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Il donna en fief à Guillaume, évêque d'Albi, les terres de Marsac et de Rouffiac, sous la condition de foi et hommage. Les lettres de ce conquérant sont datées d'Albi, du mois d'avril 1212 (1).

Ainsi qu'il a été dit, les biens des hérétiques condamnés étaient confisqués au profit de l'Évêque et du Roi. Dans une enquête dressée en 1252 par Guillaume de Pian, sénéchal de Carcassonne, on voit que le nombre des hérétiques condamnés à Albi s'élevait alors à plus de 60, et qu'on estimait leurs biens dix mille livres tournois (180,000 francs de notre monnaie.) Chaque jour voyait s'accroître ces condamnations; elles ne frappaient pas seulement les habitants de la ville, mais encore ceux des campagnes. C'est ainsi qu'Ozilis de Morlhon et sa femme Sauria furent dépouillés de leurs domaines de Lagarde-Viaur, et qu'on enleva à Pons, à Vierna, son épouse, et à Guillaume Dupuy, les propriétés qu'ils avaient à Monestiés, aux lieux d'Airole et de l'Hichardié (2). Des actes relatifs aux contestations que souleva le partage de ces biens seront joints aux documents (3).

On rapporte à l'année 1204 l'origine de l'inquisition établie contre les Albigeois; mais ce ne fut qu'en 1229 que le concile de Toulouse l'organisa définitivement : quatre ans après, Grégoire IX en confia le soin aux Frères-Prêcheurs et établit deux Inquisiteurs de cet ordre à Albi. Ils avaient pouvoir de faire citer à leur tribunal, non-seulement tous ceux que les rapports de leurs commissaires dénonçaient comme hérétiques ou suspects d'hérésie, mais encore tous ceux accusés de sortilège et de magie (4). Les condamnés à mort, livrés au bras séculier, étaient brûlés vifs et leurs cendres jetées dans les égouts; les condamnés à la prison perpétuelle devaient finir leurs jours dans des cellules étroites et obscures; on les désignait sous le nom d'immurati, emmurés, ou placés entre quatre murailles (5). Toute communication entr'eux était interdite. Ils recevaient par une lucarne la nourriture nécessaire à leur subsistance. Quelquefois les Inquisiteurs commuaient les peines de mort et de prison en une

(1) Documents et pièces justificatives No 55. (2) Pièces justificatives No 56. (3) Pièces justificatives Nos 57 et 58. (4) Pièces justificatives No 59. (5) Glossaire de Ducange.

amende pécuniaire. Ils agissaient ainsi envers ceux qui donnaient des marques de repentir et qui consentaient à se croiser pour aller servir outre-mer.

La sévérité que les Inquisiteurs déployèrent dans leur mission aigrit au plus haut point les esprits. Le peuple se souleva contr'eux en plusieurs endroits trois Frères-Prêcheurs envoyés à Cordes, en 1203, pour rechercher les hérétiques, y furent massacrés et jetés dans un puits. A Albi, Arnaud Catalan et Guillaume Pelisse, religieux du même ordre, qui y exerçaient l'inquisition, faillirent éprouver le même sort. D. Vaissete rend compte de quelques circonstances de cet événement. Il sera bon de reproduire en entier le récit de ces troubles, inséré dans un ancien manuscrit (1), ouvrage d'un Frère-Prêcheur contemporain.

Les habitants d'Albi se plaignaient surtout de leur Évêque, Bernard de Castanet, qu'ils accusaient d'avoir, de concert avec les Inquisiteurs, condamné comme hérétiques plusieurs citoyens bons catholiques. Ces plaintes parvinrent aux oreilles du Roi qui, en 1302, donna l'ordre, par lettres-patentes (2), à Richard, neveu, et à Jean de Pinquigni, réformateurs en Languedoc, de se saisir de la juri– diction temporelle de l'Évêque. Ces commissaires arrivèrent à Albi et le drapeau du Roi fut immédiatement arboré sur la forteresse que Bernard de Castanet venait de faire construire à côté de son palais (3).

Forts de l'appui que leur prêtaient les Commissaires du Roi, les habitants insultèrent plusieurs fois les Inquisiteurs et l'Évêque luimême. Ce prélat se rendit à Toulouse pour demander justice, et à son retour, il fut outragé par le peuple qui s'était rendu à l'entrée de la ville, en criant: mort au traître. Ce prélat supporta patiemment ces injures, défendit à ses gens, en cas qu'on voulut lui faire violence, de la repousser par la force, et il arriva dans son palais entouré, dit la chronique, de tous ses damoiseaux. Il sera rendu compte, à l'article des Frères-Prêcheurs, des insultes faites, à cette occasion, aux religieux de cet ordre.

(1) Documents N8 60. (2) Documents No 61. (3) Documents No 62.

On trouve aux archives de la mairie un acte plein de détails curieux au sujet des informations recueillies, par ordre de Clément V, sur les plaintes portées contre les Inquisiteurs et l'Évêque d'Albi. Le Pape donna commission à deux Cardinaux, qui devaient passer à Carcassonne, à Albi et à Cordes, de procéder sur les lieux à une enquête régulière pour découvrir la vérité. Les légats du S. Père visitèrent eux-mêmes les prisons, interrogèrent les détenus sur la manière dont ils étaient traités et prescrivirent diverses mesures pour améliorer leur position. A Carcassonne, quarante-un hérétiques dont les noms sont inscrits dans l'acte, furent conduits devant eux, exténués ou infirmes; ils pouvaient à peine articuler quelques paroles contre la dureté de leurs geoliers.

A Albi, le Légat du Pape descendit dans les cachots destinés aux hérétiques et placés au-dessous des prisons de l'évêché; il y trouva des malheureux couverts de chaînes, et dont quelques-uns n'étaient encore que soupçonnés d'hérésie. Condamnés et prévenus gisaient dans des cellules étroites, obscures et malsaines où ils devaient finir leurs jours. Le cardinal Pierre, du titre de St.-Vital, ordonna aussitôt que les détenus fussent délivrés de leurs chaînes, les prisons assainies et agrandies, nomma de nouveaux geoliers auxquels il fit prêter serment de remplir leur devoir avec humanité, et ne quitta Albi qu'après avoir pris toutes les mesures pour l'exécution de la bulle du Pape, qui défendait d'enfermer les prévenus d'hérésie dans des cachots, de leur faire subir la torture et de les juger en l'absence de l'évêque diocésain ou de son délégué. Bernard de Castanet, retenu par des infirmités hors de son diocèse, ne put assister à l'enquête.

Cette pièce, sous la date de 1306, revêtue du sceau des Cardinaux, est complète et bien conservée (1).

Peu de temps après, une sentence d'excommunication fut lancée contre les habitants d'Albi, au sujet des excès qu'ils avaient commis contre l'Évêque Bernard de Castanet, les Inquisiteurs et les Frères-Prêcheurs. Un bref du Pape Jean XXI vint lever cet interdit. (1) Documents et pièces justificatives N 63.

Bernard de Fargis, évêque, le fit publier dans cette ville, le 2 mars 1319, avec invitation aux consuls et aux habitants de se rendre le même jour au cimetière de Ste.-Cécile. Un sermon fut prononcé par Déodatus, premier évêque de Castres, et après la cérémonie religieuse, les consuls, au nom des habitants, demandèrent, par requête écrite, le pardon des mauvais traitements qu'ils avaient exercés tant contre feu Bernard de Castanet que contre les Inquisiteurs, se soumettant d'ailleurs à la pénitence qu'il plairait à l'Évêque et à l'Inquisiteur de la foi de leur infliger.

Sur la demande des consuls, Bernard de Fargis ordonna qu'il serait dressé acte de leur soumission. Il leur imposa en même-temps pour pénitence de faire bâtir une chapelle expiatoire dans le cimetière de Ste.-Cécile, de payer les frais de construction d'un portail pour l'église des Frères-Prêcheurs, une amende de 50 francs applicables aux travaux à exécuter à l'église des Carmes et de placer deux tombeaux aux lieux où reposaient les cendres de deux FrèresPrêcheurs. Les habitants les plus coupables furent condamnés en outre à faire de longs pélérinages. Les archives de la mairie ont fourni quelques pièces relatives à cet objet (1). D'après D. Vaissete, une cérémonie semblable eût lieu à Cordes, en 1321, en présence des Inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne et du vicaire-général de Bernard de Fargis.

Tous les documents découverts sur la croisade contre les Albigeois et sur les Inquisiteurs seront publiés, avec ceux déjà mentionnés, après les notices concernant la ville d'Albi. Quelques actes importants, dont il n'a été cité que des extraits dans l'histoire de Languedoc, seront reproduits en entier.

LES PASTOUREAUX A ALBI.

En 1320, on vit se former tout à coup en France, comme au temps de St.-Louis, des bandes composées d'hommes, de femmes et d'enfants qui se faisaient appeler les Pastoureaux, los Pastorels; ils

(1) Pièces justificatives Nos 64 et 65,

annonçaient qu'ils voulaient passer outre-mer pour recouvrer la Terre-Sainte, et ils allaient de ville en ville, armés, marchant sous l'étendard de la Croix et sollicitant des secours pour l'exécution de leur projet. Ils entraînèrent beaucoup de gens simples; des malfaiteurs et des vagabonds vinrent aussi grossir leur troupe. Trompé par des apparences de piété et de courage, le peuple les accueillait partout avec faveur et leur donnait de l'argent et des vivres. Les Pastoureaux demandèrent d'abord, puis ils prirent, dit M. Michelet, et ils ne tardèrent pas à se livrer à une infinité de désordres. Ils égorgèrent les Juifs qui refusaient de se faire baptiser et s'emparèrent de leurs trésors. Dans leurs courses vagabondes les églises même ne furent pas épargnées.

Ce fut vers la fête de St.-Jean de la même année, que deux ou trois cents Pastoureaux arrivèrent à Albi et y entrèrent à plusieurs reprises sans éprouver de résistance. Les habitants de cette ville, les regardant comme des hommes choisis par la providence pour faire la conquête de la Terre-Sainte, les reçurent avec joie et leur fournirent tout ce qui pouvait être nécessaire à leur subsistance et à leur entretien. Les Juifs qui résidaient à Albi n'ayant pu obtenir, même à prix d'argent, d'être mis sous la sauvegarde de l'Évêque, prirent la fuite à leur approche. Leurs maisons furent pillées et les objets précieux qu'elles renfermaient, tels que vases, ornements d'or et d'argent, pierreries, bijoux et divers meubles, furent emportés ou vendus à l'encan, sur la place publique.

Les consuls, témoins des excès des Pastoureaux, voulurent porter remède au mal et sommèrent les officiers du Roi et de l'Évêque de faire prendre les armes pour les repousser. L'ordre fut bientôt rétabli à Albi, mais l'exemple qu'avaient donné ses habitants fut imité par les petites villes des environs où eurent lieu aussi de grands désordres.

Pierre de Thilbert, nommé par le roi Charles IV pour informer dans les sénéchaussées de Toulouse, de Périgord et de Carcassonne, sur le meurtre des Juifs, le pillage de leurs biens et les autres excès commis par les Pastoureaux ou par les habitants des villes qui les

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