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CHAPITRE II.

Le Bienheureux HUMBERT, premier abbé d'Igny.

1127-1138

Humbert, religieux à la Chaise-Dieu. Il rejoint Saint Bernard à Clairvaux. Ses débuts à Clairvaux. Il en est fait prieur. Saint Bernard le nomme premier abbé d'Igny. Sainteté de sa vie, sagesse de son gouvernement. Il fonde Signy. Il abdique et se retire à Clairvaux. Lettre véhémente de Saint Bernard pour le retenir dans sa charge. Sa mort bienheureuse. Saint Bernard fait son éloge funèbre. Sa sépulture. Il est compté au rang des Saints (1).

OUR assurer la prospérité de la nouvelle abbaye qu'il venait de fonder, Saint Bernard eut soin de lui choisir un abbé selon son cœur. C'était un

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moine de haute vertu, l'un de ses amis les plus tendres, et comme une image de lui-même. Aussi son

(1) Principales sources à consulter pour la vie du B. Humbert Cartulaire d'Igny, Paris, bibl. nat. f. lat. ms. 9904; Inventaire de 1683, Châlons, archiv. départ.; Exordium Ordinis Cisterciensis, l. III, c. IV et v; Opera S. Bernardi, Epist. 111, et de Obitu Humberti; Henriquez, Fasciculus Sanctorum Ordinis Cisterciensis, dist. XIII, Vita B. Humberti; Angèle Manrique, Annales Cistercienses, 1145, c. II. Bernardus de Montalvo; Aloysius Lipomanus, Vitæ S. Patrum, 1. IV; Gonzalus de Silva, 1. VII, c. XXXIV; Jongelinus, Notitiæ Abbat. Ord. Cist.; Joannes Abbas, Catalogus Sanctorum Ord. Cist.; Bernardus de Brito, t. I, 1. IV, c. 11; Surius, Mense Sept. Histoire Générale de l'Ordre de Citeaux, manuscrit en 2 vol. in-fol., biblioth. archiepiscopale de Reims, t. I. - Le Nain, Histoire de l'Ordre de Citeaux, t. V.

éloignement fut-il un déchirement pour son âme, et le seul désir du bien de son Ordre put le déterminer à ce sacrifice. Ce moine se nommait Humbert, et il était âgé d'environ cinquante ans quand il arriva à Igny pour en diriger les constructions (1).

a

En renonçant au monde, Humbert s'était d'abord retiré au monastère de la Chaise-Dieu, au diocèse du Puy, sous la règle de Saint Benoît, et il y avait passé vingt ans dans l'exercice de toutes les vertus (2). Mais la réputation de Saint Bernard et le désir d'une plus haute sainteté l'avaient attiré à Clairvaux avec plusieurs autres saints personnages, très-peu de temps après sa fondation. « Le monastère de Clairvaux, dit l'auteur de l'Exorde, ayant été fondé par la grâce de Dieu et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la bonne renommée de la discipline qui s'y observait se répandit au loin comme une odeur de vie, et y attira grand nombre de personnes qui s'y retirèrent des diverses parties du monde. On vit même plusieurs religieux, parvenus déjà, semblait-il, au sommet de la perfection dans leur observance, qui, apprenant avec quelle magnificence Dieu faisait éclater ses miséricordes dans cette sainte maison, témoignèrent une incroyable ardeur d'y être admis, et de commencer de nouveau à servir Jésus-Christ sous la conduite de Saint Bernard. De ce nombre furent Humbert, depuis abbé d'Igny, Raynald, Pierre de Toulouse, Guillaume et Gérard. Consacrés à Dieu dès leur jeunesse, et déjà parvenus à une éminente sainteté, il semble qu'ils n'eussent plus besoin d'être formés à la vertu par les exemples de personne. Cependant ces

(1) Le Pape Innocent II le nomme Hubert dans son bref de 1132, et dom Marlot avec quelques autres l'appellent par erreur Robert.

(2) Son épitaphe en fait foi: «D. Humbertus, monachus Case-Dei »

hommes d'une profonde humilité, écoutant avec un cœur docile cette parole de l'Ecriture: « Que celui qui est saint se sanctifie encore davantage, considérant d'ailleurs comme peu de chose tout ce qu'ils avaient fait jusqu'alors, et aspirant à une plus haute perfection, furent tellement édifiés de ce qu'ils apprirent de Saint Bernard et du genre de vie qu'il avait établi à Clairvaux, qu'ils voulurent se mettre sous sa direction, et commencer une vie nouvelle, comme s'ils n'eussent jamais su en quoi consistait la vie d'un vrai religieux C'était en l'année

1116 ou 1118 (1).

Humbert, ce vétéran de la vie du cloître, recommença donc ses premières armes sous Saint Bernard. Il reprit, avec plus d'énergie encore, la lutte contre la nature déchue, résolu d'assujettir complètement la chair à l'esprit, et de dégager son âme de toute affection terrestre, pour s'élever par degrés, sur les ailes de l'amour, jusqu'à l'union divine, par la parfaite conformité de sa volonté avec celle de Dieu. Il aspira aux plus hauts sommets de la perfection monastique, et il ne recula devant aucun sacrifice pour devenir en réalité ce qu'il était par son habit, regardant comme une indignité de se glorifier du vain nom de moine, sans en posséder les vertus (2). Au début, rapporte Saint Bernard, il eut de grandes luttes à soutenir; mais il les soutint vaillamment et avec tant de succès, que tout retour en arrière lui fut rendu comme impossible, parce que ses bonnes habitudes devinrent en lui une seconde nature (3). Le fait

(1) Ang. Manrique, Annal. Cist., 1116, c. II, n. 2, 4.- Les Bollandistes, Acta Sanctorum, t. IV, Augusti, p. 115, acceptent 1118 sur l'autorité de Mabillon. (2) Indignissimum fore reputans vacuo nomine monachi, sine virtutum opere gloriari. Henriquez, Fasciculus Sanctorum, t. I, l. I. dist. XIII, c. III. (3) Bona consuetudo pervenerat in naturam. S. Bernard., Sermo de Humberto.

suivant le peindra mieux que toutes paroles : Saint Bernard, dont l'Esprit Saint inondait l'âme, avait été si frappé de sa vertu, qu'il l'avait choisi pour son modèle, et qu'il le regardait comme le type achevé de la perfection monastique. Il ne se lassait point d'admirer ses qualités; il jugeait sa propre vie de nulle valeur à côté de celle d'Humbert; jour et nuit il se reprochait l'infėriorité de ses actions, qu'il mesurait, dit un annaliste, à celles de son disciple. Ainsi « Humbert fut la mesure de Bernard (1). » « Plût à Dieu, mes Frères, disait-il en parlant de lui, plût à Dieu que, nous autres pécheurs, nous eussions dans nos péchés l'humilité que les Saints ont eue dans leurs vertus!» Humbert, en effet, dit l'auteur de l'Exorde, jetait par sa vertu un si vif éclat, il était embelli des charmes d'une telle mansuétude et d'une telle charité, qu'il embrasait de l'amour de Dieu, comme un céleste séraphin, tous les membres de sa communauté (2).

Plus Saint Bernard l'avait pris en estime et en affection, plus il fut pénétré de douleur en le voyant atteint d'une horrible maladie. Dieu, qui épure et sanctifie les siens par la souffrance, l'avait frappé d'épilepsie. Humilié devant tous ses frères, Humbert sentait son esprit et son corps s'affaiblir rapidement sous la violence du mal; mais il adorait en silence la main qui le frappait, sachant que la même main frappe et guérit, sans jamais cesser d'être miséricordieuse. Un jour qu'il était plus agité que de coutume, Saint Bernard, vivement touché de son état, se tourne vers les assistants : « Que faisons-nous ici? leur dit-il; allons donc prier! » et il

(1) « Humbertus mensura Bernardi fuit, ipso se commensurante ad illius acta. Manrique, Annal. Cist., 1116, c. II, n. 2.

(2) Exordium Ord. Cisterc., 1. III, c. IV.

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