elle reposait, dans le principe, non-seulement sur une parité d'intérêts et sur une communauté de sympathies, mais sur une ressemblance d'idiomes. La langue populaire en usage

au sein de la seigneurie de Montpellier, à l'époque des Croisades, offre de profondes analogies avec celle qui se parlait alors dans la portion aragonaise de la péninsule.

Aussi existe-t-il, dès le XIIe siècle, un continuel échange de relations entre Montpellier et l'Espagne, avec l'Aragon et la Catalogne surtout, grâce à leur proximité. Un prince de la dynastie des Guillems acquit durant ce siècle des droits féodaux sur Tortose, qu'il transmit à ses descendants; et Barcelone, à son tour, nous envoya ses comtes pour seigneurs, au commencement du siècle suivant. Ces monarques firent beaucoup pour la prospérité commerciale de leur nouvelle seigneurie. Non-seulement ils lui ménagèrent de nombreuses et lointaines alliances sur le littoral de la Méditerranée, mais ils lui octroyèrent, en leur nom personnel, d'importantes concessions dans les terres de leur dépendance. Le roi Pierre II, à peine installé chez nous en 1204, par suite de son mariage avec la fille de Guillem VIII, s'empresse d'accorder à ses nouveaux sujets le droit de commercer librement, et sans avoir à acquitter aucunes redevances, n'importe en quels lieux ils voudront du territoire soumis à sa domination, soit par terre, soit par eau. Jayme Ier réitéra cette concession le 27 août 1231, postérieurement à la conquête du royaume de Majorque, qu'il y engloba1.

Arch. mun. de Montp., Gr. Thal., fol. 33 vo, et Livre Noir, fol. 42 vo. Cf. Arm. Dorée, Liasse A, No 2 bis. Cette concession

« AnteriorContinuar »