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« Si la guerre devient nécessaire, aucune des parties ne pourra » traiter de la paix qu'après en avoir communiqué et conféré avec >> les autres puissances confédérées, et préalablement obtenu pour » Sa Majesté impériale une satisfaction juste et convenable, pour lá » Grande-Bretagne et les États de Hollande la sûreté particulière de » leurs états, provinces, possessions, commerce et navigation; et >> après avoir stipulé la garantie positive que les royaumes de France » et d'Espagne ne tomberont jamais sous la même domination, et ne » seront pas réunis sur la même tête ; et spécialement que les Fran>> çais ne prendront jamais possession des Indes espagnoles, qu'ils » n'auront pas le commerce exclusif de ces colonies, et que les droits » de commerce et de navigation qui leur seront accordés seront exac>>tement les mêmes que ceux départis à la Grande-Bretagne et aux » États de Hollande (1), » etc.

C'était donc plutôt aux actes de Louis XIV, depuis la mort de Charles II, que l'on s'attaquait, qu'à la légitimité de la succession de son petit-fils. Ce point est très important à remarquer, parce que, dans une autre période de la guerre, la question a changé complétement de face, pour les confédérés, par l'effet de l'exaspération de la lutte et de la substitution des passions personnelles aux intérêts des États. La grande alliance n'a pas voulu déclarer la guerre à une famille, au sang des Bourbons, ni à Philippe V, Roi d'Espagne, mais seulement à Louis XIV, soupçonné de nourrir des desseins contraires à la sécurité générale de l'Europe. Le mot de famille, ou de maison de France, le nom du duc d'Anjou, ne sont pas prononcés dans le dispositif de l'acte de confédération du 7 septembre 1701; et, au contraire, l'engagement pris de maintenir la séparation des deux couronnes, emportait la reconnaissance tacite du droit de Philippe V à régner en Espagne. Les confédérés se maintenaient alors dans l'esprit et dans la lettre de tous les actes publics émanés, depuis deux siècles,

(1) Voy. le texte du traité, aux pièces justificatives, no 5.

des pouvoirs politiques de l'Europe; et spécialement dans l'esprit et dans la lettre des mariages espagnols de Rois de France, et des testaments des Rois d'Espagne, qui tous avaient voulu l'alliance des deux familles et l'amitié profonde des deux pays, mais non leur incorporation dans une seule monarchie.

Il y avait donc parmi les puissances confédérées deux intérêts distincts, qui, selon l'occurrence, prédominaient dans les actes; un intérêt personnel de la maison de Hapsbourg, qui excluait toute accession de la maison de France en Espagne, et un intérêt purement européen qui se bornait à prohiber la réunion des deux couronnes sur la tête d'un Bourbon. C'est ce dernier intérêt, intérêt séculaire de l'Europe, que semblait poursuivre seulement, dans cette première période, la coalition, par ses actes ostensibles et ses manifestes. Aussi remarque-t-on un langage tout à fait différent dans la déclaration de guerre de l'Empereur, et dans celles de l'Angleterre comme des Provinces-Unies; dans celles-ci, on reconnaît implicitement le Roi d'Espagne ; dans la première, on s'attaque à son titre même (1). Il est donc à remarquer que, quoique unis en apparence, les souverains coalisés avaient des vues différentes; aussi, agissaient-ils séparément : ce qui montrait la diversité des intérêts et des intentions. Le but de la guerre a été évidemment dépassé par des exagérations subséquentes.

Ainsi l'objet de la coalition n'était pas exactement conforme aux espérances et à l'ambition personnelle de l'Empereur Léopold. Le désir de réunir de nouveau, dans sa descendance et sur une seule tête, les États (1) Voy. ces deux actes dans Dumont, loc. cit.

de Charles Quint, l'avait poussé à imposer à sa fille de Bavière (1) une renonciation qui avait révolté l'Espagne et son Roi. Persistant dans cette intention, il refusa d'accéder au partage du 25 mars 1700, lequel réalisait au profit de sa race la séparation des couronnes que le testament de Charles II avait, depuis, opérée au profit de la maison de France. Son obstination compromettait les succès de la coalition. D'habiles conseillers le décidèrent à se désister de ses idées. En effet, la coalition qui s'attaquait dans Louis XIV au souverain qu'elle accusait de vouloir réunir les deux couronnes, était inconséquente à soutenir Léopold, lequel se proposait aussi d'accomplir une réunion qui menaçait, au même degré, l'équilibre européen.

Le désistement de l'Empereur étant obtenu, il y eut plus d'intime union entre les ennemis confédérés de Louis XIV. Ils formèrent, le 16 mai 1703, une nouvelle alliance offensive et défensive, par laquelle ils reconnaissaient un fils de l'Empereur pour Roi d'Espagne sous le nom de Charles III. Léopold, en effet, céda la monarchie espagnole à son fils cadet, l'Archiduc Charles, celui-là même auquel le traité de partage du 25 mars 1700 destinait la couronne d'Espagne. Cet acte de cession est du 12 septembre 1703, postérieur de plus d'un an, par conséquent, aux décla-rations de guerre des coalisés. En voici la traduction :

<< Léopold, empereur des Romains, toujours auguste, etc., savoir >> faisons que :

» Par la mort de très-haut et très-puissant prince Charles II, roi >> des Espagnes et des Indes, notre frère et neveu, tous les États et >> royaumes de sa domination nous étant dévolus par droit hérédi

(1) Voy. pag. 27, supra,

»taire, nous avons sérieusement réfléchi à la difficulté qu'il y avait » pour un seul et même prince de gouverner des royaumes si éloi» gnés en même temps que nos États héréditaires, principalement > en ce temps et comme l'exigent le bien de nos peuples et le salut >> commun de l'Europe. Outre cela, nous avons considéré que, les >> affaires de l'Espagne étant telles qu'elles exigent la présence con»tinuelle de son Roi, non-seulement nous étions empêché de nous » y porter en personne, mais qu'encore notre cher fils premier-né, le >> roi des Romains et de Hongrie, Joseph, auquel notre succession » est dévolue de plein droit après nous, ne peut, en ce moment, » se rendre en Espagne, ni s'éloigner de nos États d'Autriche, ni de » l'Empire romain... Connaissant bien les éminentes qualités de no» tre cher fils le sérénissime archiduc Charles... et sachant que les >> vœux non-seulement de tous nos sujets des Espagnes, mais encore » de toute l'Europe, l'appellent à la couronne espagnole...

» Par ces motifs et d'autres encore, au nom de la très-sainte et >> indivisible Trinité, du consentement exprès de notre fils premier» né, Joseph, roi des Romains, nous avons cédé et assigné, nous >> cédons et assignons, par les présentes, en la meilleure forme du » droit, à notre second fils le sérénissime Archiduc Charles et à sa » postérité à naître de mariage légitime, à l'exclusion des légitimés, » la totalité de la monarchie espagnole... telle que l'a possédée le >> défunt Roi Charles II, et que nous aurions pu ou dù la posséder »> nous-même; sauf et réservé sur ce royaume le droit et ordre de » succession établi pour notre maison... et les droits de l'Empire (1).» Cet acte avait ce caractère singulier d'être, dans ses motifs et ses réserves, une sorte de protestation contre les actes publics de deux puissances coalisées qui, d'accord en cela avec les monarques espagnols, avaient toujours posé en principe l'incompatibilité de la couronne d'Espagne avec une autre, française ou autrichienne. Le dispositif de l'acte avait une importance décisive, à ce moment, en ce qu'il conférait un titre apparent de royauté à un prince que les coalisés, et Louis XIV lui-même, avaient précédemment agréé pour roi d'Espagne; et par les résultats qu'il offrait en perspective, il faisait disparaître les scrupules des cabi(1) Voy. le texte entier, dans Dumont, loc. cit., pag. 133 et suiv.

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nets relativement à l'équilibre européen. La monarchie espagnole demeurait disjointe et séparée, dans la balance. Il ne s'agissait plus que du choix du monarque et l'on pouvait se prononcer pour le prétendant autrichien, ou pour le titulaire français, au gré des préférences personnelles.

Ainsi pouvait se présenter la question sur le papier, ou aux yeux des esprits frivoles; mais, au fond de cette tentative d'établir en Espagne l'Archiduc Charles sur le trône de Charles II, il y avait une grave entreprise contre le droit des gens et la souveraineté de la nation espagnole, représentée, exprimée par l'acte solennel de son dernier Roi. La coalition avait, sans doute, un juste motif de guerroyer pour obtenir le maintien de la royauté espagnole à l'état d'isolement; mais elle outre-passait son droit, en s'ingérant dans l'é– lection d'un Roi d'Espagne, et en l'imposant par la violence des armes à une nation dont le droit de souveraineté était aussi digne de respect que le droit de prohibition des autres États de l'Europe relativement au cumul des couronnes.

La lutte ne pouvait manquer d'être irritante et passionnée, car l'attentat était du côté de la coalition, et le droit évident du côté de Philippe V. La nation espagnole défendait son Roi avec un dévouement patriotique et d'autant plus ardent que la coalition semblait ne faire nul état de l'Espagne, en cette affaire. Le clergé espagnol se prononça pour la France, et un archevêque de Saragosse publia le mandement suivant :

« Le Roi Philippe III avait pouvoir et autorité pour faire ce qu'il a » fait, ou il n'avait pas ce pouvoir. Je dis la même chose des États du >> royaume qui ont concouru à cet acte de renonciation. S'ils n'a>> vaient pas ce pouvoir, la renonciation est nulle et de toute nullité,

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