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mêmes efforts pour en sauvegarder les droits et les intérêts. Si l'on excepte quelques livres de rente à Coulonges données à l'église du couvent par Jean Ocquin, et quelques transactions amiables avec Mathieu, seigneur de Vaumain, pour l'essartage de savarts, et avec Baudoin, seigneur de Vandières, pour l'irrigation des prés de l'abbaye, dom Alard ne fit aucune acquisition nouvelle (1).

Mais il eut beaucoup à souffrir de l'un des descendants de cette famille de Basoches, jadis si dévouée à ses prédécesseurs. Hugues de Basoches, vidame de Châlons, sous prétexte que les religieux ne pouvaient exploiter sans sa permission le bois de Morfontaine situé dans sa gruerie, fit arrêter tous les bûcherons qui y travaillaient. Pour soutenir cette première violence il en commit d'autres; il détruisit les barrages mis par les religieux dans le ruisseau d'Orillon en vue de la pêche ou de l'irrigation de leurs prés, prétendant que son moulin en souffrait; il leur interdit d'essarter les haies et les buissons semés çà et là dans leurs cultures; il s'arrogea, sous prétexte de chasse, le droit d'établir à son gré des chemins et des clôtures dans leur bois de Fierfust; il se fit enfin payer le droit de vinage par les voitures du couvent qui traversaient le pont de Basoches, sans aucun souci des franchises des religieux.

A chaque nouvelle entreprise, l'abbé opposait des réclamations, mais toujours sans résultat. Pendant ce temps, le mécontentement grandissait et les esprits s'échauffaient de part et d'autre. Or un jour que Hu

(1) Inventaire de 1683, f. 50, ann. 1337. Cartul. d'Igny, f. 249, ann. 1335, f. 51, ann. 1344. Reims, liasses Coulonges et Courmont.

gues revenait de la chasse, escorté de serviteurs portant les rêts et la venaison, tout le couvent, moines, convers et valets, s'avança à sa rencontre, et constata la contravention sous ses propres yeux. S'en suivit-il quelques propos injurieux, quelque rixe même ? La chose serait assez croyable. Hugues prétendit en effet qu'on l'avait injurié et qu'on avait porté la main sur lui. Les religieux le niaient. Il fallut donc plaider. Le bailly de Châtillon condamna le vidame sur tous les chefs. L'accord se fit cependant sur cette base, que les religieux rentreraient dans la jouissance de tous leurs droits, que le vidame, de son côté, consentirait à oublier l'injure qu'on lui avait faite, et que les religieux s'engageraient à prier à perpétuité pour sa famille.

La paix dura quelques années, puis les troubles recommencèrent. Tandis que ses sergents arrêtaient tout ce qu'ils pouvaient saisir, bûcherons, valets, vaches, chevaux et charrettes, Hugues préparait sa chasse dans les bois de Voisin, de Fierfust et de Maujoy, en y établissant, contre tout droit, des haies et des chemins. De longs débats s'engagèrent devant le bailly de Crécy, mais le vidame mourut sans en voir la fin.

Ses deux fils, Gérard de Châlons, seigneur de Coulonges, et Jean de Châlons, seigneur de Basoches, cités à leur tour aux assises de Châtillon, renoncèrent aux injustes prétentions de leur père et reconnurent le droit du couvent. Gérard, qui avait déjà fait des entreprises personnelles sur le bois de Cochelet, se désista à son tour, dès qu'il vit l'affaire remise aux mains du roi (1). Philippe VI, en effet, venait d'étendre sa protec

(1) Cartul. d'Igny, f. 151, 156, 157, ann. 1337-1347. folio 114.

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tion sur l'abbaye. Inspiré sans doute par la reine Jeanne de Navarre, en faveur de laquelle les religieux avaient consenti à renoncer à tout droit de justice sur le moulin des Venteaux, il avait signé au bois de Vincennes, en 1342, des lettres de grâces par lesquelles il enjoignait au bailly de Vitry de maintenir l'abbaye dans la jouissance de tous ses droits et privilèges (1).

Malgré la protection spéciale de la reine et la condamnation du seigneur de Basoches, l'écuyer Gilles d'Olizy renouvela pour son compte et sur le même théâtre les mêmes entreprises.

L'abbé lui fit signifier, au nom de la reine Jeanne, de s'en abstenir; ce fut en pure perte. Il le fit citer sur les lieux. Les deux parties y comparurent par procureurs. Mais, sur l'ordre qui lui fut donné de remettre les choses en état, le procureur de Gilles s'y refusa net et fit opposition à la sentence. Le débat fut alors porté aux assises de Châtillon, par devant le bailly de Crécy; mais Gilles fit défaut. Cité de nouveau sur les lieux, il ne parut pas encore; à une nouvelle citation aux assises de Châtillon, il ne répondit pas davantage. Après avoir ainsi épuisé tous les moyens de conciliation, le bailly, Jean de Ribemont, le condamna à rétablir les choses en leur premier état, à laisser les religieux jouir paisiblement de leurs droits, et à payer les frais du procès. En attendant, et par précaution, il fit saisir une partie de ses biens (2).

Peu de temps après la fin de ce procès, dom Alard mourut (1345). Pendant sa prélature avait eu lieu dans l'Ordre de Citeaux un événement de la plus haute im

(1) Inventaire de 1683, ann. 1342. Archives Nat., liasse Arcy-le-Ponsard, 1335.

(2) Cartul, d'Igny, fol. 50-51, ann. 1344.

portance, à savoir, la publication de la Bulle Fulgens sicut stella, qui établissait dans l'Ordre une sérieuse réforme (1335).

Le bref de Clément IV avait produit, dans la période qui l'avait suivi, les plus heureux résultats; mais le premier moment de ferveur passé, l'on avait commencé à voir reparaître les symptômes de relâchement. Quelle part peut-on attribuer dans ce relâchement aux modifications du Statut primordial sur l'élection des abbés? Il serait difficile de le dire avec justesse; et quelques écrivains sont tombés, sur ce point, dans de graves exagérations. Quoi qu'il en soit, l'esprit de subordination s'était peu à peu affaibli; la charité s'était refroidie entre les supérieurs; les visites des pères immédiats étaient devenues plus difficiles et moins fructueuses; la crainte de la répression détournait même plusieurs abbés de l'assiduité aux Chapitres Généraux.

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Le pape Benoît XII, qui avait été abbé de Fontfroide, avait vu de ses propres yeux ce relâchement se glisser dans l'Ordre. Dès qu'il fut pape, il résolut de l'arrêter, et il publia à cet effet la Bulle Fulgens sicut stella. Quatre chefs principaux attiraient la sollicitude du Pontife Les Intérêts temporels des monastères, exposés à la ruine par les aliénations ou les emprunts; le Gouvernement genéral de l'Ordre, entravé par le refus des contributions et par la négligence des abbés à se rendre au Chapitre annuel de Citeaux; le maintien de la discipline et de la simplicité monastiques, compromises par la facilité à recevoir toutes sortes de personnes, par le luxe persévérant des abbés et surtout par les abus graves et les licences que se permettaient les supérieurs et les principaux officiers de quelques monastères; enfin

l'Organisation plus parfaite des études et des colleges (1). »

Ce n'était point, à proprement parler, une réforme générale, puisque les abus que retranchait le pape ne s'étendaient, de son aveu même, qu'à un petit nombre de maisons et de personnes. Mais on ne peut nier que ces réformes partielles et ce besoin de réorganisation ne fussent les indices d'un affaiblissement progressif de la discipline dans le corps entier.

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