nomma Marie. Afin de mieux constater le miracle, on appela une nourrice, et l'enfant prit le sein à plusieurs reprises. Mais après avoir visiblement recouvré l'usage de tous ses membres pendant trois heures, elle expira, et alla partager dans les cieux la gloire éternelle de la bienheureuse Vierge Marie. Les religieux de l'abbaye laissèrent son corps exposé pendant toute la journée à la foule des curieux, et l'enterrèrent le lendemain en grande cérémonie près de l'autel. per CHAPITRE V. Maladie du roi. L'histoire fait foi que des maux de toute sorte viennent souvent frap les grands de la terre comme pour rappeler aux mortels leur faiblesse et leur fragilité. Mais au dire des gens de savoir et d'expérience, on ne pourrait trouver d'exemple d'une maladie aussi étrange et aussi surprenante que celle dont le roi fut atteint à Abbeville. Il était dans toute la force et dans toute la vigueur de la jeunesse, et les médecins assuraient que l'état de sa santé était très satisfaisant, lorsque tout à coup, vers le milieu de juin, il commença à donner, comme auparavant, des signes de démence, et à se livrer à des extravagances tout-à-fait indignes de la majesté royale. On disait généralement que c'était l'effet des sortiléges de quelques gens malintentionnés. Mais je ne puis garantir la vérité de cette assertion. Je sais seulement qu'un tel bruit était fondé sur l'affaiblissement des facultés du roi. Il n'avait point d'abord cessé de reconnaître ses amis, ses familiers, les seigneurs de la cour et tous les gens de sa maison; il se souvenait même d'eux en leur absence, et les nommait par leurs noms. Mais à la longue, son esprit se couvrit de ténèbres si épaisses, qu'il oublia complétement jusqu'aux choses que la nature aurait dû lui rappeler. Ainsi, par une bizarrerie étrange et inexplicable, il prétendait n'être pas marié et n'avoir jamais eu d'enfants; il oubliait même sa propre personne et son titre de roi de France, soutenait qu'il ne s'appelait point Charles et désa lilia asserebat; et quociens arma sua vel regine exharata vasis aureis vel alicubi videbat, ea indignantissime delebat. Quantis ob hoc venerabilis regina atterebatur doloribus scribere non valerem, ea potissimum racione. Nam quociens fatigata suspiriis ac gemitibus eum visitabat, capta pudici amoris dulcedine, verbis eam abiciebat dulciter suis dicens : «< Que <«<est ista que me tedet eam videre? Ideo vobis jubeo, si aliquo indigeat, quod possitis, vexacionem et importunitatem ejus sub« levetis, nec nos amplius sequatur. » Super omnes mulieres dominam ducissam Aurelianensem aspicere cupiebat, ipsamque vocans sororem dilectissimam, diebus singulis visitabat. Quod multi in partem interpretabantur pejorem, non tamen dicam probabilem; sed quod eis videbatur verissimile, allegantes quod in Lombardia, unde ducebat originem, intoxicaciones et sortilegia vigebant plus quam aliis partibus. Tanto tamque scandaloso infortunio usque ad mensem januarii illaqueatus extitit, nec subsidio medicorum remedium potuit adhiberi, ymo nec radix infirmitatis cognosci, quamvis super hoc multas collaciones celebrassesse CAPITULUM VI. De quodam sortilego evocato ad sanandum regem. Regis egritudinem indecentem, gravem molestiam, decuriones impacientissime perferentes, non curabant licitis an illicitis ejus incolumitatem procurarent. Unde quemdam prestigiatorem et maleficum, nomine Arnaudum Guillelmi, de Guienne accersierunt partibus, qui eum solo sermone se curaturum proximo jactitabat. Is quamvis deformis vultu, indecentis stature, ac loquela durusque reputaretur et agrestis, tamen honorabatur a multis, ut adimpleret promissa. Qui semper simplici habitu vouait les fleurs de lis. Lorsqu'il apercevait ses armes ou celles de la reine gravées sur sa vaisselle d'or ou ailleurs, il les effaçait avec fureur. Je ne saurais dire combien était profonde la douleur que l'auguste reine Isabelle éprouvait de l'état du roi. Ce qui l'affligeait surtout, c'était de voir que toutes les fois que, fatiguée de pleurer et de gémir, elle l'approchait pour lui prodiguer les marques de son chaste amour, le roi la repoussait en disant avec douceur à ses gens : « Quelle est cette « femme dont la vue m'obsède? Sachez si elle a besoin de quelque « chose, et délivrez-moi comme vous pourrez de ses persécutions et de « ses importunités, afin qu'elle ne s'attache pas ainsi à mes pas. » De toutes les femmes, madame la duchesse d'Orléans était celle dont la présence lui était le plus agréable; il l'appelait sa soeur bien aimée, et allait la voir tous les jours. Bien des gens interprétaient en mal cette prédilection. Leurs soupçons, que rien ne me semble justifier, étaient fondés sur ce que, dans la Lombardie, qui était la patrie de la duchesse, on faisait plus qu'en tout autre pays usage de poisons et de sortiléges. Cette fatale et déplorable maladie dura jusqu'au mois de janvier, sans que toute la science des médecins pût y apporter aucun remède. Ils ne parvinrent même pas à en découvrir la cause, malgré les nombreuses consultations qu'ils eurent entre eux à ce sujet. CHAPITRE VI. On fait venir un sorcier pour guérir le roi. par Les gens de la cour, vivement affligés des extravagances du roi et de ses souffrances cruelles, cherchaient à l'en délivrer tous les moyens licites ou illicites. Ils firent venir de la Guienne un sorcier, nommé Arnaud Guillaume, qui se disait habile dans l'art de la magie et se vantait de pouvoir guérir le roi d'un seul mot. C'était un homme d'assez mauvaise mine et d'un extérieur commun. Quoiqu'il fût brutal et grossier, on le traita avec beaucoup d'égards, afin d'obtenir de lui l'accomplissement de ses promesses Il était toujours vêtu très simplement, menait une vie solitaire et se macérait le corps par des jeûnes et indutus, solitarie vivebat, et, more sanctorum Patrum, jejuniis et vigiliis affligens corpus suum, non quidem meritorie, sed quia ars qua utebatur talia requirebat. Permodice eciam litterature existens, quemdam librum semper penes se habebat, per quem, sicut asserebat, se quatuor elementis et cunctis consistentibus in eisdem posse perceptibiliter, et circumspectorum testimonio, dominari. Per hunc librum sic cognicionem planetarum se attigisse jactitabat, quod, si aliquis ipsorum valeret inducere mortalitatem isto anno, alium in contrarium hucusque ab astrologis ignotum excitaret, qui malignitatem ejus, et si non in toto, in parte saltem maxima mittigaret. Multa alia ridiculosa et frivola nec recitacione digna astruebat effici posse per studium hujus libri, quem Smagorad nominabat, et cujus originale dicebat primum parentem per provisionem divinam recepisse. Cum enim, secundum sacram Scripturam, Adam centum annis Abel filium suum luxisset, tunc a Deo missus angelus tradidit sibi librum, monens ut consolacionem reciperet, quia quod per peccatum amiserat, per illum recuperaret, et quicunque copiam hujus haberet, posset astris dominari. Hic pluries regine et regni obtimatibus asseruit regem illaqueatum sortibus, et maleficii auctores contra se fortiter laborare ne ad perfectionem operis perveniret. Et si regi aliqualiter melius una hora quam alia contigisset, Deo et suo studio mendaciter ascribebat. CAPITULUM VII. De incolumitate regis, Abjectissimi hominis doctores, magistri et viri ecclesiastici reprobabant vesaniam; et cum rex acrius solito egritudine premeretur, videntes quod vis morbi nec humanis subsidiis leva des veilles, comme les Pères de l'Église; non qu'il fit en cela une œuvre méritoire : il n'agissait ainsi que dans l'intérêt de sa profession. Cet homme, fort peu instruit d'ailleurs, portait toujours avec lui un livre qui, disait-il, lui donnait visiblement, et du témoignage même des gens de savoir et d'expérience, un pouvoir absolu sur les quatre éléments et sur tous les objets qu'ils renferment. Il prétendait qu'à l'aide de ce livre il connaissait parfaitement toutes les planètes, et que, s'il y en avait une dont l'influence pût amener cette année une grande mortalité, il en ferait paraître une contraire, inconnue jusque-là aux astrologues, et qui neutraliserait, sinon entièrement, du moins en grande partie, la maligne influence de la première. Il débitait mille autres contes ridicules, et qui ne valent pas la peine d'être rapportés, sur l'efficacité de ce livre, qu'il appelait Smagorad, et dont l'original avait été, disait-il, donné par Dieu à notre premier père. Il ajoutait qu'Adam, après avoir pleuré cent ans son fils Abel, comme nous l'apprend l'Écriture sainte, vit venir à lui un ange envoyé par le Seigneur, et que cet ange lui remit un livre en lui disant de se consoler, et en lui annonçant qu'il recouvrerait à l'aide de ce livre ce que le péché lui avait fait perdre, et que celui qui l'aurait en sa possession pourrait commander aux astres. Arnaud Guillaume affirma plusieurs fois à la reine et aux grands du royaume qu'on avait ensorcelé le roi, et que les auteurs de ce maléfice travaillaient de toutes leurs forces à empêcher le succès de sa guérison. S'il arrivait que le roi fût un peu mieux une heure qu'une autre, il l'attribuait impudemment à Dieu et à son art. CHAPITRE VII. Guérison du roi. Les docteurs, les professeurs et les membres du clergé réprouvaient les forfanteries de ce misérable. Lorsqu'ils virent que l'état du roi empirait, et que la violence du mal ne cédait pas aux remèdes humains, |