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a son Quintilien, qui défend le bon goût du siècle précédent contre la corruption du sien; mais, plus heureuse que la Grèce, elle montre encore à la postérité un homme unique, Tacite, qui seul, la tête aussi haute que tout ce qui l'a précédé, reste debout comme une colonne parmi des ruines.

Au-delà de ce point où nous nous sommes arrêtés, que trouvons-nous? Un désert et la nuit.

Quelles sont les causes de ces étonnantes révolutions de l'esprit humain? Pourquoi ces éclipses si longues, qui succè→ dent à l'éclat du plus beau jour? D'où vient qu'on a vu le même flambeau tour à tour briller et s'éteindre, et se rallumer encore chez certains peuples, tandis que chez d'autres il semble avoir disparu pour toujours, ou même ne s'est jamais allumé pour eux? Quelle est cette espèce de prédilection accordée par la nature à certains siècles, où l'on dirait qu'elle a pris plaisir à développer toute sa puissance productive, à prodiguer ses richesses, à répandre ses trésors comme par monceaux ? Inépuisable et toujours la même dans ses productions physiques, est-elle donc si bornée dans son énergie morale, et n'a-t-elle en ce genre qu'une fécondité passagère, qui la condamne ensuite à une longue stérilité? Cette question, souvent agitée, peut fournir cependant de nouveaux aperçus, quand il s'agira, vers la fin de ce Cours, de chercher un résultat satisfai sant dans la querelle trop longue et trop fameuse sur les anciens et les modernes. Aujourd'hui je ne me propose qu'un résumé rapide et succinct, où, ne m'arrêtant qu'aux faits, sans discuter les causes, je rappellerai quel a été, à différentes époques, le sort des lettres et des arts, depuis la fin du siècle qui a suivi celui d'Auguste, jusqu'aux temps où le génie vit renaître de beaux jours sous les Médicis, et répandit ensuite sous Louis XIV cette éclatante lumière qui a rempli le monde, qui offusque aujourd'hui plus que jamais la médiocrité jalouse et. l'ignorance présomptueuse, mais qui appelle encore les re

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gards des hommes de sens, comme dans une nuit obscure des voyageurs égarés tournent les yeux vers le point de l'horizon d'où l'on verra renaître le jour.

Quoiqu'on ait observé, avec raison, que le règne des arts a toujours été, chez les anciens comme chez les modernes, attaché à des temps de puissance et de gloire, il paraît cependant que, pour fonder et perpétuer ce règne, ce n'est pas une cause suffisante que la prospérité d'un gouvernement affermi. On en avait la preuve dans cette période de plus de quatre-vingts ans qui s'écoula depuis Trajan jusqu'au dernier des Antonins, sous des souverains comptés parmi les meilleurs dont le monde ait conservé la mémoire. L'histoire remarque que les nations furent alors aussi bien gouvernées qu'elles pouvaient l'être, parceque la vertu était sur le trône avec une philoso phie qui se piquait d'être éminemment morale et religieuse, comme celle de notre siècle s'est piquée de n'être ni l'un ni l'autre. La vertu régna comme la loi : la terre fut heureuse, et le génie fut muet. Il y cut encore quelques hommes d'esprit et de goût, tels que le critique Longin, le moraliste satirique Lucien, et, par suite, des historiens du second ordre, tels qu'Ammien Marcellin, Hérodien et d'autres; mais, dans l'éloquence et la poésie, Rome et la Grèce étaient réduites aux déclamateurs et aux sophistes, les uns occupés à vendre des louanges, les autres enfoncés dans les disputes de l'école.

Cependant, vers le milieu du quatrième siècle, lorsque l'empire romain, chancelant sous le poids de sa grandeur, était forcé de se partager pour se soutenir; lorsque Rome n'était déja plus la seule capitale du monde, quand les ressorts de l'autorité étaient affaiblis, quand les barbares menaçaient de tous côtés le peuple dominateur et corrompu, qui ne se défendait plus que par sa discipline militaire, une éloquence nouvelle naquit avec une nouvelle religion, qui, des prisons et des échafauds, venait de monter sur le trône des Césars.

Cette voix auguste et puissante était celle des orateurs du christianisme; et le cercle des préjugés particuliers rétrécit tellement les idées, que peut-être entendra-t-on ici avec quelque surprise des noms qui ne sont guère plus cités parmi nous que dans les chaires évangéliques, et qu'on s'étonnera de voir au rang des successeurs de Cicéron et de Démosthènes des hommes en qui l'on est accoutumé de ne voir que les successeurs des apôtres (1). Mais, sans blesser le respect qu'à ce dernier titre doivent tous les chrétiens aux Basile, aux Grégoire, aux Chrysostome, je puis les considérer ici principalement sous le rapport des talents et du génie. Pourquoi faudrait-il détourner les yeux quand nous rencontrons ces grands hommes à la place qu'ils doivent occuper dans le ta

(1) Dans le compte qu'a rendu de cette séance un des coopérateurs des Nouvelles politiques, distingué par sa touche spirituelle et fine, il est dit que ce morceau a fait languir un moment l'attention, et qu'il aurait été applaudi il y a vingt ans. Je puis attester que ce même morceau, où je n'ai rien changé, fut applaudi en 1788. Ce n'est pas qu'il eût alors plus de religion qu'aujourd'hui ; il y en avait moins; mais c'était une autre espèce d'incrédules: ceux d'alors l'étaient de la façon de Voltaire; ceux d'aujourd'hui le sont de la façon de Chaumette et d'Hébert. Les hommes instruits sentaient que l'orateur remplissait une partie essentielle de son sujet, en examinant une époque aussi remarquable que celle de l'éloquence chrétienne, la seule qui fût connue dans le monde pendant plusieurs siècles. Ils savaient qu'il n'était pas impossible qu'on fût un saint, et pourtant qu'on ne fût pas un sot; qu'on pouvait louer le génie et les vertus d'un saint, même sans être dévot, comme Voltaire a loué saint Louis; qu'on pouvait aller jusqu'à nommer saint Augustin et saint Chrysostome sans faire une capucinade. Au reste, ce que j'en dis n'est pas pour me plaindre; au contraire, c'est pour nous féliciter de nos progrès. Du temps de Joseph Lebon, celui qui aurait nommé un saint eût été égorgé sur-le-champ; aujourd'hui les athées jacobins se contentent de erier à la dévotion, en attendant mieux. Quel pas nous avons fait !

bleau des différents âges littéraires? Sans doute, ils appartiennent particulièrement à l'église, qui les a consacrés à la vé¬ nération publique c'est surtout à elle à rappeler les services qu'ils ont rendus à la religion, les victoires qu'ils ont remportées sur l'hérésie, les exemples qu'ils ont donnés de la sainteté pastorale, les lumières qu'ils ont répandues parmi les peuples, les tourments qu'ils ont soufferts pour la foi; mais ils appartiennent aussi à l'histoire et aux lettres humaines. L'histoire, en nous affligeant du récit des crimes qui furent alors, comme dans tous les temps, ceux de la tyrannie, de l'ambition et du fanatisme, nous offre le contraste de tant d'horreurs dans le portrait fidèle et avoué de ces héros de l'Évangile. L'histoire nous présente en eux les plus touchants modèles des plus pures vertus, nous les fait voir réunissant la dignité du caractère à celle du sacerdoce, une douceur inaltérable à une fermeté intrépide, adressant aux empereurs le langage de la vérité, au coupable celui de sa conscience qui le tourmente, et de la justice céleste qui le menace; à tous les malheureux, celui des consolations fraternelles. Les lettres les réclament à leur tour, et s'applaudissent d'avoir été pour quelque chose dans le bien qu'ils ont fait à l'humanité, et d'être encore, aux yeux du monde, une partie de leur gloire : elles aiment à se couvrir de l'éclat qu'ils ont répandu sur leur siècle, et se croiront toujours en droit de dire qu'avant d'être des confesseurs et des martyrs, ils ont été de grands hommes; qu'avant d'être saints, ils ont été des ora

teurs.

En les regardant sous ce point de vue, soit que l'on mette à part l'inspiration divine, soit que l'on reconnaisse encore la Providence dans les moyens naturels dont elle se sert, on peut observer les causes qui contribuèrent à donner cette nouvelle vie à l'éloquence, oubliée depuis si long-temps. Un nouvel ordre d'idées et de sentiments à développer, une foule

d'obstacles à combattre et d'adversaires à confondre, la necessité de vaincre par la persuasion et l'exemple, qui étaient les deux seules forces de la religion naissante: voilà ce qui dut animer le génie des fondateurs et des défenseurs du christianisme. Le paganisme, long-temps persécuteur, était encore redoutable, même depuis que Constantin eut fait régner l'Évangile. Les zélateurs de l'ancienne religion avaient pour eux, selon les temps et les circonstances, des intérêts de parti, et, dans tous les temps, l'intérêt de toutes les passions divinisées par le polythéisme. Mais il faut avouer que ce n'étaient sous aucun rapport des hommes à comparer aux prédicateurs de la foi chrétienne. Il s'en fallait de beaucoup que Celse, Porphyre, Symmaque, pussent balancer la dialectique d'un Tertullien, la science d'un Origène, ni les talents d'un Augustin et d'un Chrysostôme. Ce dernier, dont le nom seul rappelle la haute idée que ses contemporains avaient de son éloquence, peut être opposé à ce que l'antiquité avait eu de plus grand. Ce n'est pas que dans ses écrits, comme dans ceux de saint Augustin, de saint Basile, de saint Grégoire, la critique n'ait pu remarquer des défauts que n'ont pas eus les classiques grecs et romains: on s'aperçoit que les orateurs chrétiens n'ont pu échapper entièrement au goût général de leur temps, qui s'était fort corrompu. On y desirerait souvent plus de sévérité dans le style, plus d'attention aux convenances du genre, plus de méthode, plus de mesure dans les détails. On leur a reproché de la diffusion, des digressions trop fréquentes, et l'abus de l'érudition, qui, dans l'éloquence doit être sobrement employée, de peur qu'en voulant trop instruire l'auditeur, on ne vienne à le refroidir. Mais aussi quel connaisseur impartial n'y admirera pas un.. mélange heureux d'élévation et de douceur, de force et d'onction, de beaux mouvements et de grandes idées, et en général cette élocution facile et naturelle, l'un des caractères distinc

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