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mour un jeu d'esprit presque continuel: mais cet esprit a quelquefois saisi le ton et le langage du sentiment, surtout dans ses odes appelées Canzoni, et même a su, dans des sujets plus relevés, tirer de sa lyre quelques sons assez nobles et assez fermes pour nous rappeler celle d'Horace. Son plus grand mérite est dans une élégance qui lui est particulière, et qui l'a mis au rang des classiques de son pays.

Il fut le maître de Boccace, qui fit pour la prose italienne ce que Pétrarque avait fait pour les vers, dans ce même pays qui semblait destiné à faire tout renaître. Il se distingua, il est vrai, dans un genre moins relevé que celui de Pétrarque, mais heureusement susceptible, par sa variété, de tous les caractères d'élégance qui peuvent convenir à la prose. Le conteur Boccace joignit à la naïveté du récit une pureté de diction qui, plusieurs siècles après lui, le rend encore, pour ainsi dire, le contemporain des auteurs les plus estimés en Italie; et c'est un avantage que n'ont point en France ni en Angleterre les écrivains qui ont montré du talent avant que leur langue fût fixée: la tournure de leur esprit a préservé leurs ouvrages de l'oubli, mais n'a pu empêcher leur langage de vieillir.

Le milieu du quinzième siècle fut l'époque mémorable de l'invention de l'imprimerie, de cet art nouveau dont les effets ont été si étendus en bien et en mal, que les déclamateurs inconsidérés ou passionnés, dont tout l'esprit consiste à ne montrer qu'un côté des objets, ne pourront jamais épuiser ici ni l'éloge, ni la satire. Le bon sens, qui est l'opposé de la déclamation, commence par reconnaître que cette invention, comme toutes celles qui contribuent à étendre l'exercice des facultés de l'homme, est bonne en elle-même, et l'une des plus belles et des plus ingénieuses de l'esprit humain. Si, dans l'application des procédés de cet art, il a usé de sa liberté naturelle pour tirer également de l'imprimerie de bons et de

mauvais effets, ce n'est pas l'art qu'il faut accuser, c'est l'homme. C'est à l'histoire à évaluer l'influence, très sensible sous tous les rapports, qu'à dù exercer l'imprimerie depuis trois siècles. C'est à l'autorité légale et à la morale publique, partout où l'une et l'autre existent, à diriger l'usage et à réprimer l'abus, sans pourtant se flatter jamais que l'usage puisse subsister de manière à ce qu'il n'y ait pas lieu à l'abus; absurdité la plus grande possible, chimère de perfection, la plus folle et la plus pernicieuse de toutes les chimères, qui n'était jamais tombée dans la tête d'aucun peuple ni d'aucun gouvernement, et que la postérité marquera comme un des principes originels, un des caractères distinctifs de l'esprit révolutionnaire, qui est descendu si fort au-dessous de tout ce qui avait jusque là déshonoré la nature humaine, précisément parcequ'il a commencé par vouloir s'élever au-dessus d'elle; qui n'est devenu assez atroce pour tout bouleverser que parcequ'il a été assez sottement orgueilleux pour prétendre tout corriger. On ne se doute pas communément de tout ce que renferme cette féconde et terrible vérité : il n'était pas inutile d'en jeter ici le germe, qui sera développé ailleurs et en son temps.

L'imprimerie, en multipliant avec tant de facilité les images de la pensée, a établi d'un bout du monde à l'autre la correspondance continuelle et rapide de la raison et du génie. En parlant aux yeux bien plus vite que la plume, elle a gagné, au profit de l'instruction, tout le temps que faisaient perdre les difficultés réunies de l'écriture et de la lecture, et il a été permis à l'homme qui pense de communiquer, dans le même moment, avec tous ceux qui lisent. En rendant les livres aussi communs et aussi populaires que les manuscrits étaient rares et peu accessibles, elle a tiré la science et la vérité de la retraite des lettrés, et les a répandues dans l'univers. Elle a donc certainement hâté la renaissance et le nouveau progrès des arts, et il lui a été donné de pouvoir dire

à la barbarie, même après la révolution française, Tu ne règneras pas; à la puissance injuste, qui auparavant n'était guère dénoncée qu'aux temps à venir, Tu entendras dès ce moment ta sentence prononcée partout; à l'homme capable de dire la vérité, Parle, et le monde entier entendra ta voix.

Ce sont là de grands bienfaits sans doute; le mal n'est pas moindre, et je serais dispensé des preuves, quand même ce serait ici le lieu d'en parler elles sont depuis long-temps dans notre expérience, et tout à l'heure dans notre histoire. Ce qu'il peut y avoir de consolant, c'est qu'en cela, comme en tout le reste, le mal ayant même passé le terme imaginable, nous sommes, par une marche irrésistible, ramenés pas à pas vers le bien; et c'est ce qui explique parfaitement l'opposition furieuse des auteurs et des fauteurs du mal à cette liberté de penser et d'écrire, dont le nom seul de l'imprimerie a dû vous rappeler le souvenir. J'applaudis volontiers aux écrivains honnêtes et courageux qui en défendent les droits, et je m'honore d'avoir été un des premiers à paraître dans la lice, quand j'ai cru pouvoir appuyer la raison sur la volonté générale. Mais j'avoue que les efforts de nos adversaires ne m'ont jamais causé ni étonnement, ni scandale. Ce n'est pas moi qui leur reprocherai d'ètre en contradiction avec euxmêmes, et de vouloir aujourd'hui subordonner à l'action de leur police cette même liberté de la presse qu'ils ont tant de fois déclarée supérieure à toute espèce d'autorité. Comme leurs actions m'ont de tout temps appris à connaître leur langage, je sais trop bien qu'il n'a jamais été le nôtre, et que les mêmes mots n'ont pas pour eux et pour nous le même sens. C'est, en effet, la licence qu'ils avaient consacrée pour renverser ou flétrir tout ce que les hommes connaissent de sacré; et ils étaient si loin de la liberté, que, pendant des années, on n'a pu écrire autrement que dans leur sens, si ce n'est au péril ou aux dépens de sa vie. Cette liberté a donc

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été alors muette et enchaînée, et enchaînée par eux seuls. Depuis qu'une constitution, dont ils se croient obligés de respecter au moins le nom, ne permet plus d'abattre cette liberté avec le glaive, ont-ils cessé un moment de l'attaquer par tous les moyens du pouvoir ou de la corruption? N'ont-ils pas été sans cesse occupés à l'anéantir, s'il était possible, par des actes arbitraires qu'ils osent appeler des lois? Je me garderai donc bien de leur dire qu'ils sont inconséquents; mais je leur dirai Vous êtes bien malheureusement conséquents dans un bien malheureux système. Vous voulez à tout prix vous rendre les maîtres de l'opinion, parceque l'opinion est aussi une puissance, et la seule que vous n'ayez pas. Oui, c'en est une sans doute; et il faut bien qu'elle soit réelle, puisque, seule, et dénuée de toute autre force, elle épouvante encore ceux qui ont toutes les forces dans leurs mains. Eh bien! il faut la conquérir; mais sachez qu'on n'en vient pas à bout avec des canons et des baïonnettes, ni avec des décrets, pas plus qu'avec la plume de vos mercenaires. Il n'y a qu'une seule et unique voie pour y parvenir : c'est de mettre d'accord !a conduite des gouvernants avec la conscience des gouvernés. S'il vous en coûte trop de faire cette alliance avec l'opinion, vous réduirez-vous à lui imposer encore silence par la terreur? Je suppose encore possible ce qui, tout au plus, ne l'a été qu'une fois : vous n'aurez encore rien gagné. Sachez que la vérité n'en est pas moins une puissance, même quand elle se tait; car elle reste dans les cœurs jusqu'au moment où elle en sort tout armée : et ce moment, toujours inévitable, ne se fait pas même attendre long-temps. Enfin, tuerez-vous tous ceux qui sont capables de la dire ? Et qui a tué plus de monde que Robespierre? Il n'a pas tué la vérité. Elle est éternelle comme son auteur, sans quoi il y a long-temps que le crime serait seul maître de la terre.

Les premiers ouvrages que l'impression fit éclore furent

dictés par les Muses latines, qui revenaient avec plaisir, sous le beau ciel de l'Ausonie, respirer l'air de leur ancienne patrie. Vida, Fracastor, Ange Politien, Sadolet, Érasme, Sannazar, et une foule d'autres, firent reparaître dans leurs écrits, non pas encore le génie, mais le goût et l'élégance de l'antique latinité: et il était juste que l'Italie fût le théâtre de cette heureuse révolution. Elle s'étendit à tous les genres, grace à l'influence bienfaisante des Médicis, qui, toat-puissants dans Florence et dans Rome, y recueillirent les arts bannis de Constantinople par les armes ottomanes et par la chute de ce fantôme d'empire grec, réduit depuis long-temps aux murs de Bysance. Les Médicis eurent la gloire de marquer de leur cher à jamais aux lettrés et aux artistes, cette grande époque du seizième siècle, le premier qui, dans la poésie, ait été le rival du siècle d'Auguste; qui, dans la sculpture et l'architecture, ait retracé ces belles formes, ces proportions élégantes, cette expression de la nature, ces dessins à la fois simples et majestueux, jusque là connus seulement des Grecs et des Romains leurs imitateurs; enfin qui, dans la peinture, ait rempli l'idée du beau, et, au jugement des artistes et des connaisseurs de tous les pays, soit demeuré le modèle invariable de la perfection.

nom,

La magnificence et le goût des Médicis encouragèrent cette foule de talents supérieurs qui naissaient de toutes parts. L'Italie se remplit de ces chefs-d'œuvre sans nombre qui attirent encore dans son sein les étrangers de toutes les contrées, et qu'elle montre avec une sorte d'orgueil national, qui a passé jusque dans cette classe du peuple, partout ailleurs étrangère aux arts, mais qui semble en avoir naturellement le goût et l'amour dans le seul pays où les beaux-arts soient populaires. L'Europe a jeté un cri d'indignation, un cri entendu et répété même parmi nous, quand elle a vu enlever à ces peuples des monuments qui sont pour eux une propriété publique

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