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qu'elle appelle un chef-d'œuvre de Racine. "Ce poète s'est surpassé, ditelle: tout est beau, tout est grand, tout est écrit avec dignité." Deux aus après, Racine traita dans les mêmes vues le sujet d'Athalie. Mais le long silence qu'il s'était imposé, et qui aurait dû lui faire pardonner sa réputation, n'avait pu encore désarmer l'envie: on parvint à jeter dans l'esprit de madame de Maintenon des scrupules qui firent supprimer les spectacles de Saint-Cyr, et Athalie n'y fut point représentée. Racine la fit imprimer en 1691, mais elle trouva peu de lecteurs. On se persuada qu'une pièce faite pour des enfants n'était bonne que pour eux. Racine, étonné que le public reçût ce chef-d'œuvre avec indifférence, s'imagina qu'il avait manqué son sujet, et il l'avouait sincèrement à Boileau, qui lui disait: "Je m'y connais, et le public y reviendra." On sait si la prédiction de Boileau s'est accomplie. Cette injustice du public détermina enfin Racine à ne plus s'occuper de vers et à renoncer pour jamais au théâtre.

L'extrême sensibilité de Racine abrégea ses jours. Il avait fait, dans11 les vues de madame de Maintenon, et pour répondre à la confiance qu'elle lui témoignait, un projet de finances dont l'objet était de proposer un plan de réforme et de législation qui pût soulager la misère du peuple. Louis XIV surprit'2 ce projet entre les mains de madame de Maintenon, et blâma hautement le zèle inconsidéré de Racine. “Parce qu'il sait faire parfaitement des vers, dit le roi, croit-il tout savoir? et parce qu'il est grand poète, veut-il être ministre ?" Madame de Maintenon fit dire à l'auteur d'Athalie de ne pas paraître à la cour jusqu'à nouvel ordre.13 Dès ce moment Racine ne douta plus de sa disgrâce. Accablé de mélancolie, il retourna quelque temps après à Versailles; mais tout était changé pour lui, ou du moins il le crut ainsi, et Louis XIV un jour ayant passé dans la galerie sans le regarder, Racine, qui n'était pas, dit Voltaire, aussi philosophe que bon poète, en mourut de chagrin le 21 avril 1699, après avoir traîné pendant un an une vie languissante et pénible.

Voltaire (et la France fait comme lui) regardait Racine comme le plus parfait de tous nos poètes. Il en parlait même avec tant d'enthousiasme, que, quelques-uns lui demandant pourquoi il ne faisait pas sur Racine le même travail qu'il avait fait sur Corneille:14 "Il est tout fait, répondit Voltaire; il n'y a qu'à15 écrire au bas de chaque page: BEAU, PATHÉTIQUE, HARMONIEUX, SUBLIME."

1 In the former province of La Brie, the present department of L'Aisne.-2 The learned sacristan of Port-Royal.-3 The pension list.-4 Francs.-5 Living.-6 The master-piece of Corneille.-7 License to print.-8 Prior.-9 A school established by Mme de Maintenon, for the daughters of poor noblemen.--10 Manqué, failed.-11 According to.-12 Saw accidentally.-13 Until he heard from her again.-14 Voltaire has written very copious and valuable commentaries on Corneille.-15 We have only to write.

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LA SCÈNE EST DANS UNE VILLE DE BASSE-NORMANDIE

ACTE PREMIER..

SCÈNE I.

PETIT JEAN, traînant un gros sac de procès.
Ma foi! sur l'avenir bien fou qui se fiera.
Tel' qui rit vendredi, dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service;

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Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse.*
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :
On apprend à hurler, dit l'autre," avec les loups.
Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,'
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros messieurs me parlaient chapeau bas;"
Monsieur de Petit Jean, ah! gros comme le bras.

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Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi! j'étais un franc portier de comédie:1o
On avait beau11 heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entrait point chez nous sans graisser le marteau.1
Point d'argent, point de suisse; et ma porte était close."
Il est vrai qu'à monsieur1* j'en rendais quelque chose :

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Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin:
Mais je n'y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,"
J'aurais sur le marché1 fort bien fourni la paille.
C'est dommage:" il avait le cœur trop au métier;
Tous les jours le premier aux plaids,18 et le dernier ;
Et bien souvent tout seul, si l'on1 l'eût voulu croire,
Il s'y serait couché sans manger et sans boire.
Je lui disais parfois : Monsieur Perrin Dandin,
Tout franc," vous vous levez tous les jours trop matin.
Qui veut voyager loin ménage sa monture:
Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure.
Il n'en a tenu compte." Il a si bien veillé

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Et si bien fait, qu'on dita3 que son timbre est brouillé."
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres25

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Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,20

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Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré."
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire;
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire allait mal
Avait graissé la patte2 à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt," le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près;
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allégre.
Pour moi, je ne dors" plus: aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais, veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi! pour cette nuit il faut que je m'en donne."
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons.
Il se couche par31 terre.

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NOTES AND REFERENCES.- Basse-Normandie, Lower Normandy.2 See FASQUELLE'S FRENCH METHOD, Section 39, Rule (5).-3 M. (Method), § (Section) 41, R. (Rule) (12).—4 Suisse, porter. On the continent of Europe many porters were formerly natives of Switzerland;

hence the above meaning of the word. In the 17th line, the familiar proverb Point d'argent, point de Suisse, (often equivalent to the trivial English proverb No longer pipe, no longer dance) very happily put by Racine in the mouth of Petit Jean, alludes to the well known fact that the Swiss troops, formerly in the service of several European sovereigns, considered themselves at liberty to leave, the moment they ceased to be paid punctually.-5 Dit l'autre, it is said, as the saying is.

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Tout Picard que j'étais, although I was a Picard. The natives of Picardy are said to be simple and peaceable, those of Normandy astute and litigious.—7 J'étais un bon apôtre, I was no simpleton.- Chapeau bas, with their hats off. Monsieur de Petit Jean. The preposition de prefixed to a French name, like the German von, often indicates nobility.-10 Comédie, theatre.-" M. L. (Lesson) 67, Rule 1.-12 Graisser le marteau, giving a fee to the porter.-13 From clore, M. page 362. — 14 Monsieur, my master.-15 Vaille que vaille, every thing considered.

6 Sur le marché, into the bargain.-17 C'est dommage, the pity is18 Aux plaids, in court.—13 M. § 41, R. (5).—20 M. L. 37, R. 5.—21 Tout franc, the truth is.—22 Il n'en a tenu compte, he took no notice of it; literally, he made no account of it.—23 M. L. 35, R. 1, 2-24 Son timbre est brouillé, his head is not right; timbre is the bell or striking part of a clock.-25 Patenôtres, indistinct words.26 M. L. 88, R. 5.— 27 Judges and advocates, in France, wear in court, gowns and caps with square tops.—23 Graissé la patte, bribed, feed.—29 Arrêt, judgment.-50 M. page 368.—31 Il faut que je m'en donne, I must indulge myself, take comfort.-32 Par terre, on the ground.

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Est-ce qu'il faut toujours faire le pied de grue,'

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L'INTIMÉ.

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Garder toujours un homme, et l'entendre crier?
Quelle gueule ! Pour moi, je crois qu'il est sorcier.'

Bon!

L'INTIMÉ.

PETIT JEAN.

Je lui disais donc, en me grattant la tête,
Que je voulais dormir. "Présente ta requête
Comme tu veux dormir," m'a-t-il dit gravement.
Je dors en te contant la chose seulement.
Bonsoir.

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L'INTIMÉ.

Comment, bonsoir ?

Mais j'entends du bruit au-dessus de la porte.

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NOTES AND REFERENCES. Faire le pied de grue, wait in the same place; (like the foot or post of the crane used for raising burdens).— Gueule, lungs; literally, the mouth of an animal.—3 Sorcier, bewitched; literally, a sorcerer.—4 M. L. 63, R. 5.—5 Comme, stating, whereas.

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Voilà mes guichetiers en défaut,1 Dieu merci,

Si je leur donne temps, ils pourront comparaître ;
Çà, pour nous élargir, sautons par la fenêtre.

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