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suis préparé à tous les châtiments, dans l'espoir que ce Père miséricordieux changera ses fléaux en faveurs. Aussi mes paroles ne sont-elles point un murmure, mais le cri de ma douleur.

« Ce n'est donc point sur Humbert que je pleure, car pourquoi pleurer celui qui est appelé à la table du riche? mais sur moi, sur vous, sur cette maison et sur tous nos frères, qui attendaient le conseil de ses lèvres. C'est ainsi que Notre Sauveur, portant sa croix comme un voleur porte sa corde, et voyant les femmes, qui le suivaient depuis la Galilée, pleurer sur lui: Ne pleurez pas sur moi, leur dit-il, ô filles de Jérusalem, mais sur vous-mêmes et sur vos enfants; car ce qui me concerne touche à sa fin. Ce que vous voyez qu'on me prépare est passager, et ce que vous ne voyez pas est éternel; ce qui est temporel n'est que transitoire et ce qui est transitoire est périssable; ce qui tombe sous les sens porte le caractère de la fragilité. Tout ce que nous avons vu dans la mort d'Humbert est passager; mais dès maintenant il jouit du bonheur dans une éternité sans fin.

Ne pleurons donc point celui qui ne connaît plus ni deuil ni douleur. Ne murmurons pas non plus pour nous qui en sommes privés; mais rendons plutôt grâce à Dieu qui nous l'a laissé si longtemps. Car à mon avis il y a dix ans qu'il ne vivait qu'à cause de nous, et je crains qu'il ne nous ait été enlevé parce que nous n'étions pas dignes de le posséder. Qui sait pourtant si Dieu ne l'a pas appelé à lui pour qu'il nous servît d'intercesseur? Plût à Dieu qu'il en fût ainsi! Car s'il avait assez de charité ici-bas pour me préférer toujours à lui, quand il s'agissait de soulagements corporels, que ne fera-t-il pas en ma faveur, maintenant qu'il est uni à un Dieu qui est la charité même? Mais peut-être

aussi me connaît-il maintenant plus à fond, peut-être sa compassion habituelle a-t-elle fait place à l'indignation et à la colère. Si c'est à cause de nos péchés que Dieu l'a enlevé, puisse-t-il nous en obtenir le pardon, afin que nous n'éprouvions pas châtiment sur châti

ment.

« Au reste, mes frères, permettez-moi de vous le dire, si vous marchiez sur les traces d'Humbert, vous ne tomberiez pas si facilement dans de vaines pensées, dans des conversations oiseuses, dans des plaisanteries ou de futiles amusements qui vous font perdre beaucoup de temps. Le temps s'envole sans retour; et en cherchant à échapper ici-bas à quelques minimes pénitences, vous vous exposez à dé plus rigoureuses. Car sachez-le bien: les fautes dont on néglige de faire pénitence en cette vie seront punies cent fois plus rigoureu⚫sement dans ces lieux destinés à la purification des âmes, et Dieu y fera payer jusqu'à la dernière obole. Il est dur, je le sais, pour un homme sans règle de s'assujettir à la discipline, pour un grand parleur de garder le silence, pour un coureur de rester constamment dans un même lieu; mais il sera bien plus dur de souffrir les peines de l'autre vie.

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Humbert, qui est enseveli ici, eut d'abord beaucoup à souffrir sur tous ces points; mais à force de luttes, il sortit victorieux du combat; et autant il lui en avait coûté pour résister aux tentations, autant il lui eût été pénible ensuite de retourner à toutes ces vanités du monde, parce que ses bonnes habitudes étaient devenues comme une seconde nature.

Exercez-vous donc à mettre ces vérités en pratique, soyez les imitateurs des vertus dont il vous a donné l'exemple, afin que vous arriviez un jour à posséder ce

lui dont il jouit maintenant, le Dieu béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il (1).

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« On ne dira pas de lui, ajoute l'Auteur de l'Exorde, cette parole que l'on a dite par ironie d'un certain moine : Si un habit bien juste, si une tonsure bien faite, si une coule bien large font un saint d'un religieux, celui-ci était un religieux parfait. O Dieu! quelle différence entre la lumière et les ténèbres! Humbert n'était point de ces vierges folles qui prirent leurs lampes sans penser à emporter de l'huile, mais il était de ces vierges sages dont la vertu est si ferme et si solide qu'elle ne souffre jamais ni altération ni atteinte ».

Le corps du vénérable serviteur de Dieu fut d'abord enterré dans le cimetière commun. Mais plusieurs années après, il fut exhumé et déposé près du chapitre, sous la seconde arcade de la muraille, du côté gauche du cloître, au lieu même où reposait le Bienheureux Robert, successeur de Saint Bernard. Une inscription rappelait son nom aux religieux. On se détermina à le transférer en ce lieu, ajoute l'Auteur de l'Exorde, afin que les Frères, qui font leurs lectures sous les cloîtres, ayant toujours sous les yeux ce monument éternel de ses vertus, leurs cœurs soient épris du désir de l'imiter, qu'ils ne perdent jamais de vue la pensée de Dieu et de leurs devoirs, qu'ils secouent la torpeur et la négligence, et qu'ils soient bien convaincus que l'unique voie pour cueillir les couronnes que Dieu destine aux religieux est celle des rudes et pénibles. travaux, de la discipline et de la régularité claustrale (2).

(1) Opera S. Bernardi, Sermo de Obitu Humberti. Edit. Mabillon, t. I, col. 1066-1070.

· HenManrique, Annal.

(2) Le Nain, Essai de l'Histoire de l'Ordre de Citeaux, t. V, p. 81. riquez, Fasciculus Sanctorum, etc., t. I, dist XIII, c. I. Cisterc., 1145, c. VIII, 9.

La mémoire d'Humbert resta en grande vénération à Igny, à Clairvaux, et dans tout l'Ordre cistercien. Son nom se trouve inscrit, avec le titre de Bienheureux, au Ménologe cistercien et au Martyrologe monastique. Manrique, dans ses Annales Cisterciennes, Louis Lippoman, dans la Vie des Saints, l'abbé Jean, dans le Catalogue des Saints de l'Ordre, et, en général, tous ceux qui ont eu l'occasion d'en parler, le révèrent comme un Saint. On place communément sa fête au sept décembre. Cependant Claude Chalemot et Henriquez la mettent au sept septembre (1).

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(1) Manrique. Annales Cistercienses, 1145, c. VIII, n° 10. Johannes Abbas, Catalogus SS. Ordinis Cist. Aloysius Lippomanus, Vitæ Sanctorum, t. IV. Henriquez, Menologium Cisterciense, 7 septembris. Claude Chalemot, Series Sanct, et Beat. O. Cist. Paris, in-4°, 1666.

CHAPITRE III.

Le Bienheureux GUERRIC, deuxième abbé d'Igny.

1138-1157.

Origine de Guerric. Il est chanoine et écolâtre de Tournai. Saint Bernard l'attire à Clairvaux. Ses progrès dans la sainteté. Sa virginité honorée par les anges. Il est fait abbé d'Iguy. Son gouvernement. Ses exhortations à ses frères. Son humilité. Fondation de la Valroy et de Bonnefontaine. Ferveur d'Igny sous Guerric. La vision des lys. Son administration temporelle. Ses infirmités. Sa mort. Il est compté au nombre des Saints. Ses Reliques. Ses Euvres : Sermons et Lettres (1).

A retraite d'Humbert avait laissé tous les frères d'Igny dans le deuil. Heureux sous la houlette d'un si saint pasteur, il leur paraissait difficile de lui trouver un successeur qui pût les conduire avec autant d'habileté dans les voies de Dieu. Mais déjà Saint Bernard y avait songé; sur sa recommandation, peut-être même en sa présence et avec son concours, ils élurent pour abbé un autre religieux de Clairvaux,

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(1) Sources à consulter pour la Vie du B. Guerric le Cartulaire d'Igny; Exordium Magnum, dist. III, c. VII. Liber Virorum Illustrium O. Cist., dist. III, c. vII et VIII. Arnoldus Wion, Lignum Vitæ, l. I, c. XXXXVIII. Manrique, Annales Cistercienses. Henriquez, Menologium Cisterciense. Missale Antiquum. Gaignée, Traduction française des Euvres du B. Guerric.

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