indices qu'ils me fournirent, il existait une terre qui s'étendait du midi au nord-ouest; que les habitants de la contrée située dans cette dernière direction venaient souvent les combattre; qu'eux-mêmes allaient au sud-ouest chercher de l'or et des pierres précieuses. « Cette île est très-grande et plane, revêtue d'arbres très-frais. Il y a beaucoup d'eau, un lac très-vaste au milieu, aucune montagne. Elle est si verdoyante que c'est un plaisir de la regarder, et les habitants en sont très-dociles; mais, avides des objets que nous avons, et persuadés qu'ils ne peuvent rien recevoir de nous s'ils n'ont quelque chose à donner en échange, ils dérobent s'ils en trouvent l'occasion, et ils se jettent à la nage. Mais tout ce qu'ils ont, ils le donnent pour la moindre chose qu'on leur offre. Ils prenaient en échange jusqu'à des tessons d'écuelles et des morceaux de verre cassé ; tellement que j'ai vu donner seize pelotons de coton pour trois centi de Portugal, valant environ une bianca de Castille; et ces seize pelotons pouvaient former à peu près vingt-cinq à trente livres de coton filé. Je défendis les trocs pour le coton, et je ne permis à personne d'en prendre (1), me réservant d'acquérir tout pour vos altesses, s'il y en avait en quantité suffisante. C'est un des produits de l'île; mais le peu de temps que je veux y demeurer ne me permet pas de les connaître tous. L'or qu'ils portent suspendu à leurs narines se trouve là aussi; mais je n'en fais pas chercher pour ne pas perdre mon temps, voulant essayer d'aborder à l'île de Cipango. » Les naturels appelaient leur pays Guanahani, et Colomb le nomma San Salvador; c'est une des Lucayes, et elle est entourée d'une multitude d'autres, que Colomb croyait être les 7,488 îles indiquées par Marco-Polo. Il navigua au milieu d'elles, continuellement frappé de nouvelles merveilles, et cherchant toujours Cipango, d'où il devait arriver en dix jours à Quinsai. Son intention était d'y présenter au grand khan les lettres de ses souverains, et de revenir ensuite avec la réponse, triomphant d'avoir touché l'Inde par la direction opposée. Il crut avoir trouvé Cipango dans Cuba, île parée également d'une puissante et magnifique végétation, de fleurs, de fruits et d'oiseaux (1) Le soin pris par Colomb d'empêcher ces échanges, parce qu'ils lui paraissent déshonnêtes et usuraires, est une révélation singulière de ses idées morales: comme si ce n'était pas l'opinion qui donnait du prix à l'or, de même qu'aux verroteries! 1493. dont les couleurs rivalisaient d'éclat. Enchanté de la beauté de cette terre, il s'écriait, avec le pasteur de Virgile: On pourrait y consu mer sa vie. Au spectacle ravissant du jour succédait celui des nuits, si magnifiques sous les tropiques, où la clarté des étoiles scintille vive et pure sur des bosquets parfumés, dans un ciel toujours serein. Partout Colomb voyait l'Inde, le pays des épices et de l'or; et il s'efforçait de faire correspondre les noms que lui indiquaient les sauvages avec les noms mentionnés par les voyageurs. Mais les cités et les cours qu'il s'était promises ne paraissaient pas; au lieu d'une civilisation bizarre et opulente, s'offrait à lui l'aspect d'une naïveté primitive, exempte de besoins et de caprices. Entre autres terres il découvrit Haïti, l'une des îles les plus belles du monde, destinée à être l'une des plus malheureuses. Colomb fut accueilli avec joie par les habitants, bons et hospitaliers; ils l'aidèrent à construire une forteresse qu'il appela l'Espagnole (Hispaniola), premier anneau de cette chaîne qui devait attacher si rudement l'Amérique à l'Espagne. Cependant l'un des bâtiments de l'expédition s'était brisé, Pinçon avait déserté avec le sien, et l'on n'en avait point de nouvelles : Colomb laissa donc dans l'île quelques-uns des siens, séduits par cette existence si douce, par des plaisirs faciles, et se rembarqua, emmenant avec lui un petit nombre de naturels. Lorsqu'il eut rencontré Pinçon, il s'achemina pour le retour. Il eut d'abord le vent contraire et changeant; puis une tempête terrible menaça pendant quinze jours entiers d'engloutir sa découverte, sans qu'il pût opposer à sa fureur autre chose que des vœux. Quelle épreuve pour Colomb lorsqu'il venait d'atteindre le but de toute sa vie, au moment de donner à l'Europe un nouveau monde, d'apporter à ses rivaux le démenti le plus éclatant, à ses protecteurs la justification du succès! quelle épreuve de se voir sur le point de succomber, en ne laissant après lui que la réputation d'une mort téméraire à la poursuite de chimères ! Afin du moins qu'il restât quelque souvenir de sa grande découverte, il en mit les détails par écrit et les enferma dans plusieurs barriques qu'il jeta à la mer, dans l'espoir que les flots, qui menaçaient de lui être si funestes, pourraient les pousser sur quelques bords civilisés. Il aborda enfin aux Açores; mais il y reçut le plus détestable accueil des Portugais, qui emprisonnèrent la moitié de l'équipage: leur roi avait ordonné d'arrêter Colomb partout où on le trouve rait, comme coupable de lui enlever une découverte qu'il avait repoussée, ou de vouloir le troubler dans les possessions dont le pape lui avait fait concession. Mais quand il arriva à Lisbonne, éclipsant par les merveilles présentes celles auxquelles on était habitué depuis un demi-siècle, le roi, se laissant vaincre par l'admiration, dissimula son dépit, et le reçut avec de grands honneurs. Enfin Colomb rentra à Palos, où la population fit éclater des transports de joie; les cloches sonnèrent en volée, les boutiques furent fermées; et c'était à qui accourrait embrasser ces compatriotes qu'on avait crus perdus, et vénérer, dans celui qui venait de découvrir un nouveau monde, l'homme que sept mois auparavant on tournait en risée comme un songe-creux. Le même jour, arriva Pinçon, qui, croyant le prévenir ou espérant qu'il avait péri, se donnait pour l'auteur de la découverte. Mais, trompé dans son attente, le triomphe de Colomb fut pour lui le sujet d'un tel dépit, qu'il en mourut peu de jours après. Colomb fut admis, à Barcelone, à l'honneur de se présenter devant les rois, qui le firent asseoir devant eux, comme s'il eût été non un grand homme, mais un grand d'Espagne. Ils voulurent entendre de sa bouche les détails de cette expédition merveilleuse, et il sembla, dit Las-Casas, qu'ils goûtassent en cet instant les délices du paradis. Non moins pieux dans sa prospérité qu'il ne l'avait été dans l'humiliation, Colomb alla accomplir les vœux qu'il avait faits dans les divers sanctuaires; et il en fit un nouveau, promettant d'employer les richesses qu'il acquerrait en sept ans à équiper quatre mille chevaux et einq mille fantassins, et autant dans les cinq années suivantes, pour la délivrance du saint sépulcre. Cependant le pape Martin V avait concédé au roi de Portugal tous les pays à découvrir, du cap Bojador et du cap Non jusqu'aux Indes. L'Espagne portait donc atteinte, en s'appropriant les découvertes de Colomb, aux droits de possession du Portugal; et le roi Jean expédia une escadre pour les occuper. Ferdinand s'interposa, en promettant réparation. En même temps on recourut à Rome, d'où vinrent les bulles d'Alexandre VI, qui assignaient à l'Espagne les îles et la terre ferme, tant découvertes qu'à découvrir, sur l'Océan occidental, de même que ses prédécesseurs avaient fait don aux Portugais de celles d'Afrique et d'Éthiopie. Puis dans une autre bulle, du 4 mai 1493, le pape traça une ligne du pôle arctique 1493. 5 mars. 1493. au pôle antarctique, à cent lieues des Açores et du cap Vert, et attribua à l'Espagne les pays situés au delà de cette ligne (1). (1) Et uti tanti negotii provinciam apostolicæ gratiæ largitate donati, liberius et audacius assumatis (la propagation et l'exaltation de la foi parmi les barbares), motu proprio, non ad vestram vel alterius pro vobis super hoc nobis oblatæ petitionis instantiam, sed de nostra mera liberalitate et certa scientia, ac de apostolicæ potestatis plenitudine, omnes insulas et terras firmas, inventas et inveniendas, detectas et detegendas, versus occidentem et meridiem fabricando et construendo unam lineam a polo arctico, scilicet septentrione, ad polum antarcticum, scilicet meridiem, sive terræ firmæ et insulæ inventæ et inveniendæ sint versus Indiam aut versus aliam quamcumque partem, quæ linea distet a qualibet insularum quæ vulgariter nuncupantur de los Açores y Cabo-Vierde centum leucis versus occidentem et meridiem, per alium regem aut principem christianum non fuerint actualiter possessæ usque ad diem Nativitatis Domini nostri Jesu Christi proxime præteritum, a quo incipit annus præsens millesimus quadringentesimus nonagesimus tertius, quando fuerunt per nuncios et capitaneos vestros inventæ aliquæ prædictarum insularum, auctoritate omnipotentis Dei nobis in beato Petro concessa, ac vicariatus Jesu Christi quo fungimur in terris, cum omnibus illarum dominiis, civitatibus, castris, locis et villis, juribusque et jurisdictionibus et pertinentis universis vobis heredibusque et successoribus vestris Castellæ et Leonis regibus in perpetuum tenore præsentium donamus, concedimus et assignamus, vosque et heredes ac successores, præfatos illarum dominos cum plena, libera et omnimoda potestate, auctoritate et jurisdictione facimus, constituimus et deputamus, decernentes nihilominus per hujusmodi donationem et assignationem nostram nullo christiano principi qui actualiter præfatas insulas aut terras firmas possiderit usque ad prædictum diem Nativitatis Domini Jesu Christi quæsitum sublatum intelligi posse aut auferri debere. Et insuper mandamus vobis, in virtute sanctæ obedientiæ, ut (sicut pollicemini et non dubitamus pro vestra maxima devotione et regia magnanimitate vos esse facturos) ad terras firmas et insulas prædictas viros probos et Deum timentes, doctos, peritos et expertos ad instruendum incolas et habitatores præfatos in fide catholica, et in bonis moribus imbuendos, destinare debeatis, omnem debitam diligentiam adhibentes. Ac quibuscumque personis, cujuscumque dignitatis, etsi imperialis et regalis, status, gradus, ordinis vel conditionis, sub excommunicationis latæ sententiæ pœna, quam eo ipso si contrafecerint incurrunt, districtius inhibemus ne ad insulas et terras firmas inventas et inveniendas, detectas et detegendas versus occidentem et meridiem fabricando et construendo lineam a polo arctico ad polum antarcticum, sive terræ firmæ et insulæ inventæ et inveniendæ, sint versus Indiam aut versus aliam quamcumque partem, quæ linea distet a qualibet insularum quæ vulgariter nuncupantur de los Açores y Cabo Vierde centum leucis versus occidentem et meridiem, ut præfertur, pro mercibus habendis vel quavis alia de causa accedere præsumant absque heredum C'est un spectacle imposant que de voir le pape, au moment où l'autorité pontificale allait s'écrouler, se lever encore, dans toute la grandeur du moyen âge, pour tracer du bout de son doigt les confins de deux grandes puissances, et leur dire Vous viendrez jusqu'ici; comme si c'était encore le temps où les rois s'en remettaient à lui de leurs différends, au lieu de courir aux armes. Et Luther était déjà né! On songeait cependant à pousser en avant les conquêtes commencées. Les taxes sur les Juifs et les Maures, ainsi que les arsenaux enlevés à ces derniers, fournissaient aux dépenses de la nouvelle expédition. Colomb mit à la voile plein de gloire et de confiance, emportant des vivres, des ustensiles d'arts et métiers, des semences, des racines ou rejetons, des chevaux et autres animaux domestiques. Une foule de gens demandèrent à prendre part à cette autre croisade, dont l'Inde était la terre promise; ceux-ci par cupidité, ceux-là par amour de la nouveauté ou de la gloire, pour exercer dans ces contrées une activité qui ne trouvait plus d'aliment dans leur patrie depuis la prise de Grenade. Mille d'entre eux furent choisis; mais beaucoup de volontaires partirent à leurs frais, ce qui porta le nombre total à quinze cents; et ils se mirent en marche en grande pompe, enviés, remplis de joie et d'espérance. On prit aux Canaries des semences d'oranger, de citronnier, de bergamote et d'autres fruits; des veaux, des chèvres, des moutons, des porcs, animaux qui par la suite se propagèrent immensément sur les terres nouvelles. Heureuses l'Amérique et l'Europe si elles n'eussent fait entre elles d'autres échanges que ceux-là, et si les idées absurdes de la science économique à cette époque, ou plutôt l'avidité insensée des souverains, n'eût pas fait considérer l'or comme l'unique richesse! L'escadre espagnole arriva à la Guadeloupe et au milieu de l'archipel des Antilles. La colonie laissée à Hispaniola, pour recueillir des renseignements et un baril d'or destiné à délivrer la terre sainte, ayant mécontenté les naturels, par son insolence brutale et ses débauches, les Caraïbes étaient venus l'assaillir, et l'avaient exteret successorum vestrorum prædictorum licentia speciali: non obstantibus constitutionibus ac ordinationibus apostolicis cæterisque contrariis quibuscumque in illo a quo imperia et dominationes, ac bona cuncta procedunt confidentes, quod, dirigente Domino actus vestros, si hujusmodi sanctum ac laudabile propositum prosequamini, brevi tempore cum felicitate et gloria totius populi christiani vestri labores et conatus exitum felicissimum consequentur. |