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CHAPITRE XXVIII.

Cruautés exercées par les Turcs contre les chrétiens en présence de Bajazet.

Les Turcs, chargés des dépouilles de tous ces prisonniers et traînant à leur suite chevaux, esclaves, bagages, tentes, en un mot toute sorte de butin, retournèrent triomphants auprès de Bajazet, qui, les yeux levés au ciel, rendit grâce à Dieu d'un succès si éclatant. Un conseil militaire s'assembla pour délibérer sur le sort des prisonniers. Quelques uns proposèrent de les réduire en esclavage ou de leur faire payer une rançon. Mais Bajazet s'y refusa : « Il n'est pas juste, dit-il, de garder la foi du serment envers ces infracteurs des lois et des traités, «< qui ont foulé aux pieds leur propre loi, et qui, au mépris des con«<ventions faites avec les nôtres après la prise de Rachova, ont égorgé << sans pitié des malheureux auxquels ils avaient promis la vie sauve. « Je pense que pour tirer une juste vengeance de tant de crimes, il <«< faut passer tous nos prisonniers au fil de l'épée. » Il n'excepta de cet arrêt général que le comte de Nevers, en considération de sa haute naissance; mais ce fut pour mieux humilier le comte et pour insulter publiquement la foi chrétienne. Dès le lendemain, Bajazet le fit placer sur une éminence dans le plus piteux équipage, et se tenant en face de lui, il enjoignit sous peine de mort à tous les prisonniers, par la voix du héraut, de passer l'un après l'autre, comme des condamnés, dans l'espace qui se trouvait entre lui et le comte.

Ainsi, nos illustres chevaliers furent donnés en spectacle aux nations et exposés aux insultes de leurs ennemis. Malgré l'éclat de leur nais

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toris, tam mentis adamantine, cujus interiora non liquefierent, si vidissent insignes christicolas more pecudum trahi ad victimam et ultimum vale sese dicere in Christo. Doloris anxietatem augmentabat perstrepencium lictorum numerositas, quibus membra cum cervicibus offerebant libere trucidenda. Nec vox alia in ore singulorum resonabat, nisi miserere mei, Christe, dum spiritum ultimum exalarent. Sic devote occumbere mere gracie Dei ascribimus, qui permittit filios flagellari, quos recipiendos dignos duxit. Unde sperandum nobis est, quod quicquid, humana fragilitate aut propria iniquitate sugerentibus, in ipsum commiserant, sanguine proprio expiarunt, sic in confessione fidei obeuntes.

Sic suppliciis variis tribus milibus maceratis, horror denique fuit cesorum intueri multitudinem, et humanorum artuum passim fragmenta conspicere, effusique cruoris aspergine terre sic superficiem irrigari, ut sanguine occisorum locus pollueretur universus. Tortores, a planta pedis usque ad verticem cruore ipso madentes, horrorem Basite crudelissimo tyranno et sibi assessoribus inferebant, quorum monitis acquiescens : « Sat, inquit, vindicatum est in parte; cessent gladii percussorum, <<< et humanitatis officium nostris ab istis christianis supersti<«< ciosis interfectis impendamus. » Turcorum siquidem triginta milia occisa huc illucque recollecta in fossis profundissimis ibi preparatis sepeliri mandavit, precipiens ut terra superponeretur, et, ad ignominiam christianorum, ut cadavera eorum feris et avibus exponerentur inhumata.

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Unum tamen ad propositum reticendum non credimus, quod mirabile vocantes quidam miraculum reputarent, et ad exaltacionem confessionis vere fidei Deum christicolarum martirium

sance, ils furent, ô doux Jésus, livrés aux outrages des Sarrasins, en punition de nos péchés. Comment retenir nos larmes en présence d'un pareil malheur? Quel coeur serait assez dur, quelle âme assez cruelle, pour ne point s'attendrir en voyant ces nobles et vaillants hommes, qu'on traînait au supplice comme des victimes, s'adresser un dernier adieu en Jésus-Christ? Ce qui contribua encore à augmenter la douleur, ce fut la constance avec laquelle ils présentèrent leurs têtes aux glaives des bourreaux qui les environnaient. En rendant le dernier soupir, ils ne faisaient entendre que ces mots: Seigneur, ayez pitié de moi. Cette sainte mort fut sans doute un effet de la grâce de Dieu, qui laisse souvent châtier ses enfants afin de les admettre ensuite dans son sein. Aussi espérons-nous qu'en mourant ainsi dans la confession de leur foi, ils ont expié par leur sang tous les péchés que la fragilité humaine ou que leurs mauvaises passions leur avaient fait commettre envers Dieu.

Trois mille périrent ainsi par divers supplices'. C'était un hideux spectacle de voir ces monceaux de cadavres, ces membres épars, et tous ces flots de sang qui inondaient la terre. Les bourreaux, souillés de sang depuis les pieds jusqu'à la tête, faisaient horreur à Bajazet lui-même, ce cruel tyran, et aux gens de sa suite, dont les remontrances mirent fin au massacre. « Nous nous sommes assez vengés, dit « Bajazet; que les bourreaux cessent de frapper, et rendons les der<< niers devoirs à ceux de nos soldats qui ont péri sous les coups de ces

fanatiques chrétiens. » Plus de trente mille Turcs furent trouvés sur le champ de bataille. Bajazet fit creuser des fosses profondes pour y déposer leurs corps, et ordonna qu'on les couvrît de terre. Quant aux chrétiens, il voulut, par un sentiment de mépris, que leurs cadavres restassent exposés sans sépulture aux bêtes féroces et aux oiseaux de proie.

Je ne crois pas devoir passer sous silence un fait assez étonnant, qui fut regardé comme un miracle par quelques personnes, et qui leur

Froissart dit trois cents.

dicerent approbasse, et quod jam sancta requie fruantur. Nam eorum corpora nitida et a qualicunque nigredine vel putredine per tredecim menses preservata a feris et canibus intacta remanserunt. Que tamen animalia Turcorum proximas sepulturas, velut speciale receptaculum, frequentabant, et eorum cadavera continue devorabant. Memini me pluribus inquisisse quidnam super tam evidentissimo signo sentiret Turcorum infidelitas obstinata. Sed quidam miles actibus et genere clarus, dictus Galterus de Ruppibus, qui per illud spacium Basite servierat, et cum suo salvo conductu rediens, corpora christianorum visitare disposuerat, michi taliter satisfecit : «Per fidelitatem <«< Deo et duci Burgundie promissam assero verum esse quod << a Basita rediens, rector urbis Nychopolis me ultra urbem << curavit dapsiliter, peractoque prandio, ad ignominiam chris«< tianitatis, ad infaustum locum quo fratrum corpora inhumata jacebant me perducens, cum quereret quid inde michi vide<< retur, et ego donum hoc gracie Dei reputarem: Mentiris, inquit, sed quia christiani tot impietatibus pleni, eorum vesci <«< carnibus bruta eciam non dignantur.

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CAPITULUM XXIX.

Ubique divulgatur ut christiani a Turcis occisi- fuerant.

Nichil tunc ex Francigenarum ore cum leticia procedebat, nisi quod spem certam habeamus de pace perhenni futura inter regna Francie et Anglie, cum rumor merore plenus et anxietate universorum corda inopinate replevit. Nam supervenerunt quidam fide digni, qui christicolas victos a Turcis in Hungaria

fit dire que Dieu, pour l'exaltation de la vraie foi, avait sanctionné le martyre des chrétiens et accordé à leurs âmes le repos éternel. Leurs corps conservèrent pendant treize mois toute leur fraîcheur, sans se corrompre ni s'altérer, et sans que les bêtes féroces ni les chiens osassent y toucher. Ces animaux, au contraire, venaient sans cesse visiter les fosses voisines, comme si c'eût été leur repaire, et y dévoraient les cadavres des Turcs. Je me souviens d'avoir demandé à plusieurs personnes ce que pensèrent les infidèles d'un miracle si évident. Un chevalier également recommandable par ses exploits et par sa naissance, messire Gauthier des Roches, qui pendant tout ce temps était resté comme esclave auprès de Bajazet, et qui, ayant obtenu de revenir en France avec un sauf-conduit, avait voulu visiter en passant les corps des chrétiens, me répondit à ce propos : « Voici ce que je puis << vous affirmer sur la foi que je dois à Dieu et au duc de Bourgogne. Lors«< que j'eus quitté Bajazet pour retourner dans ma patrie, le gouverneur « de Nicopolis, m'ayant donné hors de la ville un repas somptueux, me <«< conduisit après le dîner, pour insulter les chrétiens, à ce funeste «< champ de bataille où les corps de nos frères gisaient de nos frères gisaient sans sépulture, <«<et me demanda ce que je pensais d'un pareil spectacle. Je témoignai <«< que j'y voyais un effet de la grâce de Dieu Tu mens, me répli

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:

<«< qua-t-il; les chrétiens étaient souillés de tant d'impuretés, que les << brutes mêmes dédaignent de se repaître de leur chair. »

CHAPITRE XXIX.

La nouvelle du massacre des chrétiens se répand de tous côtés.

Tandis que les Français se flattaient de l'espoir de voir conclure une paix définitive entre les royaumes de France et d'Angleterre, une affreuse nouvelle vint tout à coup jeter l'affliction dans tous les coeurs. Des personnes dignes de foi, qui arrivèrent en France, annoncèrent que les chrétiens avaient été défaits en Hongrie par les Turcs, et les chants

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