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« armée et qu'il devoit aller en Suisse besogner de cette science. On lui confronte alors La Môle qui nie le connaître, puis Pierre de Grandrye qui déclare « qu'il étoit << son ennemi mortel pour avoir toujours conseillé à Grandchamp, son frère, de le « chasser de sa maison et de son service, et confessa bien qu'un jour, dînant chez la « Molle, M. d'Alençon y arriva avec la Vergne mais qu'il ne lui parla que de la surdité de son oreille et des taches qui lui étoient restées de sa petite vérole. » Quoiqu'il eût prouvé qu'il était gentilhomme, Tourtay fut pendu, après quoi on lui trancha la tête et mit son corps en quatre quartiers.

Le 30 avril La Môle subit la question. En le dépouillant, on lui trouva un Agnus Dei au cou. Attaché aux boules, on lui demande pourquoi il avait fait ses Pâques le jeudi saint et non le dimanche. Il répondit que c'était pour éviter la presse. Après avoir souffert le petit tréteau, il est délié sur sa demande et mené auprès du feu. L'interrogatoire recommence sans résultat. On lui remontre alors qu'il avait dans sa maison des images de cire ayant deux trous dans la tête. Il répond que non et est rattaché aux boules et anneaux. Le succès ne répondant pas à l'attente des bourreaux, le petit tréteau est remis. Il s'écrie: « Je ne sçay autre chose sur la damnation de mon âme. « La figure de cire est pour aimer ma maîtresse que je veux épouser, laquelle est de mon « pays. Qu'on la voie, on verra que c'est une figure de femme. » On lui fait boire de l'eau; il demande qu'on le détache. Mené devant le feu et interrogé de nouveau, il affirme avoir dit la vérité et, se mettant à genoux en pleurant, dit : « Sur la damnation « de mon âme je ne sais autre chose. » Le bourreau l'habille, le lie et le mène à la chambre de la Tournelle. - Epouvantable temps!

Annibal de Coconas subit aussi les douleurs de la question. Ses premières dépositions devaient cependant paraitre suffisantes. Il fut ensuite pris, lié par le bourreau et mené en la chapelle où La Môle était déjà. Tous deux se plaignirent de leur mort et de la honte qu'on faisait à leurs maisons. Coconas, frappant du pied, s'écria: « Messieurs, « vous voyez ce que c'est, les petits sont pris et les grands demeurent qui ont fait la << faute, il faudrait s'attaquer à ceux qui veulent troubler le royaume, qui sont M. de « Montmorency, Thoré, Turenne et le sieur de Bouillon. » N'est-ce pas le cas de redire avec Cicéron : « Cavendum est ne major pœna quam culpa sit, et ne üsdem de causis alii plectantur, alii ne appellantur quidem (1).

Conduits en place de Grève, La Môle et Coconas sont admonestés deux fors. Le beau comte de La Môle déclare de nouveau qu'il avait dit la vérité, qu'il n'avait chargé personne à tort, que Grandrye, Grandchamp et la Nocle connaissaient la conspiration. Il fut aussitôt décapité. Le pauvre Coconas prie qu'on avertisse le Roi qu'il y avait plusieurs entreprises qu'il ne saurait spécifier; il croit que les Grands savaient l'entreprise, mais il ignore si Grandrye en était. Sa tète tomba.

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Ces deux malheureuses victimes auraient pu dire

Nos quoque floruimus, sed flos erat ille caducus;
Flammaque de stipula nostra, brevisque fait (2).

(1) Traité des Devoirs, livre 1.
(2) Ovide. Les Tristes, élégie VIII.

Et pendant ce temps, Charles IX, étendu à Vincennes sur sa dernière couche, abandonné de tous, n'était secouru que par sa nourrice, une huguenote! En proie aux remords que lui causait le crime de la Saint-Barthélemy, il suait le sang par tous les pores et criait pitié à Dieu. Il expira enfin, le dimanche 30 mai 1574, à l'âge de 24 ans, laissant la régence à Catherine de Médicis.

III

Grâcié vers 1580, Pierre de Grandrye rentra aussitôt à Besnes où il mourut en 1597. Il avait épousé Anne de Marreau, fille de Jean, prévôt d'Orléans, et d'Anne Testu, dont sont issus :

1o Pierre, seigneur de Besnes, qui, de son union avec Elie de Terrières, eût Elisabeth, femme de Paul de Damas.

2 Henriette, épouse de Jean de Montfoy, chevalier de l'ordre du roy, seigneur de Cuncy-sur-Yonne.

Guillaume de Grandrye, qui avait disparu, était un homme fort habile, très lettré, mais violent. Irréconciliable ennemi de la Régente, il est accusé de lui avoir adressé la lettre suivante, publiée par Le Laboureur « parce qu'il est important de divulguer tous les secrets véritables ou faux qui concernent notre histoire, parce que tout y sert et que tous les jours on trouve de quoy prouver ou impugner ce qui s'est dit et escrit de tous costez dans la chaleur des partis » :

<«< Madame, il y a quelque temps que M. de Beauville, revenant de devers Vos « Majestez, me pressa fort de dire le nom de ceux qui m'avoient dit, dernièrement que « j'étois à Lyon, que Votre Majesté me faisoit garder une corde pour me donner « l'Ordre à mon arrivée à la Cour, me disant que nommément vous le vouliez sçavoir. «Or puisqu'ainsi est que j'ay été averty de ce qui m'estoit propre et nécessaire de <«< sçavoir pour la conservation d'une des choses de ce monde que je tiens la plus « chère, je ne nommeray jamais celuy duquel j'ay reçu un si saint et fidèle avertisse«ment. Seulement je diray que ce sont des chrétiens catholiques qui sçavent de vos « nouvelles et de l'estat et trafique de France. Aussi, Madame, j'ay reçu une lettre « et un passeport par l'Ambassadeur des Ligues, envoyez d'Avignon par M. Brullart, « secrétaire d'Etat, que Votre Majesté me faisoit escrire pour l'aller trouver à Lyon, « pour l'envie qu'aviez de parler à moy et à m'employer à votre service. Mais ayant « auparavant entendu de cesdits catholiques des choses non moins épouvantables que « détestables à tous ceux qui font profession de la vertu, et ne pouvant entrer en mon « courage de les vous mettre par escrit, toutefois sçachant de longtemps qu'étiez « curieuse de sçavoir et apprendre les choses qui se passent en votre présence, je « vous discourray seulement les moindres et plus supportables de celles que j'ay « entendues par les susdits catholiques, qui m'épouvantèrent si extrêmement que « depuis j'en ay gardé l'un des principaux cantons du Rhosne. Et sur ce Votre Majesté « sera avertie qu'ayant fait une si heureuse rencontre desdits deux hommes et « sçavants catholiques, l'un me connaissant il y a environ 21 ans, et l'autre depuis la « journée de la trahison, car il y a environ 29 ans que j'ay esté courtisan sans courti

« sanner qu'à suivre l'art militaire; et après leur avoir fait entendre mon voyage, le « peu de contentement et la mauvaise espérance que j'en avois et les voyant qu'ils « étoient aises de me faire rebrousser chemin, nous nous mismes tous trois en une • «< chambre.

<< Lesquels commencèrent premièrement à me dire: Hé, comment vous pourriez « vous fier à la Reine Mère? Vu les tragédies qu'un chacun de nous sçait qu'elle a « jouées, voir, entre vous et nous, et ne faut point que les uns ny les autres pensions. « que ce soit pour aucune religion, car la bonne Dame n'en a nulle, toutefois elle craint « Dieu comme tous les Diables. Et au reste il faut croire certainement qu'elle est cause « de tous les malheurs qui sont advenus en notre pauvre monarchie, pour la haine « irréconciliable qu'elle porte à nostre Nation, de laquelle entièrement elle se veut. «venger à quelque prix que ce soit et toujours sous prétexte de Religion. Or nous << nous sçavons que d'autre costé elle a commis plusieurs sortes de trahisons. Premiè«rement elle fit empoisonner le feu seigneur d'Andelot, et depuis le feu cardinal de « Chastillon, son frère, et la feue Reine de Navarre. Puis elle fut cause seule du << massacre de toute la France du jour de la Saint-Barthélemy. Puis elle fit empoisonner « M. le Duc son fils, qui toutefois en fut quitte pour avoir le pourpre, puis le duc de « Longueville, aussi le duc de Bouillon dont son médecin fut pendu à Sedan, et avec « eux le duc d'Uzès, tous trois ayans esté festoyez en un banquet à Poitiers, au retour « du siège de La Rochelle; et quand on luy rapporta la mort dudit duc d'Uzès, soup«çonnée estre advenue par prise de poison, tout le service qu'elle a fait à son chevalier « d'honneur ce fut de dire: Hé! qui eut voulu empoisonner ce bonhomme-là? - Mais << auparavant toutes ces choses-là avoit fait empoisonner le prince de Porcien.

« Aussi faut-il que vous entendiez une chose, me dirent-ils, que peu de gens sçavent, << à tout le moins plusieurs l'ignorent; que du temps que le camp estoit devant La «Rochelle, le feu Roy Charles, qui estoit fort affectionné à la chasse comme chacun « sçait, un jour se courrouçant à ses veneurs et à ses chiens, vous, Madame, estant << avec luy, luy dites: Hé! mon fils, il vaudroit mieux vous courroucer contre ceux qui « font mourir tant de vos fidèles serviteurs devant La Rochelle, non pas à vos veneurs << et à vos chiens. A quoy le Roy vous répondit: Et m..., Madame, qui en est cause « que vous, par le v... vous êtes cause de tout. Et s'en allant vous laissa, dont Votre « Majesté fut fort courroucée et en gémissant vous en allastes à vostre chambre où, << en voyant quelques-unes de vos femmes les plus familières, vous pristes à dire : « J'ay toujours bien dit que j'avais affaire à un fol duquel je ne viendrois à bout. Et depuis ce temps-là vous, Madame, cherchastes tous les moyens dont vous putes << aviser de le faire empoisonner, et ainsi me le disoient ces bons catholiques; de façon que du temps que Sa Majesté devoit aller conduire le Roy de Pologne, son frère, ‹ jusques à Metz, il fut averty de la part de trois personnages qu'ils me nommèrent « que si Sa Majesté y alloit elle n'en reviendroit jamais, et qu'on luy avoit déjà préparé « le morceau italianisé. Laquelle chose il crut facilement à cause que le Roy, son « frère, differoit toujours son partement, dont Sa Majesté craignoit tant plus fort de façon qu'elle lui mandat qu'il falloit que l'un d'eux allat en Pologne, car ainsi l'avoit« il promis. Or le Roy de Pologne étant résolu de partir, vous, Madame, luy dites: « Mon fils, allez, allez hardiment et vous tenez toujours prest et me laissez faire, car

« vous n'y demeurerez guère. Et depuis Votre Majesté fist si bien qu'elle gagna le feu « sieur de la Tour luy faisant entendre ou autre pour vous, que le feu Roy, vostre fils, << estoit en volonté de le faire mourir afin que plus aisément il jouit de sa femme. Ce « que ledit de la Tour crut facilement d'autant qu'il sçavait bien que ledit feu Roy << aimoit fort sa femme, et facilement accorda de donner le poison à sadite Majesté, et «tout aussitôt après prit son chemin en Anjou afin de n'estre en rien soupçonné ; aussi « que sadite Majesté languit assez longtemps après la prise de sadite médecine.

« Et depuis vous, Madame, fistes empoisonner ledit seigneur de la Tour, tant pour « faire justice de son inhumanité que pour empescher qu'il ne put rien découvrir d'une <<< telle lascheté contre tout droit de nature, si ainsi est. Toutefois lesdits catholiques me <«<le disoient ainsi et davantage ces mots : et comment vous pouvez vous fier à celle qui « n'a épargné ses propres enfans, ny ceux qui depuis longtemps luy ont fait tant de ser<«<vices? Ayez souvenance de la tragédie qu'elle a jouée au duc de Montmorency et maré«chal de Cossé, lesquels ont fait tant de services à la Couronne de France, pensez-vous «estre plus respecté qu'eux'ny leur maison qui est des mieux alliée de France? Tenez<«< vous pour asseuré qu'elle ne demande que toute la ruine de la Monarchie, soit en général «ou en particulier, témoin ce qu'elle répondit à deux dames Duchesses qui lui dirent un « jour certainement, Madame, c'est grande pitié d'ainsi ruiner la Noblesse de France <<< et tant d'autres Peuples, comme l'on voit journellement, car vous ne pouvez faire tuer <«< quinze Huguenots qu'il ne meure dix Papistes, et sont toujours vingt-cinq Français. « Dont Votre Majesté répondit: Ha! ma cousine, ne vous souciez point de cela, car il y « a assez de gens en Espagne et en Italie pour peupler la France en cas qu'il n'y eust <«< personne, car c'est aussi une méchante race que les Français. Or mettez là votre <«< argent, je vous en prie, me disoient ces bons catholiques, aussi ne sçavez-vous pas « bien que quelque temps auparavant que le feu Roy Charles mourut, qu'elle envoya quinze cent mille escus à Don Jean d'Autriche pour faire approcher son armée de « mer en Provence afin que si le Roy Henry ne pouvoit revenir de Pologne, que ledit «Don Jean demeurast Viceroy en France, promettant, si sadite Majesté venoit à « mourir, faire tomber la monarchie entre les mains du Roy d'Espagne voulant par ce « moyen frustrer M. le Duc, son fils, et montrant sa très bonne et aimable nature. Au « reste, me dirent-ils, qui est celuy d'entre vous et nous qui ne croye que si cette bonne « Dame eut sceu tant faire par ses menées que d'attraper le Prince de Condé et le maréchal de Damville, qu'elle n'eut failly à les faire mourir, et M. le Duc et le Roy « de Navarre et tous les Princes du sang, de quelque religion qu'ils eussent esté, avec <tous ceux de la maison de Montmorency, jusques à tous leurs parens et alliez? car « elle avoit délibéré de ruiner entièrement tous ceux qu'elle craignoit estre vrayment « affectionnez à la couronne de France, qui de vrai ne sont que Bastards de se laisser ainsi mener par le nez comme Buffles contre tout ordre Divin et Humain. Or, « Madame, entendant ces paroles, voire beaucoup plus énormes sans comparaison, je « ne sçavois que répondre, sinon que je ne le croyois pas. Mais encore, commencèrent «ils à me dire, n'avez-vous pas entendu la récompense que cette preude femme fit faire à un pauvre malheureux, par lequel avec le moyen de feu l'Aubespine, elle fit « tuer le feu sieur de Chavigny, bastard du feu Roy de Navarre, et après avoir fait le « coup et l'avoir remercié, luy dit qu'il fit ce que luy diroit ledit de l'Aubespine, lequel

« lui donna un mandement adressant à un des lieutenants du Prevost de l'Hostel pour << recevoir deux mille escus pour se mettre en équipage en attendant un gouvernement « sur la frontière pour la seureté de sa personne : comme pensant desjà estre au tiers < Ciel pour n'avoir jamais eu deux mille sols ensemble, et s'estant adressé audit lieute<< nant, lequel avoit eu le mot du guet auparavant, le fit estrangler en sa garderobe et, « le soir venu, le fit jetter dans un sac en l'eau. Voilà la récompense qu'elle fait à ses << serviteurs. Aussi, Madame, ils me dirent que vous envoyastes quérir, il y a environ « quinze ou seize mois, un magicien fort renommé jusques en Italie, duquel après « avoir entendu plusieurs choses qui ne vous plurent guère, luy baillastes congé et luy fistes présent de deux mille escus et d'une belle haquenée de votre escurie afin « qu'il s'en allast plus à son aise, et luy baillastes un guide à deux chevaux qui avoit « charge de Votre Majesté de le mener passer par le bois de Monceaux pour lui « montrer vostre maison, et que là il le dépeschat tout outre et qu'il rapportast les « deux mille escus et qu'il ramenast ladite haquenée et qu'il auroit cinq cens escus « pour sa peine, ce que le galant fit volontiers, d'autant qu'il estoit coutumier d'exécuter « pour vous telles entreprises, et quatre ou cinq jours après que le bruit vint à la Cour « que le Philosophe dont est question avoit esté tué et volé par les brigands, vous, « Madame, vous pristes à rire, disant par ma foy c'estoit un grand fol, car il a prédit « ce qui devoit avenir aux autres et n'a sçu connoistre ce qui devoit avenir à luy

<< mesme.

<< Et aussi me dirent que Votre Majesté avoit marchandé avec un nommé le sieur « Camille et le sieur de Chars et plusieurs autres pour faire empoisonner ou tuer le « Prince de Condé et aussi, que d'autre costé vous aviez employé plusieurs personnes « de toutes qualitez pour faire empoisonner ou tuer le sieur maréchal de Damville. « Aussi, Madame, me dirent ces bons catholiques, que vous avez souffert prescher « l'athéïsme en plusieurs endroits de la Cour et que lorsque l'aveugle qui estoit « prestre, sorcier, fut brulé à Paris, il confessa devant les principaux du Parlement « qui l'interrogèrent, que vous, Madame, estiez la première enrôlée de toute sa Légion, « de laquelle il étoit le colonel général en l'absence de Sathan. Aussi me dirent-ils << tant d'autres choses si exécrables que je perds tout coeur et courage d'entrer jamais << en la France, jusques à ce qu'il plaira à Dieu de me faire si heureux de me voir une « fois en ma vie l'un des capitaines de vos gardes, et lors vous pourrez asseurer, « Madame, que si jamais Princesse fust bien gardée, et fut-ce la Reine d'Ecosse, « Votre Majesté le sera, car j'ay toujours esté, suis et seray très fidèle, avec la grâce « de mon Dieu, à tous ceux et celles à qui je le promets. De Lausanne le troisième « mois de la quatrième année après la trahison.

« GRANCHAMP. »

Cette lettre un peu longue, mais fort intéressante, prouve que Guillaume de Grandrye était en Suisse à la fin de 1576. Son ambassade, ses intrigues, la construction du château de la Montagne l'avaient plongé dans des dettes énormes. Le 27 mars 1580 il vendit la terre et seigneurie de la Montagne à Etienne Reste, bourgeois de Lyon Pierre de Grandrye, ayant appris cette vente, fit commandement à son frère d'avoir à lui payer ce qu'il lui devait, puis fit saisir la terre de la Montagne, le 22 septembre 1582. Il en résulta une immense procédure qui ne prit fin qu'en 1596, époque à laquelle

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