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L'on se mit aussitôt à l'œuvre, et les constructions furent conduites avec activité. Saint Bernard ne tarda pas à envoyer de Clairvaux la petite colonie destinée à peupler le nouveau monastère. Elle se composait, suivant les traditions de l'Ordre, de douze religieux, auxquels il préposa pour abbé l'un de ses amis les plus intimes, le moine Humbert, personnage d'une éminente vertu, qui remplissait les importantes fonctions de prieur de Clairvaux.

A quelle date précise les religieux prirent-ils possession du monastère? Les chroniqueurs ne s'accordent pas sur ce point. Selon quelques-uns, ils s'y établirent dès 1126, ce qui est une erreur manifeste. D'après le plus grand nombre, ils y vinrent en 1127. Mais le rang qu’Igny occupe dans les Tables de l'Ordre, et la différence qui existe entre l'ancienne manière de compter et la moderne nous obligent à placer l'arrivée des religieux en l'année 1128, au douzième jour du mois de mars (1).

1126. Mais la date que nous adoptons s'accorde seule avec les trois indications chronologiques indiquées dans la charte. Elle donne en effet l'indiction V, puisque l'indiction, depuis S. Grégoire VII, commence au premier janvier, et elle tombe encore dans l'année 1126, vieux style, puisqu'à cette époque l'année civile ne finissait qu'à Pâques.

(1) Voici les chronologies qui ont adopté 1126: Chronologia Alderspacensis (p. xx) Runensis (p. xx); Ebracensis (p. xx), Ebraco-Monacensis (p. XVII), Langhemiensis I (p. XX), Langhemiensis II (p. xx); Genealogiæ Hafniensis (p. XVIII), Noviomontana (p. xx).

Les chronologies et auteurs divers qui ont adopté 1127 sont: Chronologiæ Philippsiana (p. xvi), Birchii I (p. xv), Birchii II (p. xvII) Bernardina (p. XXIII), Parisina (p. XVIII), Blachii (p. xIx), Manriquii (p. XVIII), Douschon (p. xxvn), Vischiana (p. XIX), Vindobonensis (p. XVII), Valdsassensis (p. XVII), lespesii (p. XXII), Verstocktii (p. xx), Bornhemiensis (p. XXI); Genealogiæ Sigismundi (p. XIX), Henriquii (p. XIX), Friburgensis (p. XXI), Stamsensis (p.xx1); Le Nain (p. xx), Jongelini Notitia (p. xxv), Jongelini « Origines (p. XXVI), Jongelini « Index chronologicus (p. XIX), Sammarthani (p. XLIII) Léopold Janauschek (Origines Cistercienses, t. I, p. 14, Tabula Correctissima, I, p. 307), assigne comme date précise de l'entrée des moines à Igny, le 12

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L'année même de leur arrrivée à Igny, pendant que s'élevaient les bâtiments du monastère, le roi de France, Louis VI, leur octroya la charte de confirmation suivante :

« C'est faire œuvre de miséricorde et de piété, comme chacun sait, lorsque nos fidèles sujets offrent à l'Eglise de Dieu quelque bien relevant de nos droits régaliens, de confirmer cette donation, comme il convient, du poids de notre autorité. Aussi moi, Louis, par la grâce de Dieu roi des Francs, je veux faire connaître à tous mes fidèles sujets, tant futurs que présents, que notre féal Renauld II, vénérable archevêque de Reims, a décidé de construire dans son diocèse une abbaye aux moines de Clairvaux, et de les y retenir pour le service de Dieu. A cette fin, il a librement donné et conféré aux dits moines toute sa terre de Montaon avec la vallée et toute la côte qui conduit à Courville, jusqu'à la forêt située vers Longeville, avec la forêt elle-même, l'eau, les prés et les terres cultivées ou incultes. Il leur a conféré tout ce qu'il possédait à Igny, avec les forêts circonvoisines, c'est-àdire Forest et Beley; en outre, tous ses droits dans la forêt commune et tout ce qu'il avait acheté à Ponce d'Arcy. Toutes ces concessions, faites aux susdits moines par notre féal, nous les concédons et nous les confirmons aux mêmes moines, pour la rémission de nos péchés, afin qu'ils en soient propriétaires de plein droit et à perpétuité. Dans la crainte que cet acte ne vienne à s'oublier, nous l'avons consigné par écrit; et pour qu'il ne puisse être infirmé par la postérité, nous l'avons sanctionné en y apposant notre seing et notre sceau.

mars 1128 Igniacum, XII mart. 1128. Annum 1128 substituendum esse quum computandi ratione, tum loco evincitur, quem Ignacum in tabulis tenet, Ebraco scilicet (Ebrach en Bavière) xxv jul. 1127 fundato, atque Carraceto (Carracedo en Asturie) nonnunquam ad mensem octobre 1127 relato postpositum.

« Fait à Paris, l'an de l'Incarnation du Verbe 1128, le vingtième de notre règne, publiquement, dans notre palais, en présence de ceux dont les noms et les sceaux sont ci-dessous reproduits, savoir: Raoul, comte de Vermandois; Louis, boutellier; Huges, connétable; Albéric, chambrier. Point d'écuyer tranchant. Donné de la main de Simon, chancelier (1).

Heureux temps, où les rois croyaient de leur devoir de favoriser la vie religieuse, et de garantir à leurs sujets l'exercice de la liberté individuelle! Ce n'était pas alors un crime de se vouer au service de Dieu, et au soulagement de ses frères. La liberté, il est vrai, n'était point écrite sur les monuments publics; mais en revanche elle entrait tous les jours dans les mœurs, et les peuples marchaient à la conquête de la vraie civilisation. Moines fortunés, eussiez-vous osé soupçonner qu'après huit siècles de marche en avant, l'eau et le feu seraient interdits à vos frères, et qu'au nom du droit, il leur serait défendu de respirer l'air, de travailler et de prier en commun?

En 1130, les bâtiments étant achevés, Renauld se disposa à faire la dédicace de l'église et du couvent. Plusieurs ont pensé que ces premières constructions étaient situées dans le petit vallon où se trouve actuellement la ferme de la Grange, et que le monastère n'aurait été reconstruit que plus tard sur le terrain qu'il occupe aujourd'hui, à quelques centaines de mètres plus bas (2). Les monceaux de décombres qui obstruent les avenues de la Grange sembleraient de nature à favoriser cette

(1) Cartulaire d'Igny, fol. 361. Voir aux Pièces justificatives, no II. (2) Notice ms. sur l'abbaye d'Igny, tirée des papiers de l'abbaye de Scourmon près Chimay, Belgique.

hypothèse, si l'on ne savait que les Granges cistercien nes étaient elles-mêmes, par l'importance de leurs bâtiments, de vrais monastères.

Quoi qu'il en soit de ce fait, au jour fixé pour la dédicace, une foule immense accourut à Igny, avide de contempler les cérémonies et de gagner les indulgences offertes par l'Eglise. Des extrémités de la province de Reims, de nobles personnages s'y étaient donné rendez-vous, avec le dessein de faire à l'abbaye naissante de larges aumônes (1). On y remarquait, entre autres, le seigneur de Châtillon, Henri, sa femme Ermengarde et leur fils Gaucher; Ponsard, seigneur d'Arcy; Albert de Sarcy; André de Baudemont, comte de Braisne, avec sa femme Agnès et ses fils Gui et Guillaume; le chevalier d'Arcy, sa femme Hildeburge et leurs fils Nicolas et Adon; les deux frères Gilles et Hélie, fils de Gérard, prévôt de Châtillon. Autour de l'archevêque de Reims se pressait l'élite du clergé régulier et séculier des environs, Joslin, évêque de Soissons, Ursion, évèque élu de Verdun, l'archidiacre Hugues, les Dignités du Chapitre métropolitain, les abbés de Saint-Remi, d'Hautvillers, de Saint-Thierry, de SaintNicaise, de Saint-Denis et d'Epernay, et une multitude de clercs. Mais une figure surtout attirait sur elle tous les regards par son air de sainteté, c'était celle de l'abbé de Clairvaux, qui avait voulu faire goûter à ses fils bienaimés la joie de sa présence, et invoquer sur eux les célestes bénédictions.

Suivant la loi universelle de l'Ordre, l'église fut dédiée

(1)

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Dedicatur Ecclesia Igniacensis anno 1130, convenientibus ex universa provincia multis nobilibus. Manrique, Annales Cistercienses, t. I, ann. 1127, c.

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VI, n® 2,

à la Mère de Dieu (1), et l'abbaye prit le nom de NotreDame d'Igny (2).

Dans le cours de la cérémonie, dix ou douze des seigneurs présents s'avançèrent et déposèrent sur son autel l'acte de donation des biens qu'ils abandonnaient à l'abbaye.

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L'un des plus généreux fut sans contredit le comte de Braisne, André de Baudemont. Après que nous fûmes appelé par la volonté de Dieu au siège épiscopal de Soissons, raconte Joslin, Renauld, qui présidait à l'Eglise de Reims, mit tous ses soins à faire construire l'abbaye d'Igny. De notre côté, nous étions surtout préoccupés d'asseoir solidement celle de Chartreuve. Or le seigneur André de Baudemont, qui possédait alors le domaine de Braisne, vint nous trouver à Mont-NotreDame, et là, par un sentiment de générosité, il nous remit en mains, pour ces deux abbayes, tout ce qui pourrait leur être nécessaire dans ses propriétés. Il ne fit que cette réserve : si quelqu'un de ses vassaux, relevant de son autorité, veut faire des largesses à ces deux abbayes, il devra conserver de son fief assez de terrain pour être en état de lui rendre l'assistance judiciaire et le service personnel dans les cas où il y est tenu. Les hommes qui ne relèvent que d'eux-mêmes, sui de corpore, pourront se donner librement à ces abbayes, eux et leurs biens; quant aux terres soumises à une rede

(1) Decernimus ut omnes ecclesiæ nostræ, ac successorum nostrorum, in memoria ejusdem cœli et terræ reginæ, Sanctæ Mariæ fundentur ac dedicentur.. Institut. Général, Capit. XVIII.

(2) Voici les divers noms d'Igny :

Igniacum, ou Beata Maria Igniacensis. On trouve aussi, mais plus rarement, les noms de Hinniacum (Mart. Anecd., t. III, p. 1723), Gigniacum (Vinc. dé Beauvais, VI, 1. 29, c. 28-29), Ygniacum (Devota Memor. Abbatum Clarævall), Ugniacum, de Jigniaco (chron. Birchii ÌI), Ignaci abbatia, Maria Igniatensis, ou Ygimantem (in codd. tax.) S. M. Igimatensis, (Beaunier, Recueil hist. t. II, p. 562).

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