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par les prétentions diverses des puissances. Les droits de la maison de France sur la succession d'Espagne provenaient de deux sources, le mariage de Louis XIII et le mariage de Louis XIV.

A la mort de Henri IV, la Régente maria Louis XIII à la jeune Infante Anne d'Autriche, pour consolider la paix de Vervins et prévenir la guerre qui allait éclater entre la France et l'Espagne; mais on fit renoncer l'Infante à son droit éventuel de succession, par le contrat de mariage passé le 12 août 1612. La maison de Hapsbourg, qui avait été écartée du trône de France par la loi salique, ne voulut pas que la maison de France pût trouver, dans une alliance avec elle, un avantage de succession que la loi française avait refusé à la dynastie espagnole. Indépendamment de la raison secondaire de réciprocité qui inspirait l'idée d'une modification de la loi fondamentale, en cette occasion, une autre raison plus grave y poussait la maison d'Autriche; elle tirait son origine des grandes considérations de balance politique qui dès lors dominaient dans les esprits, et dont les guerres du seizième siècle avaient fait sentir la nécessité. La clause du mariage est très-remarquable en ce qu'elle énonce avec précision les motifs de la renonciation imposée et acceptée. Nous devons la reproduire avec d'autant plus de soin qu'elle a été supprimée, dans la relation du contrat insérée au manifeste publié par la maison d'Autriche, en 1701, après la mort de Charles II (1).

<< Leurs Majestés très-chrétienne et catholique ont désiré faire les» dits mariages, afin de tant plus perpétuer et assurer, par ce double » lien, la paix publique de la chrétienté, et, entre leurs Majestés,

(1) Voy. ce manifeste dans Dumont, VIII, part. 4, pag. 10 et suiv., et infra, § 4.

>> l'amour et la fraternité qui est souhaitée d'un chacun; et en con» sidération des justes raisons qui montrent la convenance de ces » mariages, par le moyen desquels et avec la faveur et grâce de >> Dieu l'on peut espérer de très-heureux succès pour le grand bien » et augmentation de la loi et religion chrétiennes, au bénéfice com» mun des royaumes, sujets et vassaux des deux couronnes; comme » aussi qu'il importe au bien de la chose publique et conservation » d'icelle, et pour empêcher que lesdits royaumes ne s'unissent et pré» venir les occasions par lesquelles ils se pourraient unir, comme pour » y garder l'égalité qui se prétend, a été accordé et convenu par le » présent contrat que leurs Majestés veulent tenir lieu, force et vi– >> gueur de loi ferme et stable à tout jamais en faveur de leurs royau» mes et de toute la chose publique d'iceux, que la sérénissime In>> fante dona Anna et ses enfants, mâles ou femelles, ou leurs descen>> dants, en quelque degré qu'ils se trouvent, ne puissent succéder » aux royaumes, états et seigneuries qui appartiennent à sa Majesté » Catholique (4) » etc.

L'Infante Anne était mineure, à l'époque où fut conclu le mariage. Elle renouvela fidèlement sa renonciation après avoir atteint l'âge légal, et le Roi son époux la confirma de son côté. Quant au Roi d'Espagne son père, il transforma, sur la proposition des cortès, la renonciation dont il s'agit en loi de l'État, le 3 juin 4649. Cette loi fut insérée, en 1640, dans la Nueva recopilacion de las leyes de Castilla, et depuis lors elle a été textuellement reproduite dans la Novisima recopilación de 1805.

La renonciation d'Anne d'Autriche n'avait pas d'autre motif que celui d'empêcher la réunion des deux couronnes sur la tête d'un seul et même prince, le Roi de France. Ce n'était donc pas comme sang de France que les enfants et descendants d'Anne d'Autriche étaient écartés de la couronne d'Espagne, c'était comme héritiers directs; d'où il suit que cette qualité d'héritier direct disparaissant, l'exclusion n'a(1) Voy. le texte, aux pièces justificatives, no 3.

vait plus de motif et tombait; et, ce qui le prouve, c'est l'interprétation que lui donna un Roi d'Espagne (Charles II), dans son testament de l'an 1700, dont nous parlerons plus tard; c'est, encore, qu'en 1713 on a demandé une nouvelle renonciation au duc d'Orléans, petit-fils d'Anne d'Autriche, tandis qu'on aurait pu se contenter de celle de son aïeule, dont la validité primitive n'avait jamais été contestée par la maison de France.

Dès cette époque de 1612 commence donc un système d'amitié projetée entre les deux pays, amitié ci– mentée par les mariages, mais avec la condition déclarée que l'union ne pourrait point aller jusqu'à porter les deux couronnes sur la tête d'un seul prince. La nécessité sentie de rapprocher le lien des deux États est proclamée; mais elle s'arrête devant la réunion possible des royautés. La maison de France doit être alliée du trône espagnol, mais le Roi de France ne doit pas s'y asseoir. Dans la réalité finale, rien n'est donc exclu, que le Roi de France, de la couronne espagnole; tel est le sens évident du traité de mariage, telle est la limite de sa portée. Le reste n'est que clause de style, cautèle de procureur, et toute la suite de cette grande affaire en est la démonstration claire et nette.

On dira peut-être que, dans ce système, l'exclusion des filles de l'Infante n'avait pas de motif. Il est facile de répondre à l'objection, car, d'un côté, la maison d'Espagne ne reconnaissait pas la loi salique, puisqu'elle avait voulu récemment, sous la Ligue, succéder au trône de France, du chef d'une femme; d'un autre côté, la maison d'Autriche voulait se placer, vis

à-vis de la maison de France, dans une exacte condition de réciprocité, par rapport aux avantages de successibilité. Donc, tous les autres cas, autres que ceux de succession directe du chef de la Reine Anne, demeuraient dans le droit commun; et les princes de la maison de Bourbon descendants d'Anne d'Autriche restaient, par rapport à une Infante d'Espagne, dans la condition où se trouvaient les autres princes étrangers qui pouvaient prétendre à la main de l'héritière de la couronne espagnole. Ils n'étaient point exclus par une raison de race; ils étaient exclus, s'il y avait lieu, par une raison d'état, limitée dans sa sphère, à cause de leur rapport avec la couronne de France, et lorsqu'ils trouvaient, dans leur origine même, un droit simultané à cette dernière couronne et à la couronne d'Espagne; mais ils n'étaient pas exclus lorsqu'ils étaient appelés à un titre autre que celui d'enfant et d'héritier de France.

Il y a de l'importance à fixer, dès à présent, le sens delarenonciation d'Anne d'Autriche, car dès longtemps les ambitions rivales ont voulu donner à cet acte un caractère qu'il n'a pas, celui d'une exclusion de famille et d'une incapacité naissant du sang et du nom de France. C'est le sang de France tout entier, disait la maison de Hapsbourg, dans un manifeste de 1701, c'est le sang de France qui est exclu du trône d'Espagne. Ce manifeste devint celui de la coalition ellemême, à une certaine époque de la guerre de la succession; mais, dix ans plus tard, le traité d'Utrecht proclamait Philippe V, petit-fils d'Anne d'Autriche, Roi légitime des Espagnes.

Des conditions à peu près pareilles à celles du ma

riage de Louis XIII furent écrites dans le contrat de mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse d'Autriche, du 7 novembre 1659. On y lit ce qui suit :

« Art. 2. Que Sa Majesté catholique promet et demeure obligée >> de donner et donnera à la sérénissime Infante dame Marie-Thérèse, » en dot et en faveur de son mariage avec le Roi très-chrétien de >> France... la somme de 500 mille écus d'or sol, ou leur juste valeur, >> en la ville de Paris.

» Art. 4. Que, moyennant le payement effectif fait à Sa Majesté » très-chrétienne de ces 500 mille écus d'or sol..., ladite sérénissime » Infante se tiendra pour contente du susdit dot, sans que par ci-après » elle puisse alléguer aucun droit... pour cause des héritages et plus » grandes successions de Leurs Majestés catholiques, ses père et mère... » attendu... qu'elle en doit demeurer excluse; et, avant l'effectua>>tion des épousailles, elle en fera la renonciation en bonne et due >> forme...

» Art. 5. Que d'autant que Leurs Majestés très-chrétienne et ca>tholique sont venues et viennent à faire le mariage, afin de tant » plus perpétuer, par ce nœud et lien, la paix publique de la chré» tienté, et, entre Leurs Majestés, l'amour et fraternité que chacun >> espère en elles; et en contemplation aussi des justes et légitimes » causes qui montrent et persuadent l'égalité et convenance dudit » mariage... comme aussi pour ce qu'il touche et importe au bien de la » chose publique et conservation desdites couronnes, qu'étant si gran» des et si puissantes, elles ne puissent être réduites en une seule, et » que dès à présent on prévienne les occasions d'une pareille jonction. » Doncques... Leurs Majestés accordent et arrêtent par contrat et >> pacte conventionnel entre elles... que la sérénissime Infante d'Espa» gne, dame Marie-Thérèse, et les enfants procréés d'elle, soit mâ» les ou femelles, et leurs descendants... en quelque degré qu'ils se >> puissent trouver, voire à tout jamais, ne puissent succéder aux » royaumes, états, seigneuries, dominations, qui appartiennent et >> appartiendront à Sa Majesté catholique (1). »>

II y avait dans ce contrat, comme dans celui de 1612, non-seulement une prévoyance relative à l'in— térêt des États de l'Europe, mais encore l'expression d'un sentiment de dignité espagnole. Cependant, il faut reconnaître que si l'on a pu reprocher à Louis XIV (1) Voy. l'acte tout entier aux pièces justificatives, no 4.

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