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toutes les époques. C'est pour les temples que les plus grands artistes du monde ont travaillé. C'est pour honorer les dieux que les rois, les peuples ont dépensé les sommes les plus invraisemblables. C'est la foi de chaque race qui lui a fait trouver la formule impeccable qui représente sa pensée intime, sa conception la plus transcendante. Et si la lassitude m'était venue de réunir indéfiniment des idoles, des symboles, des ustensiles du culte, l'ardeur esthétique m'aurait poussé à continuer de rassembler de superbes œuvres d'art.

Par le désir d'être utile, par l'attrait des idées philosophiques, par l'élan d'enthousiasme que produit la beauté, j'arrivais à comprendre que mes collections me dévoilaient l'idéal du philosophe grec le bien, le vrai et le beau; et je m'y attachais plus que jamais.

Quand on veut vraiment apprécier les civilisations anciennes ou exotiques qui faisaient l'objet de mes préoccupations, on doit faire abstraction de ses propres croyances, se dépouiller des idées toutes faites données par l'éducation, par l'entourage. Pour bien saisir la doctrine de Confucius, il est bon de se donner un esprit de lettré chinois; pour comprendre le Bouddha, il faut se faire une âme bouddhique. Mais comment y arriver par le seul contact des livres ou des collections? C'est insuffisant, même en tenant compte de l'époque, du climat, des mœurs, des races. Il est indispensable de voyager, de toucher le croyant, de lui parler, de le voir agir. Aussi, je me décidai à faire le tour du monde, à visiter le Japon, la Chine, l'Inde, comme j'avais fait de l'Egypte et de la Grèce.

Des amis qui revenaient de l'Orient me dirent : « Si vous voulez aller à Pékin, munissez-vous d'un passeport diplomatique. Il n'y a là aucun hôtel et, pour loger au Consulat ou à l'Ambassade, il est nécessaire d'avoir une fonction officielle.

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Un passeport diplomatique, mais à quel titre?

Vous allez là-bas pour étudier les religions de l'Extrême-Orient, demandez au Ministre de l'Instruction publique de vous ordonner d'étudier les religions de l'Extrême-Orient et de vous octroyer pour cela les facilités nécessaires. »

Un peu stupéfait d'avoir à faire intervenir le Gouvernement dans mes faits et gestes, j'envoyai la demande et, très aimable, presque courrier par courrier, le Ministre me chargeait d'une mission scientifique en Orient et joignait à sa lettre le passeport espéré. Je mis le tout dans ma valise avec l'intention bien arrêtée de ne m'en servir qu'en cas d'urgence.

Mais, arrivé au Japon, je vis que « ça se savait ». Le Ministre de l'Instruction publique du Mikado, M. Riouitchi Kuki, que j'avais connu à Paris, me déclara qu'il s'intéressait vivement à ma mission et il me mit en mesure, il me mit en demeure de la remplir sérieusement. Je sentais que mon rôle grandissait, se haussait, qu'il fallait renoncer à suivre ma fantaisie et que je devais à la situation qui m'était faite, que je devais à la science, de mettre de la méthode et de la conscience dans les études que j'étais venu faire sur place.

Les résultats furent considérables et, en quittant la France, je ne m'attendais certes pas à rapporter de mon voyage une si belle moisson.

Pour en donner une idée, je renvoie au rapport qu'à mon retour j'adressai au Ministre.

Une chose que ne dit pas le rapport, c'est que, chemin faisant, je me suis attardé à causer avec les lettrés, les artistes, les amateurs et surtout les céramistes de la Chine et du Japon. Je ne pouvais me désintéresser de cette magnifique industrie de la porcelaine qui fait, depuis des siècles, la gloire de l'Extrême-Orient; et, parallèlement à mes col

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M. LE PRÉSIDENT LOUBET ARRIVANT AU MUSÉE A L'OCCASION DU JUBILÉ.

lections religieuses, je rassemblais des séries de poteries, profitant de mes conversations avec les fabricants pour me renseigner sur les procédés qu'ils emploient de père en fils, éclairant ces explications de mes connaissances d'industriel. Je revenais en France au moment où l'on préparait l'Exposition universelle de 1878 et, tout en faisant construire à Lyon le bâtiment qui devait être le Musée, j'eus l'idée de faire profiter les Parisiens et les étrangers d'une partie des documents que j'avais rapportés. Une travée des galeries historiques du Trocadéro fut mise à ma disposition. J'y montrais tous les tableaux de Régamey et le contenu des premières caisses ouvertes.

En cherchant à présenter convenablement ces objets, j'eus une sorte de révélation qui me charma; c'est qu'une exposition doit avoir la clarté, l'unité, l'intensité d'une œuvre d'art; qu'il faut en faire harmonieuses les grandes lignes, y former des points saillants, lumineux, qui arrêtent, et y ajouter des parties sombres et calmes dont le mystère attire. Une certaine mise en scène est l'éloquence des choses, surtout quand ces choses doivent instruire. Et, dans les détails, j'éprouvais la jouissance d'ordonner une vitrine, de profiter du classement méthodique pour juxtaposer des pièces qui se font ressortir par la différence des formes, par la variété des couleurs, ou encore de disposer des masses monochromes qui aident à l'éclat d'un document qu'on veut souligner.

Depuis cette époque, j'ai eu bien souvent l'occasion d'organiser des galeries, de composer des vitrines, et toujours j'éprouve cette surexcitation émue qu'on ressent en peignant un tableau ou en écrivant une partition.

Le Congrès des Orientalistes de Saint-Etienne, celui de Florence, celui de Lyon que j'organisai, créèrent autour de moi un mouvement scientifique dont profitèrent mes recherches.

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